Depuis le fameux 2 février 2018 et la publication d’une augmentation annuelle du salaire horaire de 2,9 % aux Etats-Unis, un vent de panique s’est subitement installé sur les marchés financiers : « Au secours, l’inflation revient ! ». Certes, après six ans de faible inflation des deux côtés de l’Atlantique, dont une année de déflation en 2015, les Etats-Unis, et dans une moindre mesure la zone euro, retrouvent (enfin !) le chemin de l’augmentation durable des prix. Ainsi, alors qu’il était encore négatif en mai 2015, le glissement annuel des prix à la consommation eurolandais oscille entre 1,3 % et 2 % depuis un an. Ce qui reste finalement très limité au regard de la « planche à billets » pléthorique qu’a actionné la BCE depuis 2015 et qui continue d’ailleurs de tourner pour pas grande chose.
Chez l’Oncle Sam, le glissement annuel des prix à la consommation a atteint un sommet de 2,7 % en février 2017, pour finalement se stabiliser entre 1,6 % et 2,1 % depuis l’été dernier. Là aussi, compte tenu de la « planche à billets » de la Fed entre le début 2009 et la fin 2014, d’une politique monétaire toujours très accommodante depuis lors, mais aussi de la dépréciation du dollar et de la remontée des cours des matières premières, sans oublier le plein-emploi, l’inflation américaine reste des plus contenues.
Pour autant, il a suffi d’une petite étincelle sur les salaires aux Etats-Unis pour rallumer les lanternes des monétaristes invétérés qui n’ont pas tardé à annoncer le retour de l’hyperinflation. Soyons sérieux : les risques d’avènement de cette dernière sont extrêmement faibles, voire inexistants. Et ce pour au moins six raisons.
Premièrement. L’augmentation récente de l’inflation n’est qu’un effet de correction de la faiblesse passée et une conséquence logique de l’augmentation des cours des matières premières.
Deuxièmement. En dépit d’une inévitable augmentation liée à la bonne tenue de la croissance mondiale, les prix des matières premières ne devraient pas flamber comme en 2007-2008. En effet, en 2007, après avoir déjà atteint 5,5 % l’année précédente, la croissance mondiale était de 5,7 %. Or, après un « petit » 3,5 % en 2017, celle-ci devrait ralentir vers les 3,2 % en 2018. De plus, pour ne parler que du pétrole, n’oublions pas que l’offre mondiale d’or noir reste encore supérieure à la demande, réduisant par là même les risques de pénuries à venir. Autrement dit, si un baril entre 65 et 70 dollars nous paraît justifié, un baril à 100 dollars et au-delà semble exclu.
Troisièmement, compte tenu du caractère modéré de la croissance mondiale, l’inflation par la demande restera contenue. Et ce d’autant que les risques politiques et géopolitiques qui pèsent sur la sphère économico-financière internationale empêcheront toute euphorie.
Quatrièmement, cette croissance modérée ne permettra aucunement de tendre les taux d’utilisation des capacités de production sur des niveaux élevés. Et ce d’autant que ces derniers demeurent relativement bas. Autrement dit, de nombreux mois s’écouleront encore avant que les capacités de production soient utilisées à plein, empêchant ainsi tout risque de flambée des coûts de production, donc, in fine, de l’inflation.
Cinquièmement, dans le prolongement de la faiblesse des tensions exercées sur l’appareil productif, le chômage demeure élevé dans de nombreuses parties du globe, en particulier en Europe (excepté en Allemagne et au Royaume-Uni). Autant dire que la flambée des salaires qui pourrait être un prélude à une forte hausse des prix n’est ni pour demain, ni pour après-demain. Et même aux Etats-Unis, où le plein-emploi règne, la progression des salaires est et demeurera limitée.
Sixièmement, rappelons-nous que même si la croissance est plus vigoureuse que prévu (ce qui reste peu probable, en particulier en Europe), le fort degré de concurrence internationale empêchera les entreprises d’augmenter leurs prix de façon excessive. Et même si les coûts de production progressent et progresseront encore dans les pays émergents, les marges de gains de productivité et de réduction de coûts demeurent très élevées à travers la planète.
Au total, le risque d’hyperinflation et même d’une inflation nettement et durablement supérieure à 3 % apparaît hautement contenu. Il est donc urgent de calmer les ardeurs des monétaristes, en particulier à la Banque Centrale Européenne et à la Fed. Il s’agit d’ailleurs là de l’un des principaux risques de l’année 2018. Car si, par excès d’orthodoxie, la BCE et la Fed « s’amusent » à resserrer trop rapidement et/ou trop fortement leur politique monétaire, la « reprise » économique risque de partir en fumée. En particulier dans la zone euro, qui demeure toujours fragilisée par un taux de chômage trop élevé et un euro trop fort. Les derniers indicateurs avancés ont d’ailleurs montré que la rechute a déjà commencé.
Plus fondamentalement, il ne faut pas oublier l’essentiel : un peu d’inflation n’a jamais tué personne. Bien au contraire, une inflation comprise entre 2 et 3 % est normale en phase de reprise et peut même dynamiser la consommation, donc la croissance, puis l’emploi.
En effet, elle permet aux entreprises de mieux répercuter l’augmentation des coûts sur les prix de vente, donc de maintenir un niveau appréciable de leurs marges et des salaires qu’elles distribuent. De plus, un peu d’inflation incite les ménages à ne pas différer leurs achats mais, au contraire, à dépenser au plus vite. Une dynamique de la demande s’installe alors, créant plus d’emplois, donc plus de revenus et plus de consommation.
Le retour d’une inflation entre 2 % et 3 % n’est donc pas dangereux mais, au contraire, souhaitable car il confirmera que la crise et les risques de déflation sont bien derrière nous. Et ne l’oublions pas : mieux vaut une inflation à 2 %, avec une croissance à 2,5 %, qu’une inflation de 0 %, avec un PIB en baisse de 2 %…
Marc Touati