Après moult tergiversations et atermoiements, le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu aura donc bien lieu en France à partir de janvier 2019. Pour autant, de nombreuses questions restent encore sans réponse claire, notamment sur la taxation des revenus de 2018, dite « année blanche ». L’administration fiscale se réserve effectivement le « droit » de taxer des « revenus exceptionnels » de 2018. Autrement dit, certains Français paieront l’impôt sur deux années simultanément, ce qui pose forcément un problème juridique et suscitera immanquablement des recours et des procès en pagaille. De plus, les remises d’impôts seront certes versées en janvier, mais plafonnées à 60 % du total. Ce qui signifie par exemple que certains français qui bénéficient d’une exonération fiscale grâce à différents crédits d’impôts devront payer 40 % de ces derniers pour ne les récupérer qu’en septembre. Une véritable avance de trésorerie accordée à l’Etat.
A l’évidence, dans un contexte de faiblesse du pouvoir d’achat et d’augmentation de l’inflation, le prélèvement à la source risque de peser négativement sur le moral des contribuables et d’aggraver leur sentiment de ponction fiscale excessive.
Nous touchons là au cœur du problème. En effet, la difficulté n’est pas de prélever l’impôt à l’année n ou n+1, mais elle réside dans l’énormité de la pression fiscale française, qui, elle-même est le produit de décennies de « fuite en avant ». C’est d’ailleurs certainement LE « mal français » par excellence : à chaque fois qu’une difficulté économique apparaît, on crée un impôt pour tenter de la résorber. Ensuite, conscients que la difficulté en question perdure et que cet impôt est inefficace, on met en place une niche fiscale pour essayer d’en limiter les effets négatifs sur la croissance et l’emploi. Voilà pourquoi, la fiscalité en France est l’une des plus pesantes du monde mais aussi l’une des plus compliquées.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2017, le taux de prélèvements obligatoires a atteint 45,3 % de la richesse créée (c’est-à-dire du PIB), contre un niveau de 30 % en 1960 ou encore 41,2 % en 2009. La France se paie ainsi le luxe d’être le deuxième pays de l’OCDE dans lequel la pression fiscale est la plus forte, juste derrière le Danemark (45,9 %) et loin devant le numéro 3, en l’occurrence la Belgique (44,2 %), la moyenne de l’OCDE se situe à 34,3 % (26 % aux États-Unis).
Quant à l’ensemble des recettes publiques (qui dépassent les seuls impôts), sa part dans le PIB français est de 53,9 %. En clair, chaque année, plus de la moitié de la richesse créée dans l’Hexagone est absorbée par l’Etat. Du jamais vu dans l’Histoire de France (à part lors des guerres) et un niveau seulement dépassé par sept pays sur les 193 recensés par le FMI. En l’occurrence, la Norvège (54,1 %), le Koweït (54,3 %), la Micronésie (69,2 %), les îles Marshall (70,8 %), l’île Nauru (110,1 %), les Tuvalu (119,1 %) et les Kiribati (121,9 %). Mais que fait la France dans ce « club très select » ?
Ce trop-plein fiscal ne s’est évidemment pas fait en un jour. Et pour cause : les années passent, les gouvernements changent, mais malheureusement, les erreurs restent les mêmes. À chaque fois, c’est la même ritournelle : on crée un impôt, souvent présenté comme temporaire, pour colmater une brèche, mais le temporaire devient du permanent et de nouvelles brèches apparaissent…
Or, l’obstination à vouloir augmenter sans cesse les impôts casse la croissance, ce qui finit par réduire l’assiette fiscale et limite de facto les recettes de l’Etat. Conséquence logique de ce manque de clairvoyance et de ce dogmatisme maladif, les déficits publics n’ont cessé de croître, entraînant la dette vers des niveaux inadmissibles. Le plus drôle (du moins pour les amateurs d’humour noir) est que les gouvernements successifs, et notamment depuis 2012, mettent justement en avant la nécessité de réduire les déficits pour justifier leurs augmentations d’impôts. La boucle est donc bouclée, mais dans le mauvais sens.
Jusqu’à la fin des années 1960, lorsque le taux de prélèvements obligataires oscillait autour de 32 % du PIB, la croissance sur dix ans (qui peut s’apparenter à une sorte de croissance structurelle) était de l’ordre de 5,5 %. Dans les années 1980, alors que le premier a flambé à 42 %, la seconde a reculé à 2 %. Enfin, depuis les années 2010, alors que le ratio de prélèvements obligatoires a encore augmenté à 45 %, la croissance de long terme s’est encore affaissée à 0,8 %. Cherchez l’erreur…
Ne nous voilons donc pas la face : le seul moyen de sortir la France du marasme est de réduire massivement les prélèvements obligatoires qui pèsent sur les ménages et les entreprises. Le problème fiscal de la France est global : seul un « grand soir » fiscal pourra permettre de moderniser l’économie hexagonale et de la rendre plus féconde en emplois.
Celui-ci pourrait passer par six mesures principales :
- Réduire le niveau des prélèvements obligatoires au niveau de la moyenne de la zone euro, soit une baisse d’environ 100 milliards d’euros.
- Simplifier le code des impôts.
- Supprimer l’essentiel des niches fiscales et réduire les impôts auxquels elles se rapportent.
- Réduire l’impôt sur les sociétés à 20 %.
- Abaisser de 3 points le taux de CSG.
- Fusionner la CSG, la CRDS et l’IRPP.
Lorsqu’on voit les cafouillages qui ont et vont encore accompagner l’instauration du prélèvement à la source, on comprend que ce choc de compétitivité sera compliqué à mettre en œuvre dans l’Hexagone. L’espoir fait vivre…
Marc Touati