« L’expérience nous apprend que lorsqu’on entend sonner à la porte, c’est qu’il n’y a jamais personne ». Cette formule tirée de la pièce d’Eugène Ionesco, La Cantatrice chauve, résume parfaitement la politique fiscale française menée par le gouvernement depuis dix-huit mois. Une politique théâtrale en deux actes ; amateurisme et bricolage. Dans ce cadre, la grande réforme du système fiscal peut-elle en constituer le dénouement ? Pas sûr…
Une réforme impossible tant la contrainte technique est grande
C’est à ne plus rien y comprendre. Quatorzième promesse du candidat François Hollande, « la grande réforme fiscale » fut finalement rapidement écartée une fois celui-ci arrivé au pouvoir. Il n’y aura pas de « big bang fiscal » soutenait ainsi son fraîchement nommé premier ministre Jean-Marc Ayrault le 1er juin 2012. Pour le ministre de l’économie Pierre Moscovici, il convenait même d’attendre le retour de la croissance pour s’attaquer au chantier fiscal.
En annonçant la semaine dernière une « remise à plat » de la fiscalité, Jean-Marc Ayrault a donc pris tous les français à contre-pied. Tous sans exception ? Oui, y compris Pierre Moscovici pourtant, à priori, largement concerné par ce type de réforme structurelle. En pleine débâcle fiscale aiguë depuis maintenant plus de deux mois, cette énième improvisation non coordonnée a par ailleurs obtenu le soutien du président de la République qui a tenu à féliciter l’initiative de son premier ministre.
Quatre chantiers pourraient donc être au menu de ce grand projet d’avenir dont l’échéance est fixée à 2015. Premièrement, la fiscalité des ménages avec notamment un projet de fusion entre la CSG et l’impôt sur le revenu (IR). Deuxièmement, la délicate réforme de l’impôt sur les sociétés dont le taux a récemment été relevé à un niveau record de 38%. Troisièmement, les questions ayant trait au coût du travail, élément clé pour relancer le dynamisme des entreprises nationales et leur compétitivité. Enfin, la fiscalité locale qui au fur et à mesure du temps est devenue illisible et peu évolutive.
La fusion entre la CSG et l’IR devrait constituer la mesure phare de cette « grande réforme ». Il ne fait cependant aucun doute qu’elle sera difficile (voire impossible) à mettre en œuvre. Car de trop nombreuses contraintes techniques persistent en raison d’une différence notoire de nature entre ces deux impôts. Quand chacun paie la CSG, seul un français sur deux est en effet soumis à l’IR. Par ailleurs, la CSG est une cotisation par individu alors que l’IR concerne le foyer. La CSG est en outre simple et efficace, contrairement à l’IR qui est bourré d’exonérations et autres abattements. Autre point essentiel, la CSG finance la dépense sociale alors que l’IR finance l’Etat. Enfin, la CSG est prélevée à la source alors que l’IR est prélevé avec une année de décalage.
Ayrault ; bourgeois du tiers état ?
Il y a donc fort à parier que cette « grande réforme » ne verra jamais le jour. Outre le choc fiscal qui serait subi par une classe moyenne à bout de souffle, cette réforme impliquerait également une année blanche pour Bercy. Or, au regard de la trajectoire budgétaire chaotique de la France, il paraît évident que ceci n’est pas (ou plus) réalisable. Les marges de manœuvre sur le budget se sont en effet réduites comme peau de chagrin tant Bruxelles et les marchés ont les yeux rivés sur la dette hexagonale.
L’idée en soi n’est pourtant pas mauvaise. Mais que dire du timing ? Cela fait dix-huit mois que le gouvernement a pris ses fonctions et jusque-là, quasiment rien de positif à signaler du point de vue de la fiscalité. Et malheureusement, il semble qu’il soit déjà trop tard. En 2014 auront lieu les élections municipales. Puis en 2015, ce seront les élections européennes. Enfin, en 2016, la campagne présidentielle de 2017 sera certainement lancée. La « remise à plat » de la fiscalité apparaît donc être un défi économique gigantesque dans un contexte où les échéances politiques sont si proches.
En fait, François Hollande aurait dû s’attaquer à la fiscalité dès le début du quinquennat. Ne s’agissait-il pas après tout d’un engagement de campagne ? Et bien d’autres avant lui ont été élus sur la base d’un projet fiscal novateur. En 1979 ainsi, Margaret Thatcher, nouveau premier ministre britannique déclarait que « les sous ne tombent pas du ciel, ils doivent être gagnés sur cette terre », faisant alors écho à sa promesse de réduction des dépenses de l’Etat. Idem avec les Reaganomics, ces mesures du programme économique de Ronald Reagan qui insistaient notamment sur la réduction simultanée des dépenses du gouvernement et des impôts. Des exemples, certes, pas très socialistes, mais qui tendent à illustrer à quel point l’élection confère une véritable légitimité pour mener à bien d’importantes réformes fiscales.
Seulement, le gouvernement a fait tout le contraire en ne respectant pas dans l’immédiat ses engagements de campagne. Pire, il a même accru la fiscalité de l’ensemble des français, usant d’une communication pas toujours très fine ni même habile. En péchant là où la majorité précédente avait déjà échoué, François Hollande et le gouvernement ont ainsi nettement perdu en popularité et en crédibilité. Et Jean-Marc Ayrault a beau se rêver en bourgeois du tiers état lors de la révolution française de 1789, il ne pourra tromper personne ; son appartenance à la noblesse est indéniable de même que sa volonté de se faire bien voir du trône. Réformer l’IR, cet impôt vieux de cent ans, en seulement deux petites années sans même en informer les technocrates de Bercy ni le ministre de l’économie… soyons sérieux un instant.
Un éléphant, ça trompe énormément
Les récents couacs fiscaux qui se sont succédés ont en effet sérieusement participé à entacher la crédibilité du gouvernement. A tel point d’ailleurs qu’une véritable fronde sociale s’est progressivement mise en place rendant toute nouvelle instauration de taxe impossible. Cette « remise à plat » de la fiscalité sonne ainsi comme une « remise à plat » des compteurs afin que le gouvernement tente une négociation de sortie de crise par le haut. Mais la négociation s’avère complexe ; imaginez ainsi un éléphant dans un magasin de porcelaine qui, après avoir tout détruit sur son passage, souhaiterait reconstruire le magasin. Vous n’y croyez pas ? C’est normal.
Un grand soir fiscal qui devrait donc avoir des allures de petit matin. Et à coup sûr, une stratégie pour pouvoir sortir du bourbier de l’écotaxe. Il convient par conséquent de prendre un peu de hauteur sur cette véritable pièce de théâtre fiscale mêlant le burlesque à l’absurde (et peut-être même au tragique). Commencer ainsi à se poser les bonnes questions. Dans l’absolu en effet, le débat entre progressivité de l’impôt versus proportionnalité ne présente que très peu d’importance. De même, les moyens déployés par le gouvernement pour mener à bien cette grande réforme ne relève que de la littérature.
Non, les vraies questions sont les suivantes. Quel sera l’état de la France dans six mois ? Le pays aura-t-il été de nouveau dégradé ? Les marchés auront-ils attaqué la dette souveraine ? L’insurrection sociale se sera-t-elle aggravée ou au contraire apaisée ? Des questions auxquelles il est relativement aisé de répondre tant la situation actuelle est dramatique. Et si à l’aube des élections municipales, une percée des partis des deux extrêmes est à prévoir, le sort de Jean-Marc Ayrault et du gouvernement actuel semble scellé. Quand la réforme passe, le gouvernement s’efface…
Achevé de rédiger le 27 novembre 2013,
Anthony Benhamou