Voici l’interview de Marc Touati réalisée par Boursorama et en ligne depuis le 14 février :
Les marchés ont abordé 2014 avec scepticisme, notamment en raison de la défiance entourant les pays émergents. Une inquiétude justifiée ?
Marc Touati : La hausse des indices boursiers repose sur un constat logique : la croissance mondiale a atteint 3% en 2013 et devrait ressortir à 4% cette année. On peut toutefois estimer que les marchés actions sont allés un peu vite en besogne dans un contexte toujours fragile. Si le risque émergent existe, j’estime en revanche que les marchés le surpondèrent. Des pays bien identifiés comme l’Argentine, la Turquie ou la Thaïlande présentent des situations spécifiques mais dans leur ensemble les pays émergents devraient profiter de la dépréciation de leurs monnaies. Paradoxalement, leurs difficultés actuelles proviennent de leur dynamisme antérieur. Lors de la crise de 2009-2011, la récession des pays développés n’a pas entraîné de crise économique dans les émergents qui ont bénéficié de l’afflux important de devises. Conséquence, l’appréciation excessive de ces dernières a fini par amoindrir la compétitivité-prix de leurs produits nationaux et pénalisé leurs exportations.
La baisse brutale des devises émergentes est effectivement une bonne nouvelle pour ces pays, moins pour les pays développés… Mais cette fuite des investisseurs de la zone émergente n’est-elle pas le prélude d’une crise amenée à durer ?
M.T : Non. Outre l’effet bénéfique de la dépréciation de leurs monnaies qui va mécaniquement relancer la croissance de la plupart d’entre eux, il faut souligner que les pays émergents restent assis sur des réserves de changes considérables : celles de la Chine sont estimées à 3 820 milliards de dollars, celles de la Russie à 509 milliards. Citons encore le Brésil avec 376 milliards ou l’Inde avec 295 milliards…
Les marchés mondiaux, et en particulier ceux des pays émergents, demeurent très dépendants de la politique monétaire américaine. Qu’attendez-vous de l’action de Janet Yellen, qui a succédé à Ben Bernanke ?
M.T : La nouvelle présidente de la Fed s’inscrit clairement dans la continuité de Ben Bernanke. Elle va continuer à réduire progressivement le programme de rachats d’actifs (« tapering »). Attention toutefois à ces périodes de changement. Début 1987, Alan Greenspan a succédé au prestigieux Paul Volcker quelques mois avant le krach d’octobre. En 2006, Ben Bernanke succède au maestro Greenspan et fait l’erreur de relever les taux d’intérêt, précipitant la méfiance des marchés, quelques mois avant le début de la crise des subprimes. Les marchés attendent également au tournant Mme Yellen et toute erreur se payera très chère. 2014 s’annonce comme une année très volatile sur les marchés. Les indices boursiers ont monté mais l’économie réelle doit prendre le relais et l’essai n’est pas confirmé, du moins en Europe où la situation reste difficile, la croissance molle.
La zone euro reste selon vous le maillon faible de l’économie mondiale. « Super Mario » Draghi ne l’a pas définitivement tiré d’affaire ?
M.T : Mario Draghi a déjà sauvé la zone euro à plusieurs reprises. Il a prouvé qu’elle disposait à son bord d’un pilote pragmatique et déterminé. Cependant, le patron de la BCE a atteint les limites de son action dans le cadre de son mandat. Pour élargir ses capacités d’intervention, il faudrait que les statuts de la BCE soient modifiés. Or, l’Allemagne devrait bloquer toute avancée sérieuse en l’absence de réformes significatives de la France. C’est le dernier pays de la zone euro qui n’a pas réformé son économie.
François Hollande a annoncé le mois dernier un « pacte de responsabilité » entre l’Etat et les entreprises. Pas suffisant selon vous ?
M.T : Les pays du sud ont réformé leurs économies en réduisant leurs dépenses publiques et leur coût du travail. C’est le préalable au retour de la croissance qui elle seule permettra la relance des embauches. Une entreprise ne peut pas embaucher, sans visibilité et croissance, sur une simple promesse de baisse des charges. Cette initiative va dans le bon sens mais ne suffira pas sans une baisse plus marquée des impôts et des dépenses publiques. Précisons également que le niveau trop élevé de l’euro ne contribuera pas à soutenir les exportations. Il faudra compter sur d’autres moteurs.
Vos prévisions pour les indices boursiers fin 2014 ?
M.T : Dans un contexte de forte volatilité attendue, n’attendons pas une hausse spectaculaire des indices, plutôt une progression modérée des marchés avec un objectif de 17.000 points pour le Dow Jones et 4 600 points pour le Cac 40.
Avec ce scénario prudent, quelle stratégie adoptez-vous ?
M.T : Je pense qu’il faut se méfier des marchés obligataires d’Etat. A court terme, ils vont devoir faire face à une remontée des taux (et donc mécaniquement à une baisse des cours). On peut rester sur les marchés actions mais à condition de pratiquer une stratégie de « stop and go » et un stock-picking avisé, en privilégiant notamment les valeurs technologiques disposant d’un rayonnement mondial. L’année boursière ne sera pas un long fleuve tranquille.
Propos recueillis par Julien Gautier