Quelle est la différence entre déflation et désinflation ? Une question relativement simple à laquelle tout étudiant assidu à un cours de macroéconomie est capable de répondre. A en croire la présentation du budget 2014, il semble pourtant que le gouvernement français ne soit pas au point sur la nuance qui existe entre, d’une part, la notion de baisse réelle, et d’autre part, celle de la diminution de la hausse … Simple confusion ou communication habile ?
Un budget inédit, marqué par la baisse des dépenses publiques ? Non, pas exactement…
Le très attendu projet de loi de finances pour 2014 (PLF 2014) a été conjointement présenté mercredi 25 septembre par le ministre de l’économie Pierre Moscovici et par le ministre délégué au budget Bernard Cazeneuve. Bonne nouvelle, il s’agirait d’un budget qui met le « cap sur la croissance et sur l’emploi »… Enfin, après cinq années de croissance quasi nulle et vingt-sept mois consécutifs de hausse du chômage (voire même vingt-huit en tenant compte de l’anomalie signalée par pôle emploi concernant les chiffres du mois d’août). Le gouvernement table ainsi sur un redémarrage de la croissance (+0,9%) et de l’emploi (+0,6%) et souligne que si « la crise a été longue (…), nous sommes en train d’en sortir ».
Et puisqu’une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, il convient de souligner qu’un redressement des comptes publics devrait également s’opérer d’ici la fin 2014. Certes, pour la quarantième année consécutive un déficit a d’ores et déjà été ratifié (3,6% du PIB), toutefois dès le 1er janvier 2014, le gouvernement partira à la chasse de 18 milliards d’euros. Et la répartition de l’effort budgétaire (20% de recettes fiscales supplémentaires et 80% de baisse des dépenses publiques) devrait à priori s’avérer inédite. Vraiment ? Pas sûr.
Outre la hausse de la TVA (dont le taux normal passera de 19,6% à 20% et de 7% à 10% pour le taux intermédiaire), les ménages subiront en effet en 2014, une nouvelle baisse du plafond du quotient familial (comprenez la somme maximale qu’un foyer peut déduire de ses impôts par demi-part). De quoi grever un pouvoir d’achat déjà largement en berne. Les entreprises devront quant à elles se soumettre à l’impôt sur l’excédent brut d’exploitation. Ce nouvel impôt devrait surtout pénaliser les entreprises dont les sommes consacrées à l’amortissement des investissements sont élevées. Une mesure tout compte fait contre incitative pour un pays dont l’investissement privé ne cesse de reculer depuis presque deux ans.
Enfin, les efforts ayant trait aux dépenses ne sont en fait pas au rendez-vous. Quand le gouvernement évoque une réduction du train de vie de l’Etat d’environ 15 milliards d’euros, il faut en réalité entendre que la hausse des dépenses publiques en 2014 sera inférieure à la tendance haussière dite « naturelle » de progression des dépenses publiques. Ouf, il s’agit donc bien d’une augmentation et non d’une diminution. De là à penser que les pays qui ont véritablement réussi à opérer des coupes drastiques dans leurs dépenses (Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne et même dernièrement la Grèce) ne seraient pas normaux, il n’y a qu’un pas… Nuls doutes ainsi que la France pourra conserver en 2014 son titre de championne d’Europe de la dépense publique.
Un budget estampillé du label Olli Rehn
Avec l’entrée en vigueur de la législation baptisée « two pack » la Commission européenne peut désormais émettre un avis quant aux budgets nationaux des Etats de la zone Euro et, le cas échéant, en demander la révision. Malgré les faiblesses et ambiguïtés que comporte le PLF 2014, il convient de souligner qu’un bon accueil lui a été réservé lors de sa présentation à Bruxelles le jeudi 26 septembre. Pour Olli Rehn, commissaire européen en charge des affaires économiques, le budget français 2014 est en effet « marqué par la responsabilité et la prudence » et les hypothèses de croissance « apparaissent plausibles ». Une déclaration qui prend un sens tout particulier quand on sait que ce même Olli Rehn déclarait une semaine plus tôt qu’il restait « beaucoup à faire pour rétablir la compétitivité, créer des fondations solides pour la croissance économique et la création d’emplois ».
Dans ce vent d’euphorie, force est néanmoins de constater que des zones d’ombre peuvent être mises en évidence. Par quel miracle par exemple, le taux de croissance 2014 pourrait tendre vers les 1% ? Dans une conjoncture incertaine où les couacs politiques se suivent et se ressemblent, la confiance des entreprises devrait effectivement rester au plus bas, ne favorisant pas la reprise des investissements. De même, le déficit de compétitivité dont souffre la France vis-à-vis de ses voisins, conjugué à un Euro fort, ne devrait pas engendrer un rétablissement de la balance commerciale. Seule la consommation des ménages pourrait s’inscrire en très légère hausse dans un contexte de baisse généralisée de pouvoir d’achat.
Parmi les autres zones d’ombre, comment ne pas évoquer la trajectoire budgétaire française ? Alors que le gouvernement annonce un déficit public 2013 équivalent à 4,1% du PIB, il ne serait en effet pas surprenant d’apprendre dès le mois de mars qu’il est en fait plus proche des 4,4% du PIB… bien loin ainsi des 3,9% accordés à titre exceptionnel par la Commission européenne à la fin du mois de mai 2013. La dette publique devrait quant à elle atteindre le seuil symbolique des 2 000 milliards d’euros en 2014, soit environ 95% du PIB. Les marchés pourraient alors sur-réagir et les taux de l’OAT s’envoler, notamment si les agences de notation décident de dégrader de nouveau l’hexagone. Une hypothèse tout à fait crédible.
Pour l’heure néanmoins, les marchés n’ont toujours pas décidé d’attaquer la France. Il faut dire en effet que le tampon sur le PLF 2014 « certifié Olli Rehn » a de quoi rassurer les investisseurs internationaux. Mais un évènement externe permet également d’expliquer ce phénomène. Dimanche, 29 septembre, pour son 77ème anniversaire, les ministres italiens membres du parti du Peuple de la Liberté ont offert un beau cadeau à Silvio Berlusconi en présentant leur démission du gouvernement de coalition mené par Enrico Letta. Quasiment six mois après le fiasco des élections (défaite prématurée de Mario Monti et percée du mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo), l’Italie traverse donc à nouveau une grave crise politique qui devrait être scrutée par les marchés et les agences de notation qui n’hésiteront pas à dégrader la troisième économie européenne.
Le malheur des uns fait ainsi le bonheur des autres et la France profiterait actuellement d’un mouvement dit de fly to quality. Un sursis inattendu qui doit fondamentalement être utilisé pour mettre en place de véritables réformes… avant que les marchés ne se lassent de la communication actuelle du gouvernement et décident d’attaquer la dette souveraine hexagonale.
Achevé de rédiger le 01 octobre 2013,
Anthony Benhamou, anthonbenhamou@gmail.com