Flambée boursière a priori inextinguible des deux côtés de l’Atlantique, valorisation extravagante des GAFAM et surtout de nombreuses entreprises du numérique n’ayant jamais réalisé le moindre profit, taux d’intérêt obligataires anormalement bas, euro à 1,20 dollar, explosion de la dette privée en Chine, engouement écervelé pour le bitcoin et les cryptomonnaies, cours immobiliers historiquement élevés à Paris. A l’évidence, les anomalies financières ne manquent pas.
Pourtant, en dépit du bon sens, des avertissements et des règles de base de l’économie, la quasi-totalité des investisseurs, des régulateurs, des économistes et des observateurs en tout genre des marchés financiers trouve cela tout à fait normal et se refuse à parler de « bulles ».
Et ce, moins de dix ans après la dernière grave crise économico-financière qui a failli plonger le monde dans une dépression au moins aussi grave que celle de 1929. A croire que la cupidité et l’oubli sont plus forts que le réalisme et l’apprentissage des erreurs du passé.
Pourtant, je l’ai souvent écrit en 2008-2009, l’une des grandes forces de « l’homo economicus » est justement de réussir à tirer les leçons de ses erreurs passées pour ne pas les rééditer. C’est par exemple grâce à cette capacité de discernement et de remise en question que le monde a pu éviter le pire en 2009, en ne commettant pas les mêmes erreurs qu’en 1929. A l’époque, l’ultra-libéralisme régnait en maître et lorsque la crise a commencé puis s’est installée dans les années 1930, les autorités monétaires et budgétaires n’ont absolument pas réagi. Elles ont notamment laissé les banques faire faillite, entraînant une banqueroute généralisée des entreprises et des ménages.
A l’inverse, au lendemain de la crise de 2008, la planète dans son ensemble a mené une politique de relance budgétaire pharaonique pour un montant de 5 000 milliards de dollars. Grâce à cette débauche de moyens, la croissance mondiale a logiquement rebondi fortement. De plus, à la différence de celle de 1981 en France, cette relance a été internationale et n’a pas engendré une forte inflation pour la simple raison que les forces en présence à travers la planète étaient déflationnistes.
En outre, grâce à l’action des Banques centrales, qui ont inondé les marchés obligataires de liquidités, les taux d’intérêt à long terme n’ont pas augmenté, et ont même baissé pour atteindre parfois des niveaux nuls, voire négatifs. La relance keynésienne a donc bénéficié d’un contexte parfait : faible inflation, politiques monétaires ultra-accommodantes et taux d’intérêt des obligations d’Etat excessivement bas.
Pour autant, une carence demeure : que ce soit aux Etats-Unis, au Japon, en Europe et en France, l’augmentation des dépenses publiques n’est pas parvenue à relancer fortement la croissance. Une relation inversée semble même s’être imposée, puisque plus les premières ont progressé, plus la seconde est devenue molle.
C’est en cela que les relances budgétaires pléthoriques et les « planches à billets » démentielles des banques centrales à travers la planète (plus de 4 000 milliards de dollars aux Etats-Unis et de 3 000 milliards d’euros dans l’UEM) sont devenues dangereuses. En effet, ces gabegies n’ont pas réussi à instaurer une croissance forte, mais ont créé une multitude de bulles financières à travers la planète.
Encore plus grave, par peur de susciter une rechute, les banques centrales et les Etats n’ont toujours pas le courage de siffler la fin de la récré et de provoquer un dégonflement en douceur de ces bulles. Ainsi, la Fed se refuse à augmenter trop fortement ses taux directeurs en dépit du plein-emploi et de l’augmentation de l’inflation. De même, la BCE a certes réduit l’ampleur de sa « planche à billets » mais refuse de la stopper. Parallèlement, à l’exception de l’Allemagne, des Pays-Bas et de quelques autres, la plupart des pays occidentaux continuent d’augmenter leur dette publique. A commencer par les Etats-Unis, qui atteindront de nouveau le plafond de dette autorisé par le Congrès d’ici l’automne prochain.
La France va encore plus loin, puisqu’elle est l’un des rares pays de l’OCDE, pour ne pas dire le seul, a continué d’augmenter sa dépense publique, en dépit de l’inefficacité criante d’une grande partie de cette dernière. Dès lors, elle prend le risque d’un violent retour de bâton, lorsque les investisseurs reprendront leurs esprits
C’est d’ailleurs en cela que la reprise récente de l’économie française ne peut être que temporaire. En effet, le rebond de croissance de ces derniers trimestres n’est qu’un effet de correction de la faiblesse passée, associé à un alignement des planètes exceptionnel. A présent que les planètes se désalignent (notamment via l’augmentation des cours des matières premières et de l’euro), la réalité structurelle va reprendre le dessus : trop de pression fiscale, trop de rigidités, un manque criant de modernisation du modèle économique et social hexagonal. Autant de handicaps qui engendreront un net ralentissement de la croissance française d’ici l’automne prochain.
Cependant, en dépit de ces évidences, les marchés obligataires et boursiers restent aveugles et sourds. D’où une question simple : jusqu’à quand ?
C’est là tout le problème avec les bulles : c’est lorsqu’elles approchent de leurs fins qu’elles deviennent les plus extravagantes. Autrement dit, il est très probable que l’exubérance irrationnelle des marchés continue encore quelques mois. Seulement voilà, plus les bulles iront loin, plus leur dégonflement, ou plutôt leur éclatement, sera violent, avec tous les désagréments que cela entraînera sur l’activité et l’emploi. Mais chut, tout le monde veut rester endormi et croire que rien de tout cela ne peut nous arriver. Et pourtant…
Marc Touati