Souvenez-vous : « et 1, et 2 et 3 – 0 ! » C’était il y a presque 20 ans, précisément le 12 juillet 1998. Pour la première fois de son histoire, l’équipe de France remportait la coupe du monde de football. A l’époque, tout paraissait formidable puisqu’en plus de son exploit sportif, l’Hexagone retrouvait enfin le chemin de la croissance forte, après huit ans d’errance dans l’atonie économique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : alors qu’il n’avait progressé en moyenne que de 1,4 % par an de 1991 à 1997, le PIB français a brusquement bondi de 3,6 % en 1998, puis de 3,3 % en 1999 et enfin de 4,1 % en 2000. A l’évidence, nous ne sommes pas près de retrouver de telles performances. C’est d’ailleurs ce qui a amené certains esprits étriqués à laisser croire que si la France a connu une vigueur économique si impressionnante, c’est grâce à sa victoire au Mondial 1998, puis à celle de l’Euro 2000.
Dans ce cadre, certains, notamment du côté de l’Elysée (mais pas seulement), se mettent alors à rêver à un nouveau triomphe français en 2018, qui pourrait faire oublier tous les échecs économiques et politiques des quinze dernières années, puis relancer durablement la confiance, donc la croissance et, enfin, faire baisser fortement le chômage. Si ce raisonnement peut apparaître plaisant, il est pourtant complètement erroné.
En effet, si la croissance française a été forte de 1998 à 2000, ce n’est pas parce que la France a remporté la coupe du monde puis la coupe d’Europe de foot, mais parce que les fondamentaux économiques internationaux étaient très favorables. Et pour cause : la révolution internet battait son plein à travers la planète, le baril de pétrole valait entre 10 et 20 dollars, la croissance mondiale était forte, atteignant même 4,7 % en 2000, l’euro oscillait autour des 0,90 dollar, la situation géopolitique internationale était globalement stable. Bref, comparativement aux crises qui allaient suivre, notamment après le 11 septembre 2001 et le 15 septembre 2008, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Tout allait tellement bien que, dans l’Hexagone, le gouvernement de l’époque, dirigé par Lionel Jospin, s’employait à augmenter les dépenses publiques structurelles, en utilisant les recettes fiscales supplémentaires liées au regain conjoncturel d’activité. On nous parlait alors de « cagnotte ». Autrement dit, alors que le moteur tournait déjà à plein régime grâce à un contexte mondial très porteur, on n’hésitait pas à dépenser davantage de carburant, ce qui allait finalement noyer le moteur quelques trimestres plus tard. Seulement voilà, tous les politiciens et économistes bien-pensants de l’époque imaginaient que la France était portée par une vague d’optimisme durable et qu’à l’image de son équipe de football, rien ne pouvait l’arrêter. Quel manque de lucidité !
Bien entendu, une victoire de l’équipe nationale au Mondial de foot ou dans une autre compétition internationale joue positivement sur le moral collectif. Pour autant, elle ne constitue que la cerise sur un gâteau qui doit être préalablement conséquent. Avoir la cerise sans le gâteau ne sert pas à grand-chose… A titre d’illustration, les nombreuses victoires de l’Espagne au foot, au basket, au tennis et tutti quanti depuis la fin des années 2000 n’ont pas permis à l’économie espagnole d’éviter la crise et encore moins de retrouver le chemin de la croissance forte. Cette dernière n’est revenue qu’à partir de 2015, alors que l’Espagne n’a pas remporté de championnat du monde sportif. En 1994, le Brésil remporte le Mondial, mais son inflation avoisine les 2 000 %. En 1982, c’est au tour de l’Italie d’empocher le trophée, mais cela ne lui permet pas d’éviter la récession. En 1978, l’Argentine organise et gagne la coupe du monde, mais reste engoncée dans la crise économique… En résumé, laisser croire qu’une victoire au Mondial de foot peut effacer la réalité économique relève de la gageure ou plus exactement du mensonge.
Pour autant, il faut reconnaître que les divertissements et les jeux publics peuvent temporairement détourner les esprits d’un quotidien difficile. C’était déjà le cas au temps de la Rome antique, ce l’est, par définition, encore plus aujourd’hui, dans un monde où les apparences sont reines et où les médias sont rois. Et ce, a fortiori dans une France et une Europe toujours marquées par une réelle fragilité économique sociale et politique. La question est donc simple : comment éloigner le spectre du retour de la croissance molle et détourner le prisme médiatique des difficultés économico-politiques franco-européennes ? Dans une dictature, la réponse aurait été simple, mais comme fort heureusement, nous sommes en démocratie, la seule solution réside dans la réalisation d’un évènement international encore plus fort que les vicissitudes de la politique économique et qui permette enfin de penser à autre chose. Une catastrophe géopolitique n’est évidemment pas souhaitable, non seulement pour des raisons humanitaires, mais aussi parce qu’elle ne ferait que mettre de l’huile sur le feu. Non, le seul évènement qui puisse nous éloigner durablement de la psychose d’une nouvelle crise est forcément sportif pour ne pas dire festif.
Le Mondial de foot tombe donc à pic pour occuper les esprits et monopoliser la scène médiatique. Les buts, les cartons jaunes, les « ola » et autres coups francs vont donc pouvoir faire oublier la croissance molle, les déficits publics ou encore les grèves. En trois mots : Vive le Mondial ! En espérant simplement que les résultats sportifs ne seront pas à l’aune de la réalité économique et que les pays de la zone euro et en particulier la France ne seront pas laminés par les pays dits « petits » et/ou « émergents »…
Une chose est sûre : quelle que soit l’issue de la compétition, les réalités économiques hexagonales reprendront très vite le dessus : rechute de la croissance, remontée du chômage, déficits publics plus élevés qu’annoncés par le gouvernement, tensions sociales exacerbées… En attendant, ayons donc une petite pensée pour celles et ceux qui n’aiment pas le foot et n’auront donc même pas le loisir de profiter du mois à venir pour oublier les difficultés économiques nationales et européennes…
Marc Touati