France et Zone Euro : Dette, mensonges et vidéo… (E&S n°267)

Humeur :

France : Dette, mensonges et vidéo…

Certains se souviennent peut-être de la palme d’or du 42ème festival de Cannes « Sexe, mensonges et vidéos ». Vingt-quatre ans plus tard, le gouvernement français est en train de nous en jouer un mauvais remake. A une différence près : le vice n’est pas relatif au sexe mais à la dette. Que cela n’aurait-il pas été si DSK était aux manettes… Blague à part, la présentation du projet de loi de finances pour 2014 a encore donné un exemple flagrant que, comme cela s’observe d’ailleurs depuis une vingtaine d’années, la politique économique hexagonale se résume à une débauche de moyens marketing, de tours de passe-passe et de faux-semblants, le tout relayé sans broncher par la quasi-totalité des médias français. On se croirait presque revenu « au bon vieux temps » de la Pravda, organe médiatique unique de la « grande démocratie » qu’était l’URSS.

Ainsi, à en croire DJ Mosco et Super Cazeneuve, les dépenses publiques vont baisser de 15 milliards d’euros en 2014. Formidable. Une annonce unanimement relayée et qui est pourtant un mensonge éhonté. En effet, ces 15 milliards ne constituent absolument pas une baisse des dépenses mais une moindre augmentation par rapport à la tendance dite « naturelle » de progression des dépenses publiques. Et oui, en France, la tendance naturelle de ces dernières est forcément une augmentation ! C’est à se demander comment certains pays, tels que l’Allemagne, le Canada, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et même l’Italie, l’Espagne ou encore dernièrement, la Grèce ont pu réduire significativement leurs dépenses publiques… Ils ne doivent vraiment pas être « normaux »…

Au-delà du fait que quasiment personne n’a relevé ce mensonge aussi voyant que le nez sur la figure, il n’y a vraiment personne (du moins à ma connaissance) qui rappelé les annonces du même DJ Mosco lors de la présentation du budget 2013 en septembre 2012. Attention les yeux : « La loi de finances 2013 prévoit 10 milliards d’économies, avec un déficit public ramené à 3 % du PIB fin 2013 ». Le plus amusant, ou plutôt le plus triste, est que cette phrase est toujours présente sur le site de Bercy. Résultat des courses : le poids des dépenses publiques dans le PIB est passé de 56,6 % en 2012 à un nouveau record historique de 57,1 %. Aussi bizarre que cela puisse paraisse, tout le monde a l’air de trouver normal que plus de 57 % du PIB de sphère publique soit financée par moins de 43 % de secteur privé. Pourtant, cette équation inacceptable et insoluble ne relève pas du politique ni même de l’économique, mais de la mathématique…

Parallèlement, bien loin des 3 % annoncés, le ratio déficit public/PIB sera de 4,1 % cette année. C’est du moins la prévision gouvernementale. Or, rappelons-nous qu’en septembre 2012, Bercy annonçait un déficit/PIB de 4,5 % et qu’il fut finalement de 4,8 %. Autrement dit, en 2013, ce ratio sera d’environ 4,5 %. Cela signifie que l’effort à réaliser pour 2014 sera d’autant plus difficile que la base de départ est plus grave que celle annoncée dans la loi de finances. Le pire est qu’en dépit de ces dérapages et mensonges à répétition, la Commission européenne a adressé un satisfecit au gouvernement sur son projet de budget 2014. Comme quoi, l’aveuglement est vraiment généralisé.

Ce décalage est encore plus flagrant en matière de dette publique. Il y a un an, le gouvernement annonçait un niveau de 91,3 % du PIB pour la fin 2013. Or, l’INSEE vient de le confirmer, dès le deuxième trimestre 2013, ce ratio a atteint 93,4 %, en progression de 1,6 point par rapport au trimestre précédent. La prévision gouvernementale de 95,1 % pour la fin 2014 devrait donc être atteinte dès la fin 2013.Nous ne pouvons donc que maintenir notre prévision d’un ratio de 100 % pour la fin 2014.

Et ce d’autant que les taux d’intérêt des obligations du Trésor français vont continuer d’augmenter pour se rapprocher des 4 % d’ici un an (pour les échéances à dix ans). De même, les prévisions de croissance de Bercy restent tout aussi hasardeuses que celles effectuées il y a un an. On nous annonçait alors 0,3 % pour 2012 et 0,8 % pour 2013. Ce fut finalement 0 % l’an dernier et ce sera au mieux 0,1 % cette année. Quant à la prévision actuelle d’une croissance de 0,9 % pour 2014, il faut reconnaître qu’elle demeure prudente mais néanmoins sujette à caution.

En effet, en dépit de sa promesse d’une pause fiscale, les impôts vont continuer d’augmenter en 2014. Tout d’abord pour les ménages, avec notamment la baisse du quotient familial et surtout l’augmentation des taux de TVA (de 19,6 % à 20 % pour le taux normal et de 7 % à 10 % pour le taux intermédiaire). Déjà particulièrement moribonde, la consommation va donc flancher nettement l’an prochain. Quant aux soi-disant « cadeaux fiscaux » aux entreprises, il faut bien comprendre qu’ils sont conditionnés et ne viendront qu’en contrepartie d’augmentation d’autres impôts. Au total, si l’activité ne redémarre pas significativement, la charge restera particulièrement lourde pour les entreprises, ce qui les empêchera d’investir et d’embaucher massivement. D’où le maintien d’un taux de chômage élevé, ce qui ne manquera évidemment pas d’accroître le déficit public global.

Ce qui nous amène à l’autre grand mensonge de la semaine, en l’occurrence la baisse artificielle du nombre de chômeurs en août : – 50 000 personnes au total. Un chiffre impressionnant, mais qui l’est beaucoup moins lorsque l’on sait qu’au cours de ce même mois, le nombre de radiations des listes de Pôle emploi pour « défaut d’actualisation » a avoisiné les 80 000 personnes. Corrigé de cet effet pour le peu pernicieux, le nombre de chômeurs a donc plutôt progressé de 30 000 sans-emploi en août. Ah, marketing quand tu nous tiens…

En conclusion, face à ces tristes constats, deux questions essentielles s’imposent : jusqu’à quand le gouvernement français va-t-il réussir à faire illusion et à tromper son monde ? Jusqu’à quand l’omerta de la grande majorité des médias français va-t-elle perdurer ?

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

Hollande, le nouveau maillon faible de l’Europe ?


Membre du club très fermé des Etats encore notés AAA, la vie économique des Pays-Bas ne ressemble pourtant pas à un long canal tranquille. Le pays ne s’est en effet toujours pas remis de la crise mondiale et vit actuellement sa troisième récession depuis 2008. Et si les marchés demeurent cléments vis-à-vis de la dette néerlandaise, l’heure des choix a néanmoins sonné. Un véritable laboratoire économique dont devraient s’inspirer les pays voisins.

L’ensemble des indicateurs de la nation orange sont dans le rouge

Les Pays-Bas, cinquième économie de la zone Euro, pourraient-ils connaître le même sort que l’Espagne ? Possible. Certes, les données macroéconomiques ne sont en rien comparables, toutefois la tendance observée soulève bien des inquiétudes. Depuis 2008 et la crise mondiale, l’économie orange a en effet vu rouge à trois reprises. Tout d’abord en 2009 où, à l’instar de l’ensemble des économies européennes, le PIB se contractait de 3,7%. Puis, après avoir renoué avec des taux de croissance positifs en 2010 et 2011, l’économie néerlandaise connaissait de nouveau une destruction de richesses et affichait en 2012 un taux de croissance de -1,2%. Plus qu’une récession, une véritable dépression puisqu’en 2013 le PIB devrait subir une nouvelle diminution de 0,8%.

Parallèlement, la situation sur le marché de l’emploi s’avère de plus en plus préoccupante. Quasiment au plein emploi en 2008, le taux de chômage n’a fait qu’augmenter depuis, passant ainsi de 3% à un peu plus de 7% en 2013. Un fléau qui concerne également les jeunes puisque près de 12% d’entre eux sont actuellement sans emploi contre 6% en 2008. Une situation qui a favorisé la montée du risque politique comme en témoigne la percée du parti d’extrême droite PVV (Parti pour la liberté) en 2012 et de son leader, Geert Wilders, eurosceptique déclaré.

Enfin, la situation des finances publiques n’est guère plus reluisante. Si entre 2006 et 2008 les Pays-Bas ont excellé en matière budgétaire (excédents successifs de 0,5%, 0,2% et 0,5%), la situation s’est nettement dégradée depuis. Ces quatre dernières années en effet, le gouvernement néerlandais a présenté un solde public non seulement négatif mais aussi supérieur aux normes dictées par Bruxelles (-5,6% en 2009, -5,1% en 2010, -4,5% en 2011 et -4,1% en 2012). Des dérapages budgétaires qui trouvent leur origine notamment dans la hausse des dépenses d’allocation chômage liée à la dégradation du marché de l’emploi. Conséquence logique d’une trajectoire budgétaire qui s’est égarée, l’endettement public a connu depuis 2008 une hausse significative de plus de 20% passant de 58,5% du PIB à 71,2% du PIB en 2012.

Quelle est donc l’origine des maux actuels des Pays-Bas ? La crise de 2008 et la faillite de Lehman Brothers a clairement paralysé l’activité des entreprises nationales, à l’international. Structurellement, le dynamisme de l’économie néerlandaise s’appuie en effet sur les exportations ; celles-ci constituaient d’ailleurs plus de 85% du PIB en 2012. La dégradation de l’activité nationale est ainsi fortement corrélée au ralentissement de la demande mondiale provoqué par la crise financière de 2008 et à la morosité des échanges internationaux. Mais des causes internes peuvent également être mises en évidence tel que le retournement du marché immobilier et la crise bancaire sous-jacente qui en résulte. La crise que traverse actuellement le pays contraint effectivement de nombreux ménages néerlandais à se désendetter à travers notamment la liquidation de leur bien immobilier. Toutefois, la chute de plus de 20% du prix des logements depuis 2008 participe à rendre le désendettement difficile et fait peser de sérieux risques sur les banques dont la garantie hypothécaire est devenue caduque. Un risque d’autant plus fort que les créances immobilières des banques représentent environ 90% du PIB néerlandais pour un secteur bancaire affreusement concentré (Rabobank, ING Bank et ABN Amro constituent 70% du marché)…

Un effort sans précédent pour une nation crédible

Dans de telles circonstances, la réponse du gouvernement néerlandais se devait d’être forte et sans équivoque. C’est ainsi que face à la nation, lors de la présentation du budget 2014 le 17 septembre dernier, le nouveau roi des Pays-Bas Willem Alexander a annoncé la fin de l’Etat providence, comprenez une coupe historique dans les dépenses sociales. « A tous ceux qui le peuvent, il est demandé de prendre ses responsabilités pour sa propre vie et pour son entourage ». Une rigueur budgétaire qui doit être soumise au parlement et qui a déchaîné la colère de l’opposition, de l’armée, des syndicats et des citoyens néerlandais. Il s’agit néanmoins d’un signal fort envoyé à l’Europe et en particulier à la Commission européenne qui avait accordé un sursis d’un an pour atteindre la cible budgétaire. Et quand on se souvient des propos du président français François Hollande lors du délai également obtenu concernant une « Commission qui n’a pas à nous dicter ce que nous avons à faire », la réponse néerlandaise prend un sens tout particulier.

Le virage adopté par le gouvernement néerlandais constitue également un signal fort vis-à-vis des marchés. En tant que pays fondateur d’une Union de plus en plus décriée de par son laxisme budgétaire, les Pays-Bas se devaient effectivement de donner l’exemple. Et comme, à l’instar de celle de la France, la dette publique néerlandaise est détenue pour plus des deux tiers par les investisseurs internationaux, il était fondamental de renforcer la crédibilité du pays sur les marchés. L’objectif réside ainsi dans le fait de pouvoir continuer à bénéficier du soutien des agences de notation (bien que les perspectives soient pour le moment négatives) pour profiter de taux bas et éviter d’entrer dans une spirale infernale de la dette. Par ailleurs, les tensions observées ces derniers mois sur les marchés obligataires devraient se poursuivre courant 2014. Cependant, l’ajustement des taux à 10 ans des emprunts d’Etat néerlandais devrait plutôt s’expliquer par l’évolution de la politique monétaire américaine que par une réelle crainte sur l’économie néerlandaise.

Probablement de manière non intentionnelle, la courageuse, mais néanmoins douloureuse, décision du gouvernement néerlandais pourrait influencer le comportement de ses voisins. A commencer par la Belgique dont les efforts commencent à payer puisqu’au mois de juillet dernier, l’endettement net de l’Etat fédéral enregistrait une contraction de 2 milliards d’Euro par rapport au mois précédent. Et si cette évolution ne reflète pas forcément l’évolution annuelle, il y a toutefois fort à parier que le ratio dette publique sur PIB belge devrait être stable en 2013 par rapport à 2012. Autre voisin évidemment concerné, la France. Une brève comparaison d’indicateurs macroéconomiques s’impose ; taux de chômage de 7% contre plus de 11% en France, un déficit public prévisionnel 2013 de 3,7% contre (officiellement) 4,1% en France, dette publique équivalente à 71% du PIB contre 93% en France. Si la situation économique néerlandaise semble à tout point de vue plus enviable que celle de la France, il est incroyable d’observer que ce sont bien les Pays-Bas qui entreprennent un virage de politique économique radical et non la France…

Inévitablement, la rigueur budgétaire néerlandaise sera douloureuse et engendrera de nombreux troubles au sein du pays. Il est néanmoins important de souligner le véritable courage politique de la coalition néerlandaise qui a évidemment pris conscience qu’elle s’était tiré une balle dans le pied. L’intérêt de la nation a dominé les passions carriéristes des politiques et malgré la tempête qui les attend, les Pays-Bas pourraient redresser la barre plus rapidement que prévu… Et naviguer vers de paisibles jours pendant que d’autres prennent le risque (systémique) de chavirer.

 

Anthony Benhamou

 



Les évènements à suivre du 30 septembre au 4 octobre:


L’emploi américain continue de se redresser.


 

Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :

Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf