Au cours de la semaine écoulée, de nombreux investisseurs, opérateurs de marchés et économistes, y compris votre serviteur, ont tenté de répondre à la question suivante : la forte baisse des marchés boursiers observés du 20 janvier au 5 février 2018 constitue-t-elle un krach ou une simple correction ?
Pour être très honnête, cette question relève plus de la sémantique que de l’analyse financière. En effet, une sorte de convention consensuelle mais non-scientifique voudrait que l’on parle de krach à partir d’une baisse d’environ 20 %. Pourquoi pas 10 % ? Pourquoi pas 30 % ? Personne ne le sait, d’où la futilité de la question ci-dessus.
En fait, la vraie question, que nous posions d’ailleurs dans ces mêmes colonnes en début d’année, est de savoir si les bulles financières qui se sont formées au cours des deux dernières années (bourses, marchés obligataires, bitcoin, immobilier) vont enfin se dégonfler, voire exploser.
Au regard de l’évolution récente des cours boursiers, des taux d’intérêt et du bitcoin, force est de constater que l’exubérance irrationnelle a été stoppée. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : Entre le 29 janvier et le 8 février, le Dow Jones a plongé de 10,4 %, atteignant un plus bas depuis le 28 novembre dernier. Du 23 janvier au 8 janvier, le Cac 40 a chuté de 7 %, tombant, cette fois-ci, à un plancher depuis le 8 septembre 2017.
Parallèlement, du côté des marchés obligataires, le taux d’intérêt des obligations à dix ans de l’Etat américain est passé de 2,12 % le 31 août dernier à 2,86 % le 8 février, un plus haut depuis le 22 janvier 2014. Celui de l’Etat français a augmenté de 0,61 % le 2 décembre à 1 % depuis le 2 février. Rappelons que celui-ci était encore de 0,1 % fin septembre 2016. Même le taux dix ans allemand n’est pas épargné, puisqu’il est passé d’un plus bas historique de – 0,2 % le 5 juillet 2016 à 0,3 % en décembre dernier pour atteindre désormais près de 0,8 %, un point haut depuis juillet 2015.
Quant au bitcoin, il est passé de quasiment 20 000 dollars le 17 décembre 2017 à moins de 6 700 dollars le 5 février, soit une chute vertigineuse de 66,5 %.
Pourtant, en dépit de ces évidences, le consensus bien-pensant reste dans le déni de réalité : « mais non, il n’y a pas de krach, d’ailleurs il n’y a pas de bulle, la preuve : les marchés ont repris des couleurs dès le 6 février » nous disent les spécialistes en tous genres.
Soyons donc sérieux : oui le mouvement d’euphorie des marchés boursiers, obligataires et « bitcoiniens » est terminée. La psychologie des investisseurs a enfin changé. Ces derniers ont effectivement admis que les arbres ne montent pas au ciel et se sont enfin souvenus que les grandeurs financières doivent refléter une réalité économique concrète.
Evidemment, des remontées significatives et temporaires peuvent succéder à de fortes chutes. Il s’agit là d’un phénomène tout à fait normal en phase de retournement des marchés. D’ailleurs, l’indice VIX, calculé par le Chicago Board Options Exchange (CBOE) et qui mesure la volatilité de la bourse américaine (précisément du Standard & Poor’s 500) a subitement flambé le 5 février. En effet, après s’être stabilisé sur des planchers historiques de 2012 à 2017 (à l’exception d’un pic en août 2015 lors du krach temporaire de la bourse chinoise), cet indicateur avancé de la volatilité, donc de la fébrilité, du marché, a flambé en séance à 50,3 un sommet depuis mars 2009.
Pour bien comprendre l’ampleur des dégâts, il suffit d’observer les pics historiques atteints par cet indice : 60 en octobre 1998 lors de l’effondrement des marchés russes, 58 lors du 11 septembre 2001, 58 également lors de la faillite de WorldCom qui marquait le point d’orgue de l’explosion de la bulle internet (entre juin et novembre 2002) et enfin 59 en octobre 2008, au lendemain de la faillite de Lehman Brothers et de la crise bancaire internationale qui en a découlé. Et même, si le VIX a reculé le 6 février, il a ensuite remonté pour se stabiliser autour des 30, qui reste un niveau très élevé.
A l’évidence, n’en déplaise à Donald Trump et à tous ceux qui veulent que la bulle boursière continue, cela fait réfléchir sur l’état de dangerosité des marchés boursiers actuellement.
Il faut donc rappeler des règles de bon sens : pour pouvoir économiquement justifier un Dow Jones à plus de 20 000 points et a fortiori à 26 000, il faudrait que la croissance du PIB mondial soit comprise durablement entre 8 % et 9 % hors inflation. Or, après avoir atteint 3,5 % en 2017, celle-ci devrait ralentir vers les 3,2 % cette année. Il s’agira donc certes d’une performance très honorable, mais toujours très largement inférieure à celle qui pourrait justifier l’envolée des marchés boursiers au cours de l’année écoulée.
Bien entendu, dans leur souci de calmer les marchés coup de « morphine », les banques centrales pourront encore injecter des liquidités. C’est d’ailleurs ce qu’a fait la Réserve fédérale dès le 6 février. Il ne s’agira cependant que d’un palliatif temporaire, le même qui est d’ailleurs utilisé depuis deux ans pour éviter une correction des marchés boursiers et obligataires.
Seulement voilà, plus on retarde l’échéance de la reconnexion des marchés avec la réalité économique, plus la curée sera forte et douloureuse. Là où le bât blesse c’est qu’en cas de krach durable, les autorités monétaires et budgétaires mondiales (à quelques exceptions près, et notamment en Allemagne et en Chine) n’ont aucune marge de manœuvre pour relancer la machine. La fête est donc bien finie et la gueule de bois risque malheureusement de durer longtemps.
Marc Touati