Janet Yellen aime la croissance et les marchés…

Janet Yellen, future présidente de la Fed, est sur le point de devenir la femme la plus puissante du monde. Et si jusque-là, la science économique et la finance mondiale ont été incroyablement dominées par des hommes, il ne fait aucun doute que le virage de politique monétaire qui devra être amorcé par cette colombe participera à la faire entrer dans l’Histoire.

Janet Yellen, une adepte du salaire d’efficience et de l’illusion monétaire

Encore peu connue du grand public il y a quelques mois, Janet Yellen dispose en revanche d’une notoriété certaine dans le monde académique. Tout d’abord, parce qu’elle est mariée à George Akerlof, co-lauréat du prix Nobel d’économie en 2001 pour ses travaux sur les asymétries d’information. Mais surtout parce qu’avec ce même Akerlof, elle est l’auteur en 1986 d’un célèbre papier intitulé Efficiency Wage Models of the Labor Market. Il s’agit plus précisément de modèles qui mettent en évidence une relation croissante entre le niveau de rémunération perçu par un salarié et son niveau de motivation et d’implication dans l’entreprise.

Un papier fort intéressant mais qui comporte néanmoins des faiblesses. En effet, des tensions peuvent apparaître au sein d’une entreprise en fonction de la présence plus ou moins élevée de syndicats. Dès lors, l’évolution du salaire d’efficience (comprenez le niveau optimal qui garantit au dirigeant un engagement total de la part de son salarié) peut s’avérer plus rapide que l’évolution de la productivité du travailleur. Toutes choses égales par ailleurs, ce décalage contraint alors l’entreprise à réviser à la hausse sa politique de prix afin de conserver un niveau de marge identique. Un processus tout bonnement inflationniste, auto-entretenu par des revalorisations salariales annuelles quasi automatiques.

Ce biais inflationniste ne pose pourtant pas de problème aux économistes néo-keynésiens. Bien au contraire. Ils soutiennent effectivement que les travailleurs sont victimes de l’illusion monétaire. Un salarié raisonnera ainsi toujours en termes de salaire nominal sans tenir compte de l’évolution des prix (et donc, par extension, de sa capacité réelle à consommer). Janet Yellen, qui succèdera à Ben Bernanke à la tête de la Fed en 2014, devra pourtant éviter ce type de réflexe dogmatique si elle veut mener à bien son double mandat. Pour mémoire en effet, le banquier central américain a en charge la promotion du plein emploi mais aussi le maintien de la stabilité des prix (la cible d’inflation est de 2%).

L’héritage de Ben Bernanke est considérable

Et à l’heure où la reprise américaine se confirme et que le taux de chômage s’inscrit sur une tendance baissière, c’est paradoxalement un travail gigantesque qui attend Janet Yellen. Sa première mission ne sera en effet pas des moindres. Elle consistera en la réduction progressive du programme de rachat d’actifs mis en place par la Fed, en prenant garde de ne pas affoler les marchés. En mettant sur pied une politique monétaire dite non conventionnelle, Helicopter Ben a en effet habitué les investisseurs internationaux à l’euphorie monétaire, voire même à l’ivresse. Une liquidité abondante (85 milliards de dollars par mois) conjuguée au maintien des taux cibles des federal funds à un niveau proche de zéro qui ont permis de booster les marchés boursiers dont les indices atteignent des niveaux records.

L’effervescence qui s’empare des marchés à l’approche de chacune des prises de parole du banquier central témoigne ainsi du lourd héritage que lègue Ben Bernanke à Janet Yellen. Cette dernière devra, à l’instar de son prédécesseur, rivaliser d’habilité et de discernement pour faire passer les bons messages dans le but de pouvoir apaiser des marchés sans cesse sur le qui-vive. Car aucune erreur de communication n’est permise, sous peine de sanctions sévères. En témoigne par exemple l’évaporation de 3 000 milliards de dollars sur les places financières le 22 mai dernier suite à une simple évocation par Ben Bernanke du tapering. « Retirer le bol de punch quand la fête s’anime », la célèbre formule de William McChesney Martin Jr, président de la Fed entre 1951 et 1970, résume parfaitement la tâche qui attend Janet Yellen.

Si la mission s’annonce périlleuse, Janet Yellen est néanmoins très bien placée pour relever le défi. Présidente de la Banque fédérale de San Francisco entre 2004 et 2010, elle a ensuite passé trois longues années auprès de Ben Bernanke, en tant que vice-présidente du conseil des gouverneurs de la Fed. A ce titre, elle connait mieux que quiconque les risques liés à une mauvaise communication du banquier central. Elle est d’ailleurs à l’origine de la politique de forward guidance de la Fed qui consiste, depuis janvier 2012, à annoncer des objectifs chiffrés d’inflation et de chômage. Par ailleurs, Janet Yellen est assurément une fine analyste économique réputée pour sa méticulosité et son goût de la prévision économique. Ainsi, selon une étude récente réalisée par le Wall Street Journal, de tous les responsables actuels de la Fed, elle est celle qui a établi les prévisions les plus justes entre 2009 et 2013

 

Janet Yellen révolutionnera-t-elle la politique monétaire américaine ?

Son allocution réussie du 14 novembre dernier devant le Sénat américain a par ailleurs de quoi rassurer les marchés financiers. Janet Yellen y a notamment développé ses visions quant aux performances de l’économie américaine et du marché du travail qui demeurent encore « très loin » de leur niveau potentiel, dans un contexte d’inflation contenue. Une manière habile pour cette colombe de garantir aux investisseurs la poursuite d’une politique monétaire ultra-accommodante. Du moins, à court terme. Elle ne s’est en effet pas privée d’ajouter que le soutien actuel à la reprise constitue «  le chemin le plus sûr pour revenir à une approche plus normale de la politique monétaire ». L’annonce officielle d’un changement en douceur de la politique de la Fed dans les mois à venir ? Oui, clairement. Un véritable modèle de communication.

Si son pragmatisme et son aisance à l’oral devraient permettre une transition monétaire paisible, jusqu’où Janet Yellen osera-t-elle aller ? Issue d’une famille traumatisée par la Grande dépression des années 1930 et par le chômage de masse qui s’en suivit, Janet Yellen a toujours privilégié dans ses travaux académiques les questions ayant trait au chômage. De là à imaginer qu’elle révolutionne la politique monétaire américaine en fixant une priorité sur la croissance (à travers notamment un taux de chômage cible) plutôt que sur le strict respect de la cible d’inflation, il n’y a qu’un pas. Un bouleversement plausible quand on sait qu’en 2010 le FMI, par l’intermédiaire de son économiste en chef Olivier Blanchard, et le keynésien et prix Nobel 2008 Paul Krugman, avançaient qu’une cible d’inflation à 4% permettrait de relancer la croissance économique et de diminuer le fardeau du poids de la dette.

Argentier de la planète, un poste fantastique et amplement mérité pour cette femme dont la carrière a jusque-là été exemplaire. Et si le départ de Ben Bernanke marque le début d’une nouvelle aventure, celle-ci devrait s’avérer passionnante tant Janet Yellen est charismatique. Dotée d’une grande expertise économique et d’un incroyable aplomb, sa réussite à la tête de la Fed participa à la faire entrer dans l’Histoire.

                                                                                                                                                           Anthony Benhamou