La sagesse populaire nous enseigne que « plus c’est gros, plus ça passe ». Autrement dit, plus un mensonge est énorme, plus il est accepté par le plus grand nombre. Les déclarations des dirigeants de la France en matière de baisse des dépenses publiques depuis une trentaine d’années nous en donnent un exemple flagrant. En effet, depuis lors, il n’y a pas eu un Président de la République, un premier ministre, un ministre des finances ou un ministre du budget qui n’a pas osé affirmer au peuple français que les dépenses publiques allaient baisser « l’an prochain ».
Pourtant, bien loin de ces « promesses d’ivrogne », les dépenses publiques n’ont cessé d’augmenter. Elles sont ainsi passé de 180 milliards d’euros en 1979 à 525 milliards en 1990, puis 760 milliards en 2000 et, enfin 1 257 milliards en 2016. En fait, depuis 1959 et le début des statistiques modernes de l’INSEE, les dépenses publiques françaises n’ont JAMAIS baissé. Depuis 1990, les dépenses publiques ont augmenté de 140 %. Sur la même période, les prix ont augmenté de 52 % et le PIB en valeur (donc augmenté de l’inflation) a progressé de 100 %. Et oui, vous ne rêvez pas, les dépenses publiques ont augmenté de quasiment 1,5 fois plus que la richesse créée dans l’Hexagone.
Conséquence logique de cette gabegie de dépenses publiques, le poids de ces dernières dans le PIB est passé de 49,6 % en 1990 à près de 57 % en 2015 et 2016. Un niveau historique pour la France et l’un des plus élevés du monde. En 2016, sur les 192 pays recensés par le FMI, seuls six font « mieux » que nous, ou plutôt pire : les îles Tuvalu (127%), les îles Kiribati (122 %), l’île Nauru (91 %), la Libye (70 %), les îles Marshall (66 %) et le Timor Oriental (64 %). Même les pays scandinaves se sont éloignés de ce « club très select », avec des niveaux de 56 % pour la Finlande, 52 % pour le Danemark et 49 % pour la Suède.
A la rigueur, si cette hausse effrénée des dépenses publiques françaises avait engendré une croissance forte, on pourrait s’exclamer « au diable l’avarice ». Malheureusement, nous en sommes très loin. Et pour cause : depuis 2002, la croissance annuelle moyenne de la France n’est que de 1,1 %, soit la 31ème performance sur les 36 pays de l’OCDE.
Mais ce n’est pas tout. En effet, si nos dirigeants reconnaissaient leurs erreurs et avouaient la réalité aux Français, on pourrait éventuellement leur pardonner. Or, non seulement ce n’est pas le cas, et, en plus, ils persévèrent dans leurs erreurs et leurs mensonges. Ainsi, comme cela s’était déjà observé sous François Hollande, mais aussi depuis une vingtaine d’années, le nouveau gouvernement vient d’annoncer une baisse de 16 milliards d’euros des dépenses publiques pour 2018 : « la plus forte depuis toujours ! » nous dit-on.
Pourtant, une fois encore, il s’agit d’un mensonge. Le même mensonge d’Etat qui prévaut depuis plus de vingt ans. Effectivement, lorsque le ministre des finances annonce une baisse des dépenses, il s’agit en fait d’une moindre hausse par rapport à la « progression spontanée » des dépenses. Ainsi, selon cette évolution tendancielle, les dépenses publiques auraient dû progresser de 1,7 %, alors que, grâce aux « efforts herculéens » du gouvernement, elles ne croîtront que de 0,5 % selon nos estimations. « Formidable ! » se serait écrié Jack Lang dans un autre temps.
Dans ce cadre, il faut être clair : comme cela s’observe depuis 1959, les dépenses publiques continueront de croître. Autrement dit, à cause de ce refus de baisser véritablement et significativement les dépenses, le gouvernement restera incapable de baisser massivement les impôts, condition sine qua non pour relancer la croissance.
Cela signifie donc que la progression du PIB restera molle, que le chômage continuera d’augmenter et que les déficits publics seront bien plus élevés que prévu. Ils seront d’au moins 3,0 % du PIB tant cette année que l’an prochain.
D’où un autre mensonge d’Etat : la baisse du ratio dette publique / PIB. Là aussi, nous faisons face à une erreur basique majeure : la dette n’est autre que le cumul des déficits. Dès lors, si l’on veut baisser le ratio dette/PIB, il faut, soit retrouver un excédent budgétaire, soit retrouver une croissance du PIB plus forte que celle de la dette, soit les deux. Or, aucun de ces scénarios n’est crédible à moyen terme. Autrement dit, comme nous l’annoncions depuis quelques années, la dette publique atteindra bien la barre des 100 % du PIB en 2018.
« Et alors ? » diront certains. On pourrait même ajouter « la note de la France reste l’une des meilleures du monde et les taux d’intérêt des obligations d’Etat n’ont jamais été aussi bas », alors pourquoi se fatiguer à baisser les dépenses publiques, les déficits et la dette ?
C’est bien là qu’est le drame. Car, ne l’oublions pas : de 2000 à 2008, en dépit d’une dette publique de plus de 100 % du PIB et de déficits publics chroniquement élevés, la Grèce aussi a bénéficié de taux d’intérêt historiquement bas. Et puis, un jour, les investisseurs se sont réveillés et la crise grecque a éclaté.
Il s’agit là de ce que l’on appelle un « aléa moral ». En effet, dans la mesure où la politique irresponsable de la France n’a pas été sanctionnée depuis des années, les différents gouvernements successifs n’ont pas été incités à engager une thérapie de choc, indispensable pour guérir la France. Certes, les mesures annoncées dernièrement par les nouveaux dirigeants du pays semblent aller dans le bon sens. Pour autant, nous restons encore loin de cette thérapie et les effets marketing continuent de primer sur les réformes de fond. Alors que faire ? Attendre qu’une crise grecque arrive France ? Peut-être, mais, à ce moment-là, il sera trop tard.
Marc Touati