Avec la publication des comptes nationaux du quatrième trimestre 2013 en France et dans la zone euro, de nombreux dirigeants politiques, économistes et autres beaux parleurs en tous genres n’ont pas hésité à reprendre en cœur le tube de l’été dernier « la crise est finie ! ». Pour justifier leur bonne humeur, ceux-ci se contentaient de mettre en exergue l’évolution du PIB au dernier trimestre 2013 : + 0,3 % tant pour la France que pour la zone euro. Comme dirait l’autre et comme nous l’avons dernièrement écrit pour saluer la nouvelle histoire d’amour apparente entre le Président Hollande et le monde de l’entreprise : « formidable ! »
Seulement voilà, les faux-semblants ont la vie dure et se contenter de regarder dans le rétroviseur pour prévoir l’avenir n’a jamais été très efficace. Les économistes et analystes bien-pensants devraient pourtant le savoir : extrapoler les évolutions passées pour anticiper l’avenir est une erreur de construction.
Pour tenter d’établir des prévisions fiables, il faut bien entendu partir du passé mais en introduisant des éléments nouveaux, que l’on appelle des indicateurs avancés. Ainsi, dire que la consommation des ménages va continuer de croître significativement tout simplement parce qu’elle a augmenté de 0,5 % au quatrième trimestre 2013 n’a tout simplement aucun sens. En revanche, il est beaucoup plus opportun d’annoncer que le maintien d’un chômage élevé, la faiblesse des revenus des particuliers et une confiance de ces derniers en berne vont jouer à la baisse sur la consommation privée au cours des prochains trimestres.
De même, comment tabler sur une hausse des investissements et des exportations, alors que l’euro reste trop fort, que la pression fiscale est prohibitive et que le moral des chefs d’entreprise demeure très bas ?
A cet égard, les dernières enquêtes des directeurs d’achat en France et dans la zone euro ont apporté des enseignements essentiels. Certes, à l’échelle de l’UEM, ces indicateurs avancés de l’activité économique restent au-dessus de la barre des 50, qui est censée représenter la frontière entre la croissance et le repli de la marche des affaires.
Ainsi, en février 2014, avec des niveaux de 51,7 dans les services (contre 51,6 en janvier) et 53,0 dans l’industrie (contre 54,0 en janvier), il n’y a pas péril en la demeure. Pour autant, la nette tendance haussière des mois précédents a été stoppée. En fait, les niveaux actuels de ces indicateurs indiquent que la croissance du PIB eurolandais devrait se stabiliser autour des 1 % sur l’ensemble de l’année 2014.
De plus, n’oublions pas que la résistance apparente de l’activité eurolandaise s’explique principalement par la vigueur de l’économie allemande. Outre-Rhin, avec un niveau de 55,4 dans les services et de 54,7 dans l’industrie (en baisse tout de même de 1,8 point par rapport à janvier), les indices PMI montrent que la croissance va rester forte, proche des 2 % en 2014. Partout ailleurs dans la zone euro, les indicateurs des directeurs d’achat sont bien moins bons et montrent que la croissance se maintiendra sur des niveaux faibles.
Mais il y a pire, car dans ce contexte difficile, il est un pays qui se distingue par la morosité de ses indicateurs avancés, en l’occurrence notre douce France. En effet, bien loin des performances allemandes mais aussi de celles de ses voisins du Sud, les indicateurs des directeurs d’achat français s’illustrent par une médiocrité qui commence à devenir très inquiétante.
Et pour cause : après un petit rebond technique en janvier, ces indicateurs avancés de la croissance hexagonale sont repartis en nette baisse : 48,5 dans l’industrie (contre 49,3 en janvier) et surtout 46,9 dans les services (après 48,9 en janvier). La corrélation empirique entre ces indices et la variation du PIB montre que ce dernier devrait reprendre le chemin de la baisse dès le premier trimestre 2014 et y rester jusqu’au troisième. Autrement dit, l’économie française devrait connaître à nouveau deux trimestres consécutifs de son PIB, ce qui signifie techniquement une récession.
Même si nous n’en sommes pas encore là et si nous faisons confiance au gouvernement et à leurs nombreux relais d’opinion pour dissimuler cette triste réalité, il est d’ores et déjà évident que l’année 2014 sera très difficile pour l’économie hexagonale, mais aussi pour celle de la zone euro.
Car, même si par miracle, la croissance atteint 1 % en moyenne sur l’année, ce niveau sera hautement insuffisant pour rembourser les intérêts de la dette. Et ce d’autant que l’inflation recule. En effet, pour pouvoir assurer le paiement de ces derniers, il faut que la croissance du PIB en valeur (c’est-à-dire augmentée de la variation des prix) soit supérieure à la charge d’intérêts de la dette. Or, en 2013, cette dernière représentait déjà 3,9 % du PIB pour l’UEM et 2,6 % pour la France. Avec une croissance en valeur de respectivement 0,9 % et 1,1 % l’an passé, le « manque à gagner » était de 3 et 1,5 point de PIB. Comme cela s’observe depuis plus de six ans, il a donc fallu augmenter l’endettement public juste pour rembourser les intérêts de la dette.
En 2014, même avec une croissance en volume de 1 %, ces écarts vont perdurer, voire se creuser. Et ce, pour la double et simple raison que les taux d’intérêt vont augmenter et que l’inflation va baisser. Dans le meilleur des cas, la croissance en valeur sera d’environ 1,5 % en France et dans la zone euro, tandis que la charge d’intérêts de la dette atteindra au moins 4,5 % du PIB dans l’UEM et 3,2 % dans l’Hexagone. Ainsi, le manque à gagner restera de 3 points de PIB dans la zone euro et atteindra 1,7 point en France.
Parallèlement, le chômage restera élevé, les déficits largement supérieurs à 4 % du PIB et la dette continuera de croître. Croissance en berne, risque de retour de la récession, chômage toujours dramatique, déficits et dette pléthoriques. Mais oui, mais oui, calmez-vous, la crise est finie, Monsieur le Président…
Marc Touati