Après les tours d’illusionnistes de Michel Sapin en 2015-2016 à propos des déficits publics français, c’est donc au tour de Bruno Le Maire de reprendre la baguette magique de Garcimore. Cette fois-ci, il faut dire que le jeu en vaut la chandelle. En effet, pour la première fois depuis 2007, le déficit public de la France est passé sous la barre des 3 % du PIB, à précisément 2,6 %, contre 3,4 % en 2016 et encore 4,1 % en 2013. En un mot : Magnifique !
Seulement voilà, nous sommes au regret de souligner que ce repli, plus fort qu’attendu, s’explique essentiellement par des éléments non-extrapolables telles que la faiblesse des taux d’intérêt des obligations de l’Etat français et l’augmentation conjoncturelles des recettes fiscales. Ces dernières ont effectivement été tirées par l’embellie de croissance du second semestre, qui a d’ailleurs disparu dès le début 2018, mais aussi par l’augmentation des taux d’imposition et, dans une moindre mesure, par le retour de certains exilés fiscaux. Dans le même temps, comme le PIB de 2017 a été révisé à la hausse, le ratio déficit/PIB en a mathématiquement bénéficié.
En revanche, ce que M. Le Maire et consorts oublient de souligner c’est que le ratio prélèvements obligatoires / PIB a flambé de 0,8 point en 2017, à 45,4 %, un nouveau record historique ! Rappelons qu’en 2016, la France était déjà le deuxième pays de l’OCDE pour le poids de ses prélèvements obligatoires, juste derrière le Danemark à 45,9 %.
Parallèlement, les recettes fiscales ont explosé de 4 % et leur poids dans le PIB a augmenté de 0,7 point l’an passé à 53,9 %, encore un record absolu. Autrement dit, si le déficit public a autant baissé c’est bien parce que les impôts au sens large ont plus augmenté que le PIB, ce qui est loin d’être une victoire, car cela signifie que cet excès d’impôts nuira forcément à la croissance dès 2018.
Mais il y a encore plus problématique. En effet, bien loin des annonces régulières de baisse des dépenses publiques, ces dernières ont encore fortement augmenté en 2017. Leur progression a effectivement atteint 2,5 %, un plus haut depuis 2012. Cette poussée est d’autant plus incompréhensible que la croissance du PIB a été de 2 % l’an passé, avec un glissement annuel de 2,5 % fin 2017, un sommet depuis 2007. Il y a donc vraiment un problème dans la politique budgétaire française : car si, à la rigueur, il est possible d’admettre une augmentation soutenue des dépenses publiques lorsque l’activité bât de l’aile, cela devient inadmissible lorsque la croissance est au beau fixe.
Le pire est qu’en dépit du caractère provisoire des facteurs explicatifs de la baisse du déficit public et de l’augmentation intempestive des dépenses publiques, le gouvernement laisse entendre que, dans la mesure où le déficit a baissé plus que prévu en 2017 et devrait continuer sur cette tendance en 2018 (selon les prévisions gouvernementales), l’Etat français dispose désormais d’une marge de manœuvre pour augmenter encore les dépenses publiques. C’est d’ailleurs ce qui est d’ores et déjà prévu dans le budget de cette année. Avec un déficit public de 59,3 milliards d’euros et une dette publique de 2 218,4 milliards d’euros, il faut quand même oser…
Nous voilà donc repartis en 2000, lorsque, grâce à une croissance économique plus forte qu’anticipé (qui était tout de même de 3,6 % par an de 1998 à 2000, contre 1 % de 2012 à 2017), le gouvernement Jospin évoquait la formation d’une « cagnotte ». Dès lors, plutôt que de profiter de l’amélioration exceptionnelle et temporaire de la croissance pour réduire le déficit public structurel, celui-ci a au contraire transformé le regain de recettes conjoncturelles en une augmentation des dépenses publiques, qui, par définition, sont structurelles, donc définitives.
Parallèlement, les dirigeants français de l’époque ont choisi de réduire la durée légale du travail et par là même d’en augmenter le coût, tout en rigidifiant le marché de l’emploi. Ensuite, il y eut le krach Internet, les attentats du 11 septembre 2001, la guerre en Afghanistan, et la croissance forte disparut pour ne plus jamais revenir, du moins dans l’Hexagone. Aussi, dès que la croissance française est retombée vers un niveau plus « normal » (c’est-à-dire autour de 1 %), les déficits publics ont de nouveau explosé. Merci la « cagnotte » !
Le pire est que cette stratégie court-termiste, destinée notamment à permettre à Lionel Jospin d’accéder à la présidence de la République, ne lui a pas porté bonheur puisqu’il ne passa même pas le premier tour des élections présidentielles de 2002. De quoi rappeler que lorsque le politique et le marketing l’emportent sur l’économique, le retour de bâton est généralement très douloureux.
Malheureusement, les gouvernements passent, mais les erreurs (pour ne pas dire les horreurs) économiques se perpétuent. Ainsi, pâtissant d’une popularité en berne et refusant de tirer les leçons des erreurs du passé, les dirigeants actuels veulent continuer d’augmenter la dépense publique. Certains prônent même la mise en place d’une forte relance budgétaire. Nous nageons en pleine utopie et surtout dans des eaux très dangereuses.
Car ne nous leurrons pas : les facteurs exceptionnels qui ont permis de réduire le déficit public en 2017 ne seront pas renouvelés en 2018. D’ores et déjà, le ralentissement économique a commencé et la poursuite d’un euro trop fort, ainsi que la remontée des cours des matières premières ne vont pas arranger la situation. La croissance française ne sera donc certainement pas de 2 % cette année, mais plutôt comprise entre 1,2 % et 1,5 %, ce qui signifie plus de chômage, moins de recettes fiscales et plus de dépenses sociales.
Parallèlement, la faiblesse des taux d’intérêt obligataires ne sera pas éternelle et devrait même laisser place à une nette augmentation d’ici l’automne prochain. Dans ce contexte, il est clair que le déficit public français ne baissera pas en 2018. Il pourrait même remonter vers les 3,0 %. Une évolution qui ne manquera évidemment pas de fragiliser davantage la crédibilité de la France en matière budgétaire. Quel dommage !
Marc Touati