Bull ou bear, les marchés ne connaissent pas la mesure.

Chaque jour sur les marchés financiers, les « ours » (bears) et les « taureaux » (bulls) s’affrontent, les premiers défendant la baisse des cours boursiers, les seconds tentant de justifier le contraire. Cette sémantique animalière ne fait finalement que refléter les « animal spirits » (instincts animaux) explicités par Keynes dans les années 1920 pour expliquer le mimétisme qui prévaut structurellement sur les marchés financiers. En effet, il arrive très régulièrement et de manière structurelle que le combat entre les « bulls » et les « bears » soit perdu ou gagné d’avance. Il s’agit alors de périodes de bulle au cours desquelles les inquiétudes sont oubliées ou du moins galvaudées, et de l’autre côté du prisme des possibles, des situations de krach brutal ou rampant, pendant lesquelles l’optimisme est honni.

Au cours de ces phases, les économistes, analystes ou encore stratégistes sont évidemment tentés de suivre le mouvement pour « coller au marché » et faire plaisir au consensus ou encore aux clients. Mais, de la même façon que sur les marchés, il existe une corrélation forcément positive entre le risque et le rendement, ce comportement suiviste de certains prévisionnistes se traduit, certes, par une prise de risque réduite, mais aussi par une crédibilité limitée. Autrement dit, dans leur grande majorité, les investisseurs, les petits porteurs et les clients au sens large ne demandent certainement pas aux prévisionnistes d’avoir toujours raison et encore moins de suivre bêtement le consensus. Ce qui leur importe avant tout réside dans la construction de prévisions indépendantes, argumentées et si possible originales (dans le sens où elles sont bien le fruit du travail du prévisionniste et non pas le résultat de l’observation du consensus de marché). Il faut reconnaître qu’en phase de « bull » ou de « bear market », cette stratégie n’est pas tous les jours facile. Néanmoins, elle est la seule qui soit à la fois honnête et déontologiquement défendable.

A titre d’illustrations, c’est ce que nous avons vécu lors de la « descente aux enfers » de septembre 2007 à mars 2009 et lors de la montée au « paradis artificiel » du printemps 2016 à la fin 2017. En effet, dans ces deux cas, il n’y avait plus de combat visible entre « bulls » et « bears ». Dans le premier, seuls les « bears » avaient droit de cité et surtout toutes les nouvelles étaient forcément perçues par le mauvais bout de la lorgnette. A l’inverse, dans le second cas, rien ne pouvait contrarier le mouvement haussier, y compris les risques financiers, politiques, économiques et même terroristes.

C’est en cela qu’un mouvement haussier peut devenir aussi dangereux qu’une tempête baissière, pour la simple raison qu’ils correspondent tous les deux à une situation d’aveuglement collectif. A une différence notable près : plus le « bear market » est excessif plus la remontée sera forte et donc bénéfique à ceux qui osent combattre la pensée dominante. Réciproquement, plus la bulle est exubérante plus la dégringolade sera massive, avec toutes les pertes que cela suppose.

En fait, le seul moyen de se protéger réside dans l’achat d’options d’achat ou de vente en fonction de la situation du marché. Dans ce cadre, une question s’impose : dans la mesure où il n’est pas possible de se battre contre le vent, à quoi cela peut-il donc bien servir de faire des prévisions ?

Selon nous, face à de telles vagues de fond, le but principal des prévisions doit consister à rappeler les niveaux d’équilibre en fonction des fondamentaux économiques. Et ce, pour la simple raison qu’à moyen terme, les marchés se reconnectent toujours vers ces derniers. C’est notamment ce qui nous a permis d’être presque les seuls à annoncer un rebond boursier en mars 2009, en plein « bear market », et d’être également parmi les très rares à oser dire que les excès des marchés de ces derniers dix-huit mois seraient forcément corrigés à moyen terme.

Dans ce travail de prise de recul et de pédagogie, le plus difficile reste néanmoins de déceler les points de retournement. S’il n’y a évidemment pas de recette miracle, l’expérience nous a montré que les phases de retournement sont généralement précédées par une forte augmentation de la volatilité.

Autrement dit, la psychologie du marché passe du calme plat de la pensée unique au bouillonnement du questionnement et des incertitudes. Ainsi, début 2009, en pleine tendance baissière, certains signaux économiques commençaient à indiquer que le pire n’était plus certain. En quelques semaines, les « bearish » perdaient ainsi leur suprématie et n’étaient plus dominateurs. Ils restaient certes encore majoritaires, mais insuffisamment pour empêcher l’espoir de renaître. Autrement dit, le combat entre les « bulls » et les « bears » pouvait reprendre.

Depuis le début 2018 et surtout depuis le 5 février, un mouvement réciproque est en train de s’observer. Tout d’abord, l’euphorie a laissé la place au doute. Ensuite, la volatilité a flambé de façon presque historique. Enfin, les statistiques économiques commencent à confirmer le ralentissement. Evidemment, l’issue du match est toujours loin d’être acquise, mais les investisseurs ne sont désormais plus obligés de regarder dans un seul et même sens.

Le drame est que les marchés risquent très vite de passer de l’euphorie à la déprime. Pire, les arguments des « bullish » d’hier pourraient rapidement se retourner contre ces derniers. Ainsi, la faiblesse des taux d’intérêt des banques centrales, qui justifiaient l’allégresse d’hier, pourrait très vite devenir un handicap, indiquant qu’en cas de ralentissement trop marqué, les autorités monétaires et budgétaires mondiales n’auront pas de marge de manœuvre pour relancer la machine.

En conclusion, après encore deux à trois mois de forte volatilité avec régulièrement des poussées de « fièvre acheteuse », l’horizon boursier devrait malheureusement encore se dégrader jusqu’à la fin 2018. Comme d’habitude, il sera amusant de voir comment les « taureaux » déchaînés d’hier se transformeront en « ours » enragés demain. Quant à nous, nous soulignerons alors qu’après avoir trop monté, les marchés iront trop loin à la baisse. Comme en 2009, nous redeviendrons alors des optimistes dans un monde de pessimistes. Comme disait Einstein : tout est relatif…

Marc Touati