Depuis quelques mois, tous les yeux sont rivés sur la fameuse Union bancaire européenne. Souvent présentée comme une révolution qui devrait protéger l’Europe de toute nouvelle menace, celle-ci risque pourtant bien d’accoucher d’une souris, surtout lorsque l’on prend en compte la réticence (justifiée) des Allemands à devoir (une fois encore) payer pour tout le monde…
Mais au-delà de cette vraie fausse révolution (les dirigeants politiques européens n’en sont plus à un mensonge près), le vrai danger pour l’Europe bancaire réside dans une nouvelle crise d’aggravation des créances douteuses qui pourrait voir le jour dans les prochains mois.
D’ailleurs, si elle est presque passée inaperçue, l’annonce d’une perte de 14 milliards d’euros par la première banque italienne Unecredit montre que la crise bancaire européenne est loin d’être terminée. Et pour cause : la quasi-totalité de cette perte s’explique par une provision de 13,7 milliards d’euros pour créances douteuses et dépréciations de survaleurs. Bien entendu, il pourrait être possible de voir dans cette « opération vérité » un signal de clarification à la veille de l’application des « stress tests » (Asset Quality Review) de la Banque Centrale européenne à l’ensemble du secteur bancaire italien.
Pour autant, l’ampleur de ces créances douteuses rappelle que « le ménage » n’a pas forcément été bien fait dans les banques italiennes, mais aussi dans celles de l’ensemble de l’Europe. Certes, ces dernières ont bénéficié de l’aide pléthorique de la BCE depuis 2009 et surtout depuis la fin 2011 avec le début des opérations non-conventionnelles et encore en 2013 avec la double baisse du taux refi, désormais à 0,25 %. De la sorte, elles ont pu se livrer à leur métier de transformation en toute tranquillité, se finançant à court terme à 0 % pour placer sur des produits obligataires bien mieux rémunérés.
Cependant, au-delà de ce cadeau sans limite, les banques européennes ont également dû faire face à deux handicaps. D’une part, des règles prudentielles de plus en plus contraignantes. D’autre part, une croissance économique historiquement faible. Bien plus grave, le premier handicap n’a cessé d’alimenter le second. En effet, pour respecter les nouveaux ratios de solvabilité, qui accroissent le besoin en fonds propres en fonction du risque des engagements, les banques ont été contraintes d’accroître leurs achats d’obligations d’Etat au détriment des crédits au secteur privé. Elles ont donc alimenté un effet d’éviction des financements privés au profit de ceux réservés au secteur public.
A la rigueur, si la dépense publique avait réussi à créer une croissance forte et durable, l’impact de cet inconvénient aurait pu rester limité en durée et en ampleur. Malheureusement, comme cela s’est particulièrement bien observé dans l’Hexagone, l’augmentation des dépenses publiques a été incapable de restaurer une croissance vigoureuse. Bien au contraire, elle a alimenté la mollesse économique.
Or, l’une des conséquences inévitables de la croissance faible réside dans l’augmentation du risque de défaut et par là même des créances douteuses. C’est alors que le cercle pernicieux devient infernal, dans la mesure où cette fragilisation du bilan des banques réduit encore l’octroi de crédits à l’économie, donc alimente la croissance molle, puis le chômage, mais aussi les déficits publics…
Dès lors, après les ratios de solvabilité et l’atonie économique, les banques vont devoir faire face à un troisième danger, en l’occurrence la dégradation des obligations d’Etat. Car, si depuis environ un an, les marchés et les investisseurs veulent croire que la crise de la dette publique eurolandaise est terminée, il n’en est rien.
Pour le prouver il suffit de rappeler qu’en 2013, à l’exception de l’Allemagne et du Luxembourg, aucun pays de la zone euro n’a réussi à dégager une croissance économique en valeur (c’est-à-dire augmentée de l’inflation) suffisamment forte pour assurer le paiement des intérêts de la dette publique. Et ce, dans la majorité des cas, pour la sixième année consécutive et bientôt la septième, puisqu’il en sera de même en 2014.
Dans ce cadre, après avoir été anormalement bas, en particulier dans l’Hexagone, les taux d’intérêt des obligations souveraines pourraient bien subir une forte hausse, engendrant mécaniquement des moins-values sur les portefeuilles obligataires.
Après avoir dû constituer des provisions pour créances douteuses du secteur privé, les banques italiennes, françaises, européennes, et mondiales pourraient donc bien devoir rééditer l’opération, mais, cette fois-ci, pour des créances accordées au secteur public, qu’il s’agisse des obligations d’Etat ou des crédits accordés aux collectivités locales.
Or, un tel scénario n’est pour l’instant pas vraiment intégré dans les « stress tests » de la BCE. Sans parler des risques sur les pays émergents et sur la situation géopolitique mondiale. Voilà pourquoi, nous estimons que même si les banques européennes ont réduit leurs activités dangereuses (et notamment le « property trading », c’est-à-dire la spéculation avec leurs fonds propres) et bénéficient encore d’une politique monétaire extrêmement accommodante, elles restent toujours menacées par une croissance économique trop faible, une dette publique trop élevée et un risque de remontée massive des taux d’intérêt des obligations d’Etat.
En conclusion, même si, pour l’instant, la situation apparaît sous contrôle, la probabilité d’une nouvelle crise bancaire demeure élevée. Ce qui signifie qu’après trois belles années en termes de profits et de valorisation boursière, les banques européennes pourraient connaître une année 2014 de vache maigre. Ce qui nous amène donc à conseiller de prendre ses bénéfices et de s’alléger sur ce secteur en attendant des jours meilleurs en 2015. Ne l’oublions jamais : ce qui est pris n’est plus à prendre…
Marc Touati