Euro trop fort, argent trop cher…

Et c’est reparti pour un tour : alors que l’économie eurolandaise commence à peine à sortir la tête de la récession, l’euro se remet à flamber, ce qui finira par susciter prochainement une nouvelle rechute de l’activité. Mais quand allons-nous enfin doter la zone euro d’une véritable gouvernance économique efficace ?

En effet, depuis 2007, c’est la même chanson : l’euro trop fort, que nous appelons également « l’euro killer », est une véritable punition pour les pays de l’UEM, à l’exception peut-être de l’Allemagne. Rappelons la réalité empirique : à chaque fois que l’euro s’apprécie de 10 % sur une année, il retire 0,4 point à la croissance eurolandaise. Pis, au-delà des 1,30 dollar, ce coût avoisine les 0,8 point.

Les vecteurs de transmission de cette appréciation excessive à l’économie réelle sont au nombre de trois. Primo, le renchérissement abusif des exportations qui réduit mécaniquement ces dernières. Secundo, la diminution du prix des produits importés amoindrit automatiquement la compétitivité des biens fabriqués dans la zone euro et notamment en France qui se retrouvent donc en concurrence déloyale par rapport aux importations. D’où moins d’activité, moins d’emplois, plus de chômage, mois de revenus et moins de consommation… Tertio, avec un euro trop fort, les acquisitions dans l’UEM deviennent plus chères pour des investisseurs étrangers. A l’inverse, les investissements à l’étranger deviennent plus intéressants, d’où une réduction global des investissements en zone euro.

D’ailleurs, que ce soit en 2007-2009, puis en 2011-2012, les conséquences de cet euro trop fort ont été dramatiques, puisque la zone euro est entrée en récession dès le deuxième trimestre 2008, que cette récession a été plus forte qu’aux Etats-Unis et que, « grâce », une fois encore, au retour d’un euro trop fort au printemps-été 2009, la reprise eurolandaise a été l’une des plus faibles au monde. De même, en 2011-2013, l’UEM est la seule zone de la planète à être retombée en récession. Merci l’euro fort !

En dépit de ces réalités incontestables, les mêmes erreurs se répètent. Ainsi, alors que la zone euro commençait enfin à retrouver le chemin d’une croissance supérieure à 0,5 %, en particulier grâce à l’Allemagne, l’euro s’apprécie de nouveau depuis quelques mois et à un rythme dangereux depuis quelques jours.

Le raisonnement sous-jacent est toujours le même, c’est-à-dire consensuel mais erroné. Il s’appuie sur le fantasme selon lequel l’économie américaine irait beaucoup plus mal que celle de la zone euro. Et ce malgré la réalité des chiffres : au moins 2 % de croissance pour les Etats-Unis cette année et l’an prochain, contre 0 % pour la zone euro cette année et 1 % en 2014. Là où le bât blesse encore plus, c’est que si l’euro reste fort, le 1 % de croissance de l’an prochain va vite devenir une douce illusion et laissera place au retour de la stagnation. Avec des conséquences évidemment dramatiques en termes d’emplois et de déficit public. D’où un retour en force des crises de la dette publique en Grèce, en Espagne… et aussi en France.

Pis, les crises sociales qui se sont installées un peu partout dans la zone euro prendront du poil de la bête, engageant la plupart des pays eurolandais dans une situation politique de plus en plus difficile.

Plus que jamais, l’euro à 1,38 dollar n’a aucun sens économique. Certes, il est supportable pour l’Allemagne, mais invivable pour les autres membres de la zone euro. Néanmoins, il ne sert à rien de se battre contre des moulins. Et ce d’autant que les Etats-Unis ne veulent prendre aucun risque sur leur croissance et sont amplement satisfaits de pouvoir profiter encore d’un dollar faible sur le dos des européens. Le mouvement spéculatif sur l’euro/dollar a donc encore quelques beaux jours devant lui.

Dans ce cadre, l’euro devrait se stabiliser autour des 1,35 dollar, et même flamber vers les 1,40 dans les prochaines semaines. Il sera alors temps d’acheter du dollar, car, ensuite, compte tenu du rapide retour en arrière de la croissance eurolandaise, l’euro reviendra vers les 1,25 dollar, voire les 1,20. Niveau, qui rappelons-le, constitue celui du taux de change naturel et reste le seul moyen de pouvoir permettre à la zone euro de retrouver le chemin d’une croissance durablement forte.

Mais tant que les Eurolandais préféreront être les dindons de la farce, il faudra continuer à compter les points : en plus pour la croissance américaine et en moins pour celle de la zone euro. Il faudra aussi apprendre à naviguer entre 1,20 et 1,40 sur l’euro/dollar au gré des publications statistiques et des décisions de politique monétaire des deux côtés de l’Atlantique. Les marchés des changes vont donc rester particulièrement actifs et les risques sociaux de plus en plus dangereux. Euro trop fort, argent top cher… une réalité qui va forcément mal finir…

 

                                                                                                                                                  Marc Touati