Après un mois d’avril particulièrement difficile en termes d’activité économique, notamment à cause des nombreuses grèves, qui ne sont d’ailleurs malheureusement toujours pas terminées, le mois de mai s’annonce encore plus catastrophique. Non parce qu’il correspond au cinquantième anniversaire de mai 68. Non parce que le printemps a toujours du mal à arriver dans le ciel hexagonal. Non parce que les risques géopolitiques internationaux s’intensifient. Mais surtout parce que le nombre de jours travaillés risque d’être l’un des plus faibles de l’histoire française récente.
En effet, le hasard du calendrier a fait en sorte que les 1er et 8 mai tombent un mardi, permettant à bon nombre de salariés de « faire le pont » en intégrant un lundi, voire un vendredi qui est déjà bien souvent considéré comme acquis « grâce » aux fameuses RTT.
Pire, avec le jeudi de l’ascension, certains n’hésiteront certainement pas à réaliser un pont allongé, voire un « viaduc de Millau » entre le 5 et le 13 mai inclus, voire depuis le 27 avril au soir.
De même, alors qu’il a été déclaré jour de solidarité en 2005, le lundi de pentecôte est, dans les faits, redevenu « férié », permettant ainsi à certains salariés français de prolonger le farniente : là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir.
Au total, il n’y aura donc qu’une seule semaine de 5 jours complète au mois de mai 2018 : celle du 14.
Mais ce n’est pas tout, car, selon toutes vraisemblances, les mouvements de grève commencés en avril devraient encore se prolonger en mai, ce qui risque de coûter encore cher à l’économie française (comme nous l’expliquions dans notre « Humeur » de la semaine dernière).
En outre, pour ne rien arranger dans ce mois de mai gruyère où les trous sont plus importants que le fromage, le tournoi de Roland Garros commencera le 27 mai, avec son lot traditionnel d’absentéisme officiel et officieux.
Enfin, et pour prolonger le plaisir en juin, les internationaux de France de tennis seront presque immédiatement suivis par la coupe du monde de football qui aura certes lieu en Russie, mais qui ne manquera pas de distraire les « forces vives » de l’économie française. Autant dire que, depuis le lundi de Pâques qui, cette année, est en plus tombé relativement tôt, en l’occurrence le 2 avril, et jusqu’au mois de juin, donc jusqu’au mois de septembre (les mois de juillet-août étant traditionnellement au ralenti dans l’Hexagone), la motivation au travail ne sera pas des plus fortes.
Dans ce cadre, les entreprises risquent d’être contraintes de réduire les cadences de production, voire tout simplement de suivre le mouvement et de fermer boutique le temps des ponts et/ou d’imposer à leurs salariés de prendre leurs RTT ces mêmes jours. Pour les personnes travaillant dans le domaine commercial, principalement dans le B to B (c’est-à-dire dans les relations commerciales professionnelles entre entreprises), il est clair que de tels phénomènes constituent des manques à gagner considérables.
Manque de chance, cette désaffection des forces vives nationales va de pair cette année avec un ralentissement notable de la croissance économique mondiale, européenne et française en particulier. Dès lors, ce qui aurait pu être facilement absorbé en temps normal risque de nous coûter plus cher aujourd’hui.
En termes de chiffrage en dixième de point de croissance, il est possible d’estimer que les ponts et viaducs du mois de mai 2018, ajoutés aux jours de grèves d’avril retireront environ 0,3 point à la croissance française au deuxième trimestre, ce qui pourrait engendrer une baisse du PIB au cours de ce dernier.
La question est alors de savoir s’il y aura ou non un effet de rattrapage haussier par la suite. Compte tenu de la faiblesse récurrente de la consommation, du ralentissement de fond dans lequel est engagée l’économie française, sans oublier la baisse récente du moral des ménages et des chefs d’entreprise, le scénario du rattrapage est très peu probable. Dès lors, nous continuons d’anticiper une croissance française qui sera d’au mieux 1,4 % cette année.
En fait, il n’y a guère que les professionnels du tourisme et de la restauration qui devraient quelque peu profiter de la situation. Et encore, n’oublions pas qu’avec ou sans pont, lorsque le pouvoir d’achat est faible, les dépenses en hôtellerie, loisirs et restauration ont du mal à flamber. Tout au plus leur légère augmentation réussira-t-elle à compenser une petite partie des pertes enregistrées dans l’industrie et le commerce professionnel.
Il s’agit d’ailleurs peut-être là d’un aperçu de ce qui attend l’économie française à l’horizon des quinze prochaines années. A savoir, de moins en moins d’industrie, de services aux entreprises, de recherche de pointe et aussi de moins en moins de travail. « En échange », la France aura droit à de plus en plus de loisirs, de tourisme, de services à la personne… Bref, la France deviendra un géant Disneyland où le mois de mai durera toute l’année.
Peut-être idyllique pour certains, il faut néanmoins savoir que moins un pays travaille, moins son PIB augmente et plus le pouvoir d’achat se dégrade. De 1990 à 2016, la France est d’ailleurs l’un des pays au monde où le volume d’heures travaillées a le moins augmenté, seulement 1,5 %. Or, sur la même période, ce même volume d’heures travaillé a augmenté de 30 % aux Etats-Unis. Coïncidence qui n’en est pas une, toujours sur ces 26 dernières années, le PIB français hors inflation a augmenté de 50 %, contre une hausse de 100 % pour celui de l’Oncle Sam.
Nous retrouvons là l’une des règles de base de l’économie et plus globalement de la vie : on n’a que ce que l’on mérite. Mais comme le dit la chanson : chacun fait ce qui lui plaît, surtout au mois de mai….
Marc Touati