Les derniers résultats publiés par la plupart des banques européennes et occidentales au sens large sont particulièrement bons. Pourtant, la récente faillite de Banco Popular en Espagne et son rachat par Santander pour 1 euro symbolique, mais aussi les difficultés aggravées de certaines banques italiennes, sans oublier les 200 milliards d’euros de créances douteuses qui affecteraient encore l’ensemble du système bancaire transalpin nous rappellent que le panorama bancaire européen est loin d’être parfait. En effet, à cause de conditions réglementaires de plus en plus contraignantes, mais aussi de taux d’intérêt obligataires beaucoup trop bas, les banques européennes demeurent fragiles. Pire, avec la concurrence des financements alternatifs, elles sont menacées jusqu’à leur existence même. A tel point que certains, et notamment au sein de la Commission européenne, n’hésitent plus à mettre en garde contre de multiples faillites bancaires au cours des trimestres à venir dans l’ensemble de l’Union.
Certes, nous sommes encore loin du marasme qui a suivi la crise des subprimes de 2007 et qui a atteint son paroxysme avec la faillite de Lehman Brothers en 2008. Cependant, ce retour en force des vieux démons de la crise bancaire rappelle que le système bancaire et financier eurolandais reste menacé, notamment par une nouvelle phase d’aggravation des créances douteuses qui pourrait voir le jour dans les prochains trimestres. En effet, en dépit des apparences et des promesses de bonne gestion, « le ménage » n’a pas forcément été bien fait dans de nombreuses banques européennes.
Bien entendu, celles-ci bénéficient toujours de l’aide pléthorique de la BCE. Pour autant, au-delà de ces cadeaux sans limite, les banques européennes doivent faire face à trois handicaps majeurs. Primo, des règles prudentielles de plus en plus contraignantes. Secundo, une croissance économique structurellement molle (en dépit de la récente amélioration, qui sera d’ailleurs temporaire). Bien plus grave, le premier handicap n’a cessé d’alimenter le second. En effet, pour respecter les nouveaux ratios de solvabilité, qui accroissent le besoin en fonds propres en fonction du risque des engagements, les banques ont été contraintes d’accroître leurs achats d’obligations d’Etat au détriment des crédits au secteur privé. Elles ont donc alimenté un effet d’éviction des financements privés au profit de ceux réservés au secteur public.
A la rigueur, si la dépense publique avait réussi à créer une croissance forte et durable, l’impact de cet inconvénient aurait pu rester limité en durée et en ampleur. Malheureusement, comme cela s’est particulièrement bien observé dans l’Hexagone, l’augmentation des dépenses publiques a été incapable de restaurer une croissance vigoureuse. Bien au contraire, elle a alimenté la mollesse économique. Or, l’une des conséquences inévitables de la croissance faible réside dans l’augmentation du risque de défaut et par là même des créances douteuses. Dès lors, le cercle pernicieux devient infernal, dans la mesure où cette fragilisation du bilan des banques réduit encore l’octroi de crédits à l’économie, donc alimente la croissance molle, puis le chômage, mais aussi les déficits publics…
C’est alors qu’intervient le troisième handicap du secteur bancaire. En l’occurrence la baisse excessive des taux d’intérêt des obligations d’Etat. Car, ne l’oublions pas, le principal métier des banques réside dans ce que l’on appelle la transformation, à savoir se financer à court terme, idéalement le moins cher possible (ce qui est le cas aujourd’hui avec des taux monétaires à 0 %) pour prêter et/ou placer sur des produits obligataires à des taux bien plus élevés. Seulement voilà, aujourd’hui et comme cela s’observe depuis environ deux ans, les taux des obligations d’Etat sont quasiment équivalents aux taux monétaires. Dans certains cas, ils sont mêmes négatifs.
Autrement dit, les banques ne parviennent plus à « gagner leur vie » avec leur métier de transformation. Pour ne rien arranger, la volatilité des marchés boursiers réduit également les gains sur les fronts de la banque d’investissement et de la gestion d’actifs. Au final, il ne reste donc plus que les commissions diverses et variées, les prêts à la consommation ou encore la vente de téléphones pour permettre aux banques de joindre les deux bouts. C’est un peu juste…
Mais ce n’est pas tout ! Car, pour le moment cet équilibre très fragile ne prend absolument pas en compte le risque de réactivation de la crise de la dette publique. Il est vrai que depuis plus de deux ans, toute la planète financière veut croire que cette dernière est bel et bien terminée et que les taux longs ne remonteront jamais. Pourtant, il n’en est rien. Pour le prouver il suffit de rappeler qu’en 2016 pour la neuvième année consécutive, à l’exception de l’Allemagne et du Luxembourg, aucun pays de la zone euro n’a réussi à dégager une croissance économique en valeur (c’est-à-dire augmentée de l’inflation) suffisamment forte pour assurer le paiement des intérêts de la dette publique. Dans ce cadre, après avoir été anormalement bas, en particulier en France, les taux d’intérêt des obligations souveraines pourraient bien subir une forte hausse, engendrant mécaniquement des moins-values sur les portefeuilles obligataires.
Après avoir dû constituer des provisions pour créances douteuses du secteur privé, les banques italiennes, françaises, européennes, et mondiales pourraient donc bien devoir rééditer l’opération, mais, cette fois-ci, pour des créances accordées au secteur public, qu’il s’agisse des obligations d’Etat ou des crédits accordés aux collectivités locales. Or, un tel scénario n’est pour l’instant pas vraiment intégré dans les « stress tests » de la BCE. Sans parler des risques sur les pays émergents et sur la situation géopolitique mondiale. Voilà pourquoi, et même si les banques européennes ont réduit leurs activités dangereuses (et notamment le « property trading », c’est-à-dire la spéculation avec leurs fonds propres) et bénéficient encore d’une politique monétaire extrêmement accommodante, elles restent toujours menacées par une croissance économique trop faible, une dette publique trop élevée et un risque de remontée massive des taux d’intérêt des obligations d’Etat.
En conclusion, même si, pour l’instant, la situation apparaît sous contrôle, la probabilité d’une nouvelle crise bancaire demeure élevée. Ce qui signifie qu’après cinq belles années en termes de profits et de valorisation boursière, les banques européennes pourraient connaître quelques trimestres difficiles. En attendant des jours meilleurs… en 2019.