Humeur :
La France encore dégradée, et après ?
Ce qui devait arrivait arriva. Comme nous l’annoncions depuis six mois et comme nous l’explicitions encore la semaine dernière dans ces mêmes colonnes, la note de la France a encore été dégradée. Certes, cette dégradation n’a été que d’un cran à AA. Certes, seule l’agence Standard & Poor’s a pris une telle décision. Certes, la plupart des autres pays de la zone euro ont toujours une note inférieure à celle de la France (à l’exception notable de l’Allemagne qui garde, imperturbablement son AAA). Certes, pour le moment, les marchés obligataires et boursiers ne s’effondrent pas.
Pour autant, en dépit de ces facteurs de relativisation, la stratégie du gouvernement français qui consiste à se cacher derrière la méthode Coué est aujourd’hui rattrapée par la réalité. En effet, la nouvelle dégradation de la note française est tout simplement logique, ou encore « normale », pour reprendre un terme cher à François Hollande. Et pour cause : elle ne fait que sanctionner les multiplies échecs de la France en matière de réduction des déficits publics et de restauration d’une croissance durablement soutenue.
M. Ayrault a beau avancer que cette sanction « ne prend pas en compte toutes les réformes qui sont engagées », les chiffres de l’économie française sont sans appel : ratio dépenses publiques/PIB de 57,1 %, déficit public/PIB d’environ 4,5 % tant l’an passé que cette année et certainement l’an prochain, dette publique à près de 95 % du PIB et 100 % courant 2014, croissance proche de zéro, taux de chômage à 11,1 %…
Nous sommes donc très loin des promesses gouvernementales encore claironnées il y a quelques mois. Compte tenu de ces contre-performances et de l’écart entre les attentes et la réalité, la dégradation de S&P apparaît même conciliante. En fait, la note que mérite la France est plutôt A. Le gouvernement a beau critiqué la position de S&P, il sait très bien que cette dernière est restée conciliante à son égard.
Une question demeure alors : pourquoi les taux d’intérêt que paie l’Etat français sur sa dette restent si bas, en dépit de la piètre siutation économique hexagonale et de la décision de S&P ? La réponse est triple.
Primo, la France continue de bénéficier d’un traitement de faveur, a fortiori en comparaison des notes de ses partenaires eurolandais. Comme dirait Albert Einstein « tout est relatif », ou encore, comme le souligne la sagesse populaire « au royaume des aveugles, les borgnes sont rois ». Autrement dit, la France reste soutenue par un « flight to quality » (un « afflux de capitaux vers la qualité ») non-négligeable.
Secundo, le marché obligataire au sens large, et français en particulier, demeure inondé de liquidités dans des proportions historiques. La décision de la BCE de baisser son taux refi le 7 novembre, soit un jour avant la dégradation de la note de la France, tombe d’ailleurs à pic pour couper l’herbe sous le pied à une forte augmentation des taux d’intérêt obligataires. On comprend dès lors beaucoup mieux la surprise créée hier par Mario Draghi, ainsi que la chute subite des marchés boursiers à partir de 16h, qui a complétement effacé la flambée qui a suivi la baisse du taux refi. La décision de S&P était évidemment connue par certains, qui ont ainsi pu faire un double aller-retour très lucratif sur les marchés boursiers.
Plus globalement, il est clair que si la BCE n’avait pas abaissé sa garde hier, la décision de S&P aujourd’hui aurait causé beaucoup plus de dégâts sur les taux longs, mais aussi sur les marchés boursiers. A l’évidence, Mario Draghi est non seulement le sauveur de la zone euro, mais aussi de la France. Le seul problème est que désormais ce « super-héros » n’a désormais plus d’arme…
Tertio, les agences de notation ne sont pas des modèles de crédibilité et leurs notes ont désormais beaucoup moins d’impact sur les marchés. En d’autres termes, leurs décisions sont déjà intégrées dans les cours et dans la mesure où elles sont toujours en retard sur les évènements économiques réels, leurs notes sont davantage utilisées pour valider une situation de fait que pour anticiper les évolutions à venir.
Faut-il pour autant en déduire que la France ne pâtira pas de cette nouvelle dégradation et ne subira que peu de conséquences concrètes ? Malheureusement non. En effet, la réponse du gouvernement français à cette dégradation selon laquelle tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes confirme que le déni de réalité reste la norme. Dès lors, si S&P a l’habitude de dégainer la première et de ce fait d’être moins crédible que son concurrent Moody’s, ce dernier devrait également dégrader la note de la France dans les toutes prochaines semaines. C’est seulement à ce moment-là que les taux des obligations de l’Etat français commenceront à se tendre fortement.
L’investissement, la consommation et la croissance repartiront alors en nette baisse. Ce qui suscitera mécaniquement une augmentation du chômage et du déficit public. Une nouvelle vague de dégradation s’engagera alors, avec, à la clé, une intensification des tensions sur les taux d’intérêt obligataires et le cercle pernicieux continuera…
C’est bien là le problème numéro de la stratégie économique de la France : à force de tirer sur la corde elle finit par se casser. Car, que ce soit en terme ras-le-bol fiscale, de baisse du chômage et de réduction des déficits, le gouvernement ne cesse de promettre… et n’obtient que des résultats inverses à ceux qu’il avait annoncé. S’il est possible de passer l’éponge, une fois, deux fois, dix fois, tant les citoyens français que les investisseurs internationaux ne peuvent désormais plus souffrir de tels dérapages. Leurs sanctions risquent alors d’être proportionnelles à l’ampleur de leurs déceptions…
Marc Touati
Quid de l’économie et des marchés cette semaine :
Marchés boursiers : « bull » ou bulle ?
Chômage élevé, multiplication des plans de licenciements, grèves et manifestations en tous genres… Dans ce climat da malaise sociale, voire de crise sociétale, la remontée imperturbable des principales places boursières à travers le monde occidental, et notamment en France, a de quoi choquer le grand public et au-delà. Rassurez-vous, nous ne sommes pas tombés du côté Mélenchon de la force noire, mais une question se pose véritablement : l’actuel « bull market » (c’est-à-dire le marché euphorique par opposition au « bear market ») est-il normal ou indique-t-il qu’une nouvelle bulle financière est en train de se former ?
La question est d’autant plus brûlante que le Dow Jones et le Dax ne cessent de battre des records. Quant au Cac 40, même s’il reste encore loin de ses précédents sommets, force est de constater qu’il reste soutenu. Même la nouvelle dégradation de la note française n’a eu qu’un impact baissier limité.
Cette bonne tenue s’appuie simplement sur une croissance mondiale durablement soutenue, en l’occurrence 3,5 % en 2013 et près de 4 % en 2014. Dès lors, dans la mesure où environ 70 % du chiffre d’affaires et des profits des entreprises occidentales composant les grands indices internationaux sont réalisés en dehors de leur frontière, et notamment dans les pays et les zones où la croissance est forte, il est normal que leurs cours boursiers augmentent. Et ce, même si l’ampleur de la hausse récente apparaît un peu excessive par rapport au niveau de la croissance mondiale.
En fait, le paradoxe que nous percevons entre une bourse euphorique et une crise qui est loin d’être terminée provient d’un effet d’optique ou encore d’un strabisme européen. Et pour cause : la croissance économique est soutenue un peu partout dans le monde, sauf en Europe et notamment en France, où la récession a fait son grand retour dès 2012, moins de trois ans après son départ et où la croissance molle s’est installée durablement.
C’est en cela que la baisse surprise du taux refi de la BCE à un plus bas historique de 0,25 % constitue une excellente nouvelle. Et pour cause : après les accalmies géopolitiques (Syrie, Iran…) et « réglementaires » (fin du shutdown et rehaussement du plafond de la dette), les bourses ont pu bénéficier d’un soutien de poids pour rester sur le chemin de la hausse.
Nous n’osions plus y croire, mais cette fois-ci c’est fait : l’écart entre le taux objectif des federal funds et le taux refi de la BCE a été annulé. Immédiatement, l’euro/dollar s’est fortement déprécié et les indices boursiers se sont envolés vers de nouveaux sommets. A l’évidence, bien loin des frasques de son prédécesseur qui auraient pu finir par mettre un terme à l’UEM, Mario Draghi réalise un travail exceptionnel. Après avoir déjà sauvé la zone euro à deux reprises (fin 2011 et en septembre 2012), il vient de lui permettre d’éviter de replonger dans la récession, voire de sombrer dans la déflation.
En effet, pour prendre sa décision, la BCE a pris conscience des deux principaux dangers qui menacent la zone euro, en l’occurrence la déflation et la crise sociale. Or, si l’on sait plus ou moins sortir d’une crise économique, il n’existe aucune solution efficace et garantie de sortir de ces deux fléaux. A l’exemple du Japon, la déflation peut durer vingt ans. Quant à la crise sociale, elle peut très vite déboucher sur une crise sociétale ou pire encore.
Mario Draghi, un « super-héros » désormais sans arme…
Sources : BoE, BCE, Fed, ACDEFI
Le seul problème est que l’impact de ce nouvel assouplissement monétaire et de la baisse de l’euro sur l’activité et l’emploi ne se produira que dans six à neuf mois. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui explique l’apparent paradoxe entre la remontée des marchés boursiers et la poursuite des plans de licenciements. Les premiers anticipent effectivement les améliorations à venir, tandis que les seconds sont la conséquence de la faiblesse économique passée.
La question reste donc de savoir si les pays de la zone euro auront les moyens de patienter encore six à neuf mois sans plonger dans la crise sociétale. Cette période sera d’autant plus difficile que la BCE a désormais utilisé toutes ses cartouches. La seule nouvelle arme serait la « planche à billets », mais ses statuts et le veto allemand ne lui permettent pas de l’utiliser. Or sans cet instrument, le risque est grand d’engager la zone euro dans une « trappe à liquidités » comme cela a été le cas au Japon pendant quinze ans. Celle-ci signifie qu’en dépit de la faiblesse des taux directeurs de la banque centrale, la faiblesse de la confiance est telle que les agents économiques n’en profitent pas pour augmenter massivement leurs dépenses d’investissement et de consommation, mais préfèrent épargner. Pis, ces évolutions monétaires pourraient alimenter une bulle boursière, sans soutenir massivement l’activité et l’emploi.
De plus, n’oublions pas que tant que l’euro ne passe pas sous les 1,20 dollar (le niveau idéal étant même de 1,15 dollar), la zone euro n’a quasiment aucune chance de retrouver le chemin de la croissance forte. Autrement dit, si la décision de la BCE est positive, elle ne permet malheureusement pas d’annoncer la fin de la crise sociale dans les pays de la zone euro. Elle constitue une condition nécessaire mais pas suffisante. Pour autant, dans un contexte où les mauvaises nouvelles sont pléthores, ne boudons pas notre plaisir et remercier Mario Draghi, d’avoir une nouvelle fois sauvé la zone euro. Du moins, pour l’instant…
Pour autant, il faut rester lucide : tant que la croissance ne dépassera pas durablement les 2%, la crise de la dette publique eurolandaise se poursuivra. Dès lors, les marchés obligataires resteront chahutés, et, par ricochet, les marchés boursiers en prendront ombrage. Enfin, n’oublions pas que l’embellie boursière s’explique aussi beaucoup par l’excès de liquidités offertes par la Fed. Dès que cette dernière fermera un peu le « robinet », les marchés en pâtiront automatiquement.
En conclusion, la volatilité va rester forte sur les bourses et seuls ceux qui savent naviguer en eaux troubles arriveront à tirer leur épingle du jeu. Pour les autres, il est déjà temps de prendre ses bénéfices…
Marc Touati
Les évènements à suivre du 11 au 15 novembre :
Rechute du PIB en France et dans la zone euro.
Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :
Nos prévisions économiques et financières pour 2013-2014 :
Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf.