Il n’y a pas si longtemps, la Chine affichait encore des taux de croissance à deux chiffres. Pourtant depuis quelques années, son rythme de progression tend à ralentir. Et un grand nombre d’observateurs s’interroge ; mais que se passe-t-il avec la Chine ? La réponse est en fait très simple et tient en trois mots ; le pays atterrit. Reste donc seulement à savoir s’il faut privilégier un scénario de type soft landing ou crash landing.
Un ralentissement économique…
En 2013, l’économie chinoise reproduisait sa performance de 2012. Le pays affichait en effet un taux de croissance du PIB de 7,7%. Je devine dés lors ce que vous vous dites ; un tel taux demeure élevé relativement à ce qui se pratique dans les pays occidentaux. Oui vous avez bien raison. Mais rendez-vous compte néanmoins, il s’agit d’un plus bas en treize années pour un pays qui, pendant toute une décennie, était coutumier d’une dynamique de croissance à deux chiffres.
D’abord l’élément inquiétant. Durant tout le premier semestre 2013, la croissance chinoise n’a cessé de poursuivre sa décélération entamée en 2011. La morosité de la conjoncture aux Etats-Unis et en Europe a en effet participé à rouiller le principal moteur de croissance du pays, à savoir ses exportations. Par ailleurs, dans l’industrie manufacturière, la hausse des salaires de l’ordre de 15% en moyenne par an a contribué a grevé la compétitivité des firmes chinoises à l’international provoquant ainsi un recul de leurs investissements industriels.
Vient alors l’élément rassurant. La capacité des autorités chinoises à réagir. Au troisième trimestre en effet, le gouvernement lança un mini plan de relance reposant sur trois axes ; l’arrêt de la fiscalité sur les petites entreprises afin de sauvegarder les marges, la compétitivité et l’emploi, l’assouplissement des contraintes administratives et la mise en place d’une politique de grands travaux dans les infrastructures urbaines. Très vite alors, les doutes quant à l’atteinte d’un taux de croissance cible de 7,5% en 2013 se dissipèrent et le pays présenta une croissance supérieure à la cible initiale.
La réactivité, probablement l’élément qui a sauvé le pays d’une déconvenue inédite depuis bien longtemps. Une réactivité qui semble toutefois trouver ses limites. Car même si la croissance du pays a été dopée au cours du quatrième trimestre 2013, les statistiques parues au cours des dernières semaines s’avèrent de nouveau préoccupantes. A titre d’illustration, l’indice PMI manufacturier du pays s’est établi en février à 48,3, soit un plus bas depuis sept ans. Pire, les chiffres du commerce extérieur publiés le 8 mars dernier font état d’une balance commerciale déficitaire en février de 23 milliards de dollars alors même que le marché anticipait un excédent de 14 milliards de dollars.
Dans ce contexte, que faut-il attendre pour l’exercice 2014 ? A en croire les prévisions du gouvernement chinois, la même chose. A l’instar de l’année dernière en effet, la cible de croissance a été fixée à 7,5%. Toutefois, les autorités affichent désormais une volonté de rééquilibrer le modèle économique du pays pour le rendre moins dépendant des aléas conjoncturels de ses partenaires commerciaux. La folle expansion des exportations de ces dernières années devrait donc se tarir au profit d’une hausse de la consommation des ménages.
… qui s’accompagne de fortes tensions financières
Mais déjà l’objectif du gouvernement s’annonce ambitieux. Car si les fondamentaux de l’économie chinoise demeurent solides, le pays doit néanmoins faire face à des failles, notamment dans son secteur financier réputé vulnérable.
En effet, en seulement quelques années, de nombreuses régions du pays ont été prises d’un syndrome de mégalomanie aigüe se traduisant par la matérialisation de projets immobiliers délirants. Il y a bien évidemment ces tours qui ne cessent de pousser dans les grandes métropoles. Mais il y a aussi des projets bien plus exotiques tels que cet arc de triomphe à Jingjinou, ou encore cette tour Eiffel de cent mètres de haut à Tiandu.
Se pose alors la question du financement de ces projets. Désormais, la Chine est une puissance mondiale, et hélas, elle se comporte comme telle. Le pays est en effet progressivement tombé dans le pêché originel de l’endettement à outrance comme en témoigne la trajectoire de sa dette publique qui s’élève officiellement à 58% du PIB contre 17% quatre ans plus tôt. Pire, la dette cumulée des secteurs public et privé atteint environ 215% du PIB contre 131% en 2008.
Pour un pays dit émergent, ces chiffres ont de quoi donner le tournis à n’importe quel observateur, avisé ou non. Mais justement, c’est là que se trouve l’anomalie. Car en fait, cela fait bien longtemps que La Chine a émergé. A ce titre elle doit faire face à des problèmes à la mesure de sa grandeur ; ralentissement de la croissance, certes, mais aussi risque de bulle financière ou bien encore dérive de la finance. Et c’est justement ce dernier point qui est le plus effrayant.
Depuis la crise américaine, les banques chinoises ont développé une aversion au risque sans précédent, élément permettant notamment d’expliquer l’atonie croissante de la demande intérieure. Mais le désir insatiable de bâtir devait néanmoins trouver un financement. Les prêts hors des circuits traditionnels ont donc explosé et la finance parallèle est devenue progressivement incontrôlable.
Si par définition les chiffres liés au chinese shadow banking sont flous, certaines études indiquent que la finance de l’ombre pourrait peser pour 45% du PIB chinois. Une opacité qui tend néanmoins à inquiéter. Les banques du pays tendent à devenir de plus en plus suspicieuses vis-à-vis de leurs homologues et de véritables tensions apparaissent. Par deux fois ainsi en 2013, le marché interbancaire a connu des envolées de taux à des niveaux proches de 10%, nécessitant l’intervention de la Banque populaire de Chine, la banque centrale du pays, au travers d’injections de liquidités massives à court terme.
Un scénario à la Lehman Brothers est-il alors possible ? Difficile de répondre. Tout d’abord parce qu’à la différence des Etats-Unis, le gouvernement chinois contrôle quasi totalement son système bancaire. Mais également parce qu’il y a un manque évident (et probablement voulu) de transparence du système financier chinois.
De quelle nature sera donc l’atterrissage ?
La nébuleuse financière chinoise a fait naître d’importantes inquiétudes quant à l’avenir du pays. Mais bien que ces doutes soient fondés, la Chine ne pliera pas. Car il y a un point important qui ne doit pas être passé sous silence, à savoir le montant des réserves de change du pays. Estimées à 3820 milliards de dollars, elles constituent un véritable trésor de guerre, capable d’amortir les effets de n’importe quelle crise. Et c’est précisément cet élément qui fait que la Chine n’a plus rien de comparable avec les Etats occidentaux en déclins (Grèce, Italie et peut être bien la France), les économies émergentes (Inde, Russie et Brésil) et même les Etats-Unis.
Le risque de crise financière étant atténué, comment s’explique alors le ralentissement économique du pays ? Pour tenter d’apporter un début de réponse, il convient d’adopter deux points de vue. Premièrement le court terme. Les mauvais chiffres dernièrement publiés, et largement commentés, sont en fait le reflet du Nouvel an lunaire débuté fin janvier. A l’occasion de cet évènement en effet, il est de coutume que les travailleurs migrants rentrent dans leur région d’origine et qu’une grande partie des usines et commerces cessent temporairement leur activité. Ce phénomène de contraction de l’activité est d’ailleurs observable chaque année.
Deuxièmement le long terme. Pour comprendre le ralentissement structurel de l’économie chinoise, il faut se tourner vers les théories économiques de la croissance. Et dans ce domaine, le pionnier s’appelle Robert Solow. En 1956, l’économiste américain montra en effet que plus un pays est loin de son état stationnaire, plus son taux de croissance est élevé ; c’est le principe de rattrapage, appelé également béta convergence. Ainsi, selon ce modèle, la Chine a vécu des années de croissance formidable liées à la béta convergence ; à présent néanmoins, l’économie devient quasi mature et tend à se rapprocher de son état stationnaire, synonyme d’une croissance plus mesurée.
La Chine est donc tout simplement dans un processus de normalisation de son économie. Et à l’instar des autres pays développés, elle doit désormais traiter des problèmes de riche. Car l’inimaginable hier devient aujourd’hui une réalité. En témoigne notamment la faillite du géant des panneaux solaires Chaori Solar Energy Science & Technology, ou encore la grève d’un millier d’ouvriers d’une usine d’IBM de Shenzhen.
Atterrissage en douceur ou atterrissage en catastrophe ? Au risque de vous décevoir, il est encore trop tôt pour répondre à cette délicate question. Une chose est néanmoins certaine ; les choses changent et le monde bouge. Dans ce contexte, l’Histoire de l’atterrissage contraint de la Chine qui s’écrit actuellement sous nos yeux se révèle passionnante.
Achevé de rédiger le 12 mars 2014
Anthony Benhamou