Alors que le baril de brent a franchi la barre symbolique des 80 dollars lors de la séance du 12 septembre et se stabilise depuis autour des 79 dollars, il paraît opportun de rappeler que l’ensemble des matières premières et notamment l’or noir font régulièrement l’objet de bulles à la hausse, et parfois aussi à la baisse.
Rappelons-nous effectivement qu’en juillet 2008, les cours du baril de pétrole atteignaient le niveau historique de 150 dollars. A l’époque, les « meilleurs spécialistes pétroliers » de la planète se battaient pour annoncer unanimement que le monde était confronté à une pénurie durable « d’or noir ». Selon eux, le baril à 150 dollars était donc normal et les 200 dollars imminents. Six mois plus tard, il valait 34 dollars ! Une fois encore, la bulle et l’exubérance irrationnelle ont eu raison du bon sens.
En effet, les statistiques étaient et sont d’ailleurs encore formelles : l’offre mondiale de pétrole reste largement supérieure à la demande. Tel ne sera peut-être plus le cas dans trente ans. Mais, d’ici là, nous avons le temps de voir venir. Il y a trente ans, on nous promettait aussi la fin du pétrole pour l’an 2000. Et pourtant… Ce « canular » a la vie longue et marche à tous les coups, même si de 2015 à 2017, c’est plutôt une bulle inversée qui a eu lieu, en l’occurrence une baisse trop forte des cours pétroliers par rapport à la réalité économique.
Depuis la fin des années 1990, les cours des matières premières ont effectivement fortement progressé, tout en subissant une volatilité extrême. Cette double tendance a été lourde de conséquences pour la stabilité économique, politique et financière de la planète. Elle a même participé à l’aggravation des crises de la dette. Car si l’activité peut supporter une augmentation modérée des prix des matières premières et notamment du pétrole, de trop fortes hausses peuvent sonner le glas de la croissance, aggravant les déficits et les dettes des États.
A cause de l’instabilité géopolitique récurrente dans les pays producteurs de matières premières, mais aussi d’une demande forte en provenance des pays émergents, les cours de celles-ci seraient appelés à déraper durablement. C’est du moins ce qu’annoncent très régulièrement les « experts » en pétrole et « commodities » en tous genres. Mais, de la même façon qu’il ne fallait pas croire les agences de notation lorsqu’elles notaient AAA les dettes subprimes titrisées, il ne faut pas accorder trop de crédit aux anticipations de certains experts qui ne font souvent qu’extrapoler le passé récent.
Il ne faut pas non plus se voiler la face : l’augmentation des cours des matières premières est inévitable et même logique. A l’inverse de la situation extrêmement spéculative du printemps-été 2008 qui consacrait une flambée du pétrole et autres « commodities » en dépit d’une récession mondiale, la récente inflation des matières premières est justifiée par une croissance mondiale d’environ 3,5 % en moyenne de 2010 à 2017. Or, avec un tel rythme, l’indice CRB (qui synthétise les cours de l’ensemble des matières premières pondéré par le poids de ces dernières dans la consommation mondiale) croît normalement de 8 % en moyenne sur une année.
Parallèlement, la population mondiale augmentera tendanciellement d’environ 1 % par an au cours des deux prochaines décennies. Elle devrait ainsi atteindre 9 milliards d’êtres humains d’ici 2030. Dans le même temps, un nombre croissant de personnes voient leur niveau de vie progresser à travers le monde. On estime par exemple que le nombre de Chinois vivant correctement (c’est-à-dire selon des standards occidentaux) dépasse actuellement les 450 millions, contre 100 millions en 2000. Ils seront au moins 600 millions en 2022. Ainsi, les habitudes de consommation changent et réclament de plus en plus de matières premières alimentaires et énergétiques : plus de viandes, plus de blé, plus de pétrole…
Autrement dit, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que, sauf en cas de guerre nucléaire ou de pandémie planétaire, la demande mondiale de « commodities » va continuer de croître significativement dans les prochaines années. Dès lors, dans la mesure où ces matières premières sont physiquement limitées, il est inévitable que leurs prix continueront de progresser. La question porte donc simplement sur l’ampleur de cette progression. Car, face à cette réalité objective, la spéculation s’est évidemment engouffrée dans la brèche. N’oublions pas que la spéculation « ne tombe pas du ciel », elle a toujours un mobile. Le problème réside dans le fait qu’une fois ce mobile trouvé et reconnu par tous, elle devient incontrôlable.
À la rigueur, lorsque cette spéculation concerne l’or ou les pierres précieuses, l’économie mondiale peut le supporter. En revanche, lorsqu’elle touche au pétrole, au cuivre et surtout aux biens alimentaires, ses conséquences économiques et sociales peuvent devenir dramatiques. Ainsi, lorsque le cours du baril augmente de 10 % sur une année, cela enlève 0,4 point à la croissance mondiale. Autrement dit, si le baril explose à plus de 150 dollars en moyenne sur une année, l’économie planétaire replonge inévitablement dans la récession. De même, si les cours des biens alimentaires continuent de grimper, la malnutrition, voire la famine, s’imposeront dans davantage de parties du monde émergent, générant des émeutes sociales qu’il sera très difficile de contrôler et qui pourront, à leur tour, aggraver la récession mondiale.
En conséquence, il est urgent de limiter la montée des cours des matières premières. Mais comment faire ? Réponse la semaine prochaine dans ces mêmes colonnes ou alors dans « Un monde de bulles », qui, depuis sa sortie, est en tête des ventes dans sa catégorie sur Amazon.fr. Merci à toutes et à tous pour votre fidélité.
Marc Touati