Humeur :
Des marchés « soupe au lait » jusqu’à la fin 2014.
On a beau y être habitué, les va-et-vient abrupts des marchés financiers ne cessent de donner le tournis. Les évolutions de ces dernières semaines en a donné une parfaite illustration. Tout d’abord sur les bourses internationales. Ainsi, après avoir atteint un sommet historique de 16 576 le 31 décembre 2013, le Dow Jones a réussi à se maintenir tant bien que mal autour de ce plafond jusqu’au 21 janvier 2014, date à laquelle une forte chute a commencé, le point bas étant atteint le 3 février à 15 372, soit un effondrement de 7,3 % par rapport au pic du 31 décembre.
Quant au Cac 40, s’il n’a toujours pas retrouvé son sommet de septembre 2000, son évolution récente a été tout aussi chaotique. 4 320 points le 18 novembre 2013, 4 059 un mois plus tard (soit une baisse de 6 %), 4 332 le 15 janvier (+ 6,7 %) et 4 107 le 3 février (- 5,2 %).
L’origine de ces mouvements était double. D’une part, les craintes de durcissement de la politique monétaire américaine. D’autre part, la peur d’une nouvelle crise « type 1997 » des pays émergents. Dans la mesure où ces deux inquiétudes étaient exagérées, les marchés boursiers ont ensuite pu remonter la pente aisément. Le Dow Jones a ainsi retrouvé les 16 320 points le 28 février et le Cac 40 les 4 419 points le 24 février, un plus haut depuis le 3 septembre 2008. Seulement voilà, la peur étant l’essence même des marchés, la crise ukrainienne et surtout les menaces d’une intervention militaire de la Russie ont remis le feu aux poudres. En une journée (le 3 mars précisément), le Dow Jones a ainsi perdu 0,9 % (certes, rien de dramatique), mais le Cac 40 a chuté de 2,7 %. Que dire alors de la baisse de 10,8 % de l’indice de la bourse de Moscou sur cette même journée ?!
Fort heureusement, comme dans toute superproduction hollywoodienne, la catastrophe a été évitée (du moins pour l’instant) et les indices boursiers ont repris de plus belle. Et ce dès le 4 mars : + 1,4 % pour le Dow Jones, + 2,5 % pour le Cac 40 et + 5,3 % pour l’indice moscovite. Mieux, dans la mesure où les risques d’intervention militaire russe s’estompent et où le marché du travail américain reste bien orienté, les bourses mondiales semblent sur le point de dépasser leur précédent sommet.
Faut-il pour autant en déduire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et que les marchés boursiers vont encore flamber en 2014 ? Pas forcément. En effet, les dangers demeurent importants et imminents. A commencer bien entendu par la situation en Ukraine. Car si une guerre mondiale semble très peu probable, il y a malheureusement fort à parier que la situation restera fragile pendant de nombreux mois. Et les milliards d’euros d’aides européennes n’y changeront pas grand-chose. C’est là que réside l’un des grands drames de l’Union européenne : elle ne réagit qu’une fois les problèmes bien avancés et n’arrivent pas à les anticiper, en agissant en amont.
Illustrant cette stratégie contre-productive, l’UE a par exemple refusé d’aider la Grèce fin 2010, lorsque la crise ne faisait que commencer. A l’époque, le coût de cette dernière était inférieur à 10 milliards d’euros. Finalement, devant la gravité de la crise, elle a été contrainte d’intervenir par la suite, mais avec un coût actuel de 300 milliards d’euros, qui n’est d’ailleurs certainement pas définitif.
Avec l’Ukraine, bis repetita. Si quelques centaines de millions d’euros d’aides européennes auraient été suffisants il y a quelques mois pour apaiser la situation et rapprocher définitivement l’Ukraine de l’Europe, la facture s’élève déjà à 11 milliards d’euros, mais avec une situation de guerre civile et d’instabilité durable. En d’autres termes, que les investisseurs en mal de sensations fortes soient rassurés, ils auront encore de quoi se faire peur avec l’Ukraine et la Russie dans les prochains mois. Le problème est que l’affaiblissement de ces deux puissances du monde émergent pourrait encore réduire les investissements vers ce dernier et relancer la crise dans certains pays émergents en difficulté.
Parallèlement, si la BCE a rehaussé de 0,1 point sa prévision de croissance pour la zone euro en 2014 (à 1,2 % précisément, oh, la belle affaire !), les menaces restent prégnantes au sein de la grande majorité des pays de l’UEM. A commencer par la France, qui vient de recevoir un triple carton rouge de la part de la Commission européenne sur son manque de réforme, sa faible croissance et son incapacité à réduire sa dette et ses déficits publics. Si les dirigeants français ont voulu minimiser cette mise sous surveillance, il s’agit pourtant d’une claque majeure.
De plus, en se déclarant plus optimiste, la BCE n’a pas manqué de relancer l’euro à la hausse. A plus de 1,38 dollar pour un euro, il est donc clair que « l’euro killer » est de retour et ne manquera pas de casser la petite reprise qui a commencé au second semestre 2013. Et ce, en particulier dans l’Hexagone, qui pourrait même enregistrer une baisse de son PIB dès le premier trimestre 2014. De quoi aggraver encore les déficits publics et chahuter les marchés obligataires qui finiront par engendrer une nette remontée des taux d’intérêt des obligations d’Etat.
En conclusion, entre la poursuite de la crise ukrainienne, le maintien d’un euro trop fort et d’une croissance trop faible dans les pays de l’UEM, sans oublier une réactivation prochaine de la crise de la dette publique, les marchés financiers (bourses, obligations d’Etat, devises, matières premières) vont rester particulièrement chahutés sur l’ensemble de l’année 2014.
Voilà pourquoi, nous maintenons, certes, notre objectif annuel d’une progression des bourses mondiales de l’ordre de 5 %, notamment grâce au maintien d’une croissance mondiale d’environ 4 % et à une politique monétaire américaine toujours très conciliante. En revanche, dès que ce potentiel de progression sera atteint, il faudra vite prendre ses bénéfices. Pour le Cac 40, cela signifie que l’indice phare de la bourse de Paris devrait osciller entre 4 000 et 4 600 points sur l’ensemble de l’année. Quant au Dow Jones, sa fourchette de variation devrait s’étendre de 16 000 à 17 500 points. Il faut s’y faire, les marchés boursiers vont rester abonnés aux montagnes russes au moins jusqu’à la fin 2014. Il faut juste souhaiter que cette « soupe au lait » ne devienne pas une « soupe à la grimace »…
Marc Touati
Quid de l’économie et des marchés cette semaine :
L’avenir des émergents se joue à la roulette russe…
La Russie traverse actuellement une tourmente économique et financière des plus inquiétantes. Dans son apparente chute en effet, le pays est susceptible d’entraîner dans le précipice, non seulement les autres économies émergentes, mais également les pays de l’ex bloc soviétique via un effet de contagion. Retour sur l’agitation russe et ses conséquences potentielles à court et moyen termes.
Des fondamentaux économiques fragilisés
En 2013, l’économie russe enregistrait une croissance de son PIB de 1,3%. Un taux qui certes aurait de quoi rendre jaloux certains Etats occidentaux, mais qui s’avère néanmoins alarmant. La croissance du pays ne cesse en effet de ralentir depuis cinq années. L’atonie de la demande intérieure se fait en outre de plus en plus persistante.
En 2007 encore, la Russie affichait un taux de croissance de 8,5%. Grâce notamment à une main d’œuvre qualifiée et surtout une forte indépendance énergétique, les firmes nationales présentaient un véritable dynamisme tant en interne qu’à l’export. L’Europe, principal partenaire commercial du pays, absorbait par exemple environ 45% de ses exportations.
Mais la crise de la dette souveraine, et le recul sensible de la demande européenne qui en résulta, a nettement participé au ralentissement économique de la Russie. La baisse du cours des matières premières n’a par ailleurs rien arrangé. En 2011, la croissance du pays n’était plus que de 4,3%. En 2012, elle poursuivait sa décélération à 3,5%.
Dans ce contexte, l’obtention des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi constituait un réel espoir de reprise de l’activité. Mais le bilan apparaît pour le moment mitigé. En témoigne par exemple cette chute de l’investissement de 7% au mois de janvier dernier alors que les observateurs misaient sur une légère hausse. Un constat embarrassant qui tend à démontrer le manque de confiance grandissant des agents économiques quant à leur environnement.
Cette morosité ambiante est même parvenue à atteindre la consommation privée, véritable moteur pourtant de la croissance russe. Car si la politique de soutien des salaires du secteur public (environ 30% de la population active) avait jusque-là épargné la demande des ménages, celle-ci tend désormais à s’essouffler notamment du fait d’une inflation relativement élevée (en moyenne 6,1% en 2013).
Conséquence logique, Moscou a été contrainte de réviser à la baisse ses prévisions de croissance pour l’exercice 2014. Initialement prévu à 2,5%, le gouvernement table à présent en effet sur un taux de croissance de 2,0%. Une prévision néanmoins encore bien optimiste. Car outre des fondamentaux fragiles, l’économie russe est également confrontée à des risques exogènes.
Sueurs froides sur les marchés mondiaux
Considérée comme une puissance en devenir, à l’instar du Brésil, de l’Inde, de la Chine et même de l’Afrique du Sud, la Russie donne pourtant actuellement des sueurs froides aux marchés. Des tensions sur les taux des obligations souveraines à 10 ans apparaissent et la devise du pays est en chute libre depuis quelques semaines. Cette désaffection des marchés s’explique en fait par plusieurs phénomènes.
Tout d’abord, il convient de se concentrer sur l’évolution de la politique monétaire américaine. En diminuant à deux reprises le montant de ses rachats d’actifs, la Fed a en effet réduit le stock de liquidités mondiales, entraînant, assez logiquement, un mouvement de rapatriement des capitaux des marchés émergents (dont notamment la Russie) vers les économies occidentales. Le rouble russe, comme la roupie indienne, la livre turque ou bien le real brésilien ont ainsi été pris dans une spirale infernale.
C’est donc à coups de hausses de taux que les banques centrales émergentes ont tenté d’éponger les dégâts sur leur monnaie. Toutefois, dans ce contexte de super-tension sur les émergents, la Russie, à l’inverse de l’ensemble de ses homologues, doit également faire face à un second problème. Et quel problème. Une crise politique avec l’Ukraine d’une ampleur sans précédent depuis la fin de l’URSS.
En souhaitant prendre ses distances avec le Kremlin, Kiev s’est en effet attiré les foudres de Vladimir Poutine. Le président russe, dont le rêve d’une alliance eurasiatique, sorte de revival de l’URSS, n’est un secret pour personne, n’a alors pas hésité à envoyer des troupes en Crimée pour y préserver les intérêts russophones. Une action néanmoins interprétée comme un casus belli par l’Ukraine. Un monde bipolaire dominé par deux superpuissances… une histoire ancienne qui tend hélas à se reproduire. Car dès lors, les tensions avec la communauté internationale ont atteint leur paroxysme ; alors que les Etats-Unis somment la Russie de retirer ses troupes de Crimée, la France appelle pour sa part à une suspension de la réunion du G8 prévue à Sotchi en juin prochain.
La mutation progressive d’une crise diplomatique régionale en une crise politique mondiale a clairement affolé des marchés déjà sous pression. Et alors que le rouble n’en finit plus de chuter, la Banque centrale russe a décidé d’agir lundi 3 mars dernier. Elle a ainsi procédé à une hausse « temporaire » de son principal taux d’intérêt directeur de 5,5% à 7,0% afin d’enrayer la chute de la monnaie et d’éviter un scénario d’inflation à deux chiffres.
Prises par surprise, les places boursières ont alors vu rouge (n’y voyez pas une allusion au drapeau soviétique) ; le Micex et le RTS, les principaux indices boursiers moscovites, dégringolaient respectivement de 10,79% et 12,01%, le CAC 40 et le DAX 30 perdaient 2,66% et 3,44%, enfin outre-Atlantique, le Dow Jones reculait de 0,94%. Car en adoptant une stratégie défensive, la Banque centrale russe a implicitement et non intentionnellement validé les craintes des marchés créant alors un véritable mouvement de panique.
Le savon est gris mais il lave blanc
Les très fortes tensions sur l’économie russe pourraient ainsi transformer ce qui jusque-là s’apparentait à une « tourmente des émergents » en une réelle crise. Et fragiliser de fait la reprise mondiale. Car la Russie est un Etat systémique comme en atteste le poids de son PIB (3%) dans l’économie mondiale. En chutant, la Russie emporterait donc dans son précipice les économies émergentes ainsi que celles de l’ex bloc soviétique.
Mais inutile de jouer à se faire peur. Car fort heureusement, un tel scénario devrait être évité. La Russie dispose en effet d’un véritable trésor de guerre, à savoir ses réserves de change qui s’élèvent à 509 milliards de dollars. Un matelas de sécurité qui lui permet de voir venir et d’atténuer les effets d’une potentielle crise. Pour cette raison, la Russie ne pliera pas. Idem pour l’Inde, le Brésil et surtout la Chine dont les réserves de change s’élèvent respectivement à 295, 309 et 3820 milliards de dollars.
En revanche, tous les pays émergents ne sont pas logés à la même enseigne. Le montant des réserves de change sud-africaine, argentine et ukrainienne ne s’élèvent par exemple qu’à 49, 30 et 19 milliards de dollars. La crise russe permet donc de mettre en exergue deux types de pays émergents ; ceux qui ont déjà émergé et ceux qui doivent émerger. Ces derniers apparaissent bien évidemment beaucoup plus exposés au risque géopolitique.
Il ne faut donc pas se fier aux apparentes difficultés que rencontre actuellement la Russie, pour prédire de son sort. Car outre ses réserves de change, le pays dispose de ressources énergétiques hors-normes et a noué de fortes relations avec des pays producteurs de pétrole. Dans ce contexte, les marchés et la communauté internationale ne devraient pas parvenir à faire trembler Moscou. A l’inverse, par un simple effet de contagion, les pays en voie d’émergence devraient hélas être des victimes collatérales de la crise russe…
Anthony Benhamou
Les évènements à suivre du 10 au 14 mars :
L’inflation reste sage des deux côtés de l’Atlantique.
Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :
Nos prévisions économiques et financières pour 2014 :
Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf