Sans surprise, la dette publique française a continué de progresser, encore et toujours. Au premier trimestre 2018, elle a ainsi atteint un nouveau sommet historique de 2 255,3 milliards d’euros. Elle représente désormais 97,6 % du PIB, soit 0,8 point de plus qu’au quatrième trimestre 2017, et surtout 30 points de plus qu’en 2008.
D’ici 2019, elle atteindra logiquement la barre symbolique des 100 %, qu’elle a d’ailleurs déjà frôlé au deuxième trimestre 2017 (à 99,3 % précisément). « Et alors ? Diront certains. Les États-Unis sont déjà à plus de 100 % depuis 2011 (environ 110 % en 2018) et ils ne s’en plaignent pas outre mesure. Mieux, le Japon n’est-il pas à près de 240 %, tout en restant la troisième puissance mondiale ? »
C’est bien là que réside le principal problème de la flambée de la dette : personne ne s’en inquiète vraiment. Certes, il faut reconnaître que rapporter le stock de dette publique au flux de création de richesses (c’est-à-dire le PIB) a peu de sens. En effet, que ce soit pour un ménage, une entreprise et a fortiori un État, il est normal que sa dette dépasse son revenu annuel, sinon il ne serait pas utile de s’endetter. De plus, la dette est souvent saine. Elle permet par exemple à un particulier d’acheter sa maison. S’il n’était pas possible de s’endetter, seuls des ménages très aisés seraient propriétaires. De même, une entreprise s’endette pour pouvoir investir et embaucher, de manière à se développer, gagner des parts de marché et générer du profit.
En revanche, ce qui est beaucoup plus problématique, c’est lorsque cette dette ne génère pas suffisamment de croissance, donc d’activité, de business ou encore de revenus, simplement pour assurer le paiement annuel des intérêts de la dette. Dans ce cas, pour payer ces derniers, il faut encore augmenter son endettement, qui devient alors explosif et se transforme en surendettement. Pire, cette situation finit par obliger le surendetté à vendre ses actifs, son patrimoine immobilier, voire ses propres biens, avec, en bout de course, la faillite.
Le problème n’est donc pas la dette, mais la capacité de l’endetté à la rembourser, c’est-à-dire à la rendre supportable. On parle alors de soutenabilité de la dette. À ce titre, les ménages, les entreprises et les États sont logés à la même enseigne. Certes, dans la mesure où l’horizon temporel des États est bien plus étendu que celui des ménages et des entreprises, il serait possible de laisser croire qu’ils n’obéissent pas à cette règle de bon sens. Comme disait l’économiste Keynes : « à long terme, nous serons tous morts ». En revanche, les États perdureront. Au travers de cette analyse, certains ont cru déceler un blanc-seing pour pouvoir augmenter la dette publique indéfiniment. « Au diable l’avarice ! nous disent-ils. Que l’État s’endette ! Augmentons les dépenses et faisons confiance aux générations futures pour assurer le service après-vente ».
Ce comportement est évidemment irresponsable. D’abord pour les générations à venir, mais aussi pour celles qui doivent gérer l’explosion de la dette. Et c’est aujourd’hui notre cas. En effet, bien loin d’avoir contracté une dette soutenable, l’Etat français a dépensé sans compter, et surtout en toute inefficacité. Ainsi, en dépit de la faiblesse artificielle des taux d’intérêt des obligations d’Etat, la France ne parvient toujours pas à générer une croissance économique suffisamment forte pour assurer le paiement annuel de la charge d’intérêts de la dette publique. Et cela dure depuis plus de dix ans !
Bien entendu, le gouvernement français et les économistes bien-pensants préfèrent mettre l’accent sur la réduction du déficit public à 2,6 % du PIB en 2017. Seulement voilà, cette réduction est principalement due à la baisse des taux d’intérêt des obligations d’Etat et à un rebond conjoncturel qui a déjà disparu. Sans ces deux « cadeaux du ciel », le déficit public aurait été d’au moins 3,5 % du PIB.
De plus, comme cela s’observe depuis l’après-guerre de façon ininterrompue, la dépense publique a continué d’augmenter : + 2,5 % en 2017, soit un total de 1 292,3 milliards d’euros, là aussi un record historique et 56,4 % du PIB. Rappelons que seuls six pays dans le monde affichent un ratio supérieur : les îles Tuvalu (118 %), les îles Kiribati (111 %), l’île Nauru (103 %), la Libye (90 %), les îles Marshall (68 %) et la Micronésie (68 %). Même les pays scandinaves se sont éloignés de ce « club très select », avec des niveaux de 54 % pour la Finlande, 52 % pour le Danemark et 48 % pour la Suède.
Pour 2018, avec une croissance économique d’environ 1,5 %, une pression fiscale toujours prohibitive (la deuxième plus forte des pays de l’OCDE derrière le Danemark), le maintien d’un taux de chômage de l’ordre de 9,2 % et une nouvelle augmentation des dépenses publiques, le déficit public français devrait retrouver la barre des 3 % du PIB. Pire, avec la remontée probable des taux d’intérêt des obligations d’Etat, il pourrait la dépasser. De la sorte, la dette publique atteindra tranquillement les 100 % du PIB. La question reste simplement de savoir si les investisseurs utiliseront cet argument pour délaisser les obligations d’Etat, suscitant une hausse massive des taux longs et réactivant la crise de la dette.
Jusqu’à présent, et notamment grâce au soutien actif de la BCE, les marchés sont restés aveuglés, refusant d’admettre l’évidence. Rappelons-nous que cela a aussi été le cas pour les taux d’intérêt de la dette grecque de 2001 à 2010. Et, puis, un jour, ils ont enfin ouvert les yeux et ces derniers ont flambé jusqu’à 40 %. Les taux français devraient évidemment éviter de tels sommets, mais une remontée aux alentours des 2,0 % paraît fort probable d’ici l’été 2019.
Plus que jamais, il faut donc fuir les obligations du Trésor français si l’on veut éviter de prendre une douche particulièrement froide et destructrice. Car, cessons de nous voiler la face : un krach obligataire apparaît inévitable d’ici le printemps 2019.
Marc Touati