Avec l’apaisement des tensions en Grèce depuis 2016, puis la défaite des partis extrémistes en France en 2017, on pensait que le sujet était clos. Pourtant l’avènement d’un gouvernement europhobe à la tête de l’Italie a remis la question sur le devant de la scène : « que se passerait-t-il si la zone euro disparaissait ? » Face à cette interrogation extrême mais légitime, certains économistes, politiciens ou observateurs de la « chose économique » n’hésitent pas à botter en touche en soulignant que cette éventualité n’a aucun sens. La fin de la zone euro ? Le retour au franc ? « Impossible » disent-ils avec l’aplomb des technocrates qui dissertent sur l’avenir économique sans n’avoir jamais été sur le terrain. Ces donneurs de leçons ont clairement tort. Oui, il faut être honnête : même si nous ne le souhaitons pas, l’explosion de la zone euro et le retour au franc sont possibles. Compte tenu de la crise que traverse actuellement l’Union Economique et Monétaire (UEM), la probabilité de ce triste scénario s’accroît même de jour en jour. S’obstiner à vouloir faire croire le contraire est contre-productif. Cela ne ferait qu’aviver les tensions sociales au sein des différents pays. A l’évidence, si nous voulons sauver la zone euro, cette stratégie du dénigrement doit être abandonnée. En fait, il serait beaucoup plus opportun d’accepter ce cas de figure extrême et de réfléchir aux conséquences désastreuses qu’il pourrait entraîner, de manière à comprendre par là même qu’il faudra tout faire pour l’éviter. C’est ce que nous nous proposons de faire ci-après.
Tout d’abord, rappelons que la décision de sortir de la zone euro sera forcément du ressort des dirigeants politiques nationaux. En effet, il n’existe aucun mécanisme européen pour exclure des pays de l’UEM. L’abandon de l’euro sera donc forcément un choix souverain, si par exemple les dirigeants d’un pays estiment que les sacrifices requis pour rester dans l’UEM sont trop nombreux et impossibles à supporter. Dès lors, le pays en question pourra mettre en place la stratégie « d’opting out », comme l’ont fait les Anglais ou les Suédois avant la création de l’UEM.
Une fois cette décision prise, ils devront alors choisir un taux de conversion entre l’euro et leur nouvelle devise, qui sera certainement celle qui prévalait avant la monnaie unique. Cette transition prendra évidemment du temps. D’abord pour adapter les systèmes de comptabilité bancaire et ensuite pour émettre les nouveaux billets. Souvenons-nous que la mise aux normes des systèmes informatiques des banques lors du passage à l’euro en 1999 a pris environ deux ans. Quant aux pièces et billets, ils ne sont arrivés dans les mains des citoyens que trois ans plus tard. Inutile de dire que le chemin inverse constituera un vrai capharnaüm, avec toutes les confusions, les erreurs et les valses des étiquettes que cela engendrera.
Mais ceci n’est presque rien comparativement à ce qui va suivre. Car, si un pays sort de la zone euro, il ne bénéficiera plus de la « protection » de cette dernière, notamment en matière d’évolution des taux d’intérêt des obligations d’Etat. Rappelons ainsi qu’en mars 2012, lorsque la Grèce était sur le point de quitter l’UEM, le taux d’intérêt à dix ans des obligations de l’Etat grec avoisinait les 40 % et que celui à deux ans montait à 377 %, précisément le 7 mars 2012.
Plus récemment, lors du cafouillage autour de la nomination du gouvernement italien fin mai 2018, le taux d’intérêt à dix ans des obligations de l’Etat transalpin a flambé dans des proportions impressionnantes : entre le 4 et le 30 mai, il est passé de 1,7 % à 3,4 % ! S’il a certes reculé depuis, il s’est néanmoins stabilisé entre 2,6 % et 3,1 %.
Mais cette déconfiture assurée n’est pas l’apanage de la Grèce ou de l’Italie. Ainsi, si la France sortait de l’UEM, les taux d’intérêt auxquels elle emprunte flamberaient également, pour atteindre certainement 10 % pour le taux à dix ans. Au-delà de l’aggravation du déficit et de la dette que cela engendrerait, cette tension dramatique susciterait un écroulement de l’investissement et de la consommation, puis une récession, qui, à son tour, se traduirait par une nouvelle augmentation du déficit public, donc une hausse des taux d’intérêt et le cercle pernicieux continuerait.
Pour tenter de stopper l’hémorragie, le gouvernement n’aurait alors d’autre choix que de rétablir le contrôle des changes et d’augmenter drastiquement les droits de douanes. Autrement dit, les Français ne pourraient sortir leurs deniers de l’Hexagone sans autorisation de la Banque de France. « Peu importe » diront certains, puisque cela permettrait de taxer les patrimoines au maximum sans possibilité d’échappatoire. De plus, la Banque de France pourrait également activer la « planche à billets » et monétiser la dette publique. Le problème de ce scénario, qui pourrait paraître idyllique à certains, est que la crédibilité de la France en sortirait particulièrement amoindrie sur la scène internationale. De plus, en créant de la monnaie ex-nihilo, c’est-à-dire sans création de richesse correspondante, l’inflation flamberait vers les 8 %, ce qui grèverait encore le peu de pouvoir d’achat des Français et aggraverait la récession. Quant à la taxation excessive des patrimoines et des entreprises, elle se traduirait par un nouvel écroulement de l’investissement et de la consommation, donc par une exacerbation de la récession, avec toutes les conséquences sociales dramatiques que cela engendrerait. Déjà « à fleur de peau », les populations défavorisées deviendraient incontrôlables, ce qui finirait par provoquer des émeutes, voire une guerre civile.
En conclusion, si la sortie de la zone euro est tout à fait possible, il faut savoir qu’elle se traduirait forcément par une récession aggravée et durable, par une crise sociale sans précédent, mais aussi des guerres civiles, voire un conflit militaire. Bref, l’Europe et le monde s’engageraient dans un « trou noir ». Or, n’oublions pas que les Français n’ont jamais connu de grave crise depuis l’après-guerre, c’est-à-dire avec une forte baisse du PIB pendant plusieurs années. Dès lors, leur réaction face à un profond marasme social pourrait être catastrophique. Et l’Histoire nous a montré que lorsqu’une révolution commence dans l’Hexagone, elle peut durer longtemps et très mal se terminer. A l’évidence, le jeu n’en vaut vraiment pas la chandelle et, même si elle doit être ajustée, voire modifiée, la zone euro doit être sauvée.
Marc Touati