Quel scoop ! Le ministre de l’économie Pierre Moscovici vient d’admettre que la dette publique française atteindra 2000 milliards d’euros en 2014. Mais attention, nous-a-t-il déclaré : il s’agira d’un « maximum » avant un repli dès 2015. Ouf ! Sauvé par le gong !
Franchement, il devient vraiment urgent que les membres du gouvernement et en particulier le Ministre de l’Economie arrêtent de prendre les Français pour des candides et cessent de faire des promesses qu’ils ne peuvent pas tenir. Tout d’abord, l’atteinte de la barre des 2000 milliards d’euros par la dette française en 2014 n’est pas une nouveauté. Je l’annonçais déjà dans mon dernier livre « Le dictionnaire terrifiant de la dette » publié en mars dernier.
Pourtant, je ne suis qu’un simple économiste issu des cités HLM d’Orly et qui n’a pas eu la chance d’intégrer les écoles prestigieuses telles que l’ENA ou Polytechnique. C’est d’ailleurs à se demander ce qu’on y enseigne, car, en tant que bon énarque, M. Moscovici devrait tout de même savoir qu’il n’est possible de baisser la dette publique qu’en générant des excédents publics. La dernière fois qu’un grand pays a baissé sa dette publique c’était aux Etats-Unis à la fin des années 1990 et début des années 2000, grâce à la croissance forte des années 1990 et à un excédent primaire (c’est-à-dire hors charge d’intérêt de la dette) de 1995 à 2001.
Or, même en embauchant David Copperfield à Bercy, le solde des comptes publics ne pourra pas passer d’un déficit de plus de 4,1 % en 2013 à un excédent en 2015. Surtout que la croissance est et restera faible. Depuis six ans, son niveau annuel moyen est de 0 % et ne devrait guère dépasser les 0,8 % de 2013 à 2015. Un niveau hautement insuffisant ne serait-ce que pour assurer chaque année le paiement des intérêts de la dette. Autrement dit, pour financer ces derniers, l’Etat doit encore s’endetter. C’est ce que l’on appelle la bulle de la dette, c’est-à-dire que cette dernière s’autoalimente.
Pis, jusqu’à présent, l’Etat français a pu bénéficier de taux d’intérêt artificiellement bas pour financer ses déficits. Depuis quelques mois, ceux-ci se tendent et vont continuer de croître au cours des prochains trimestres. Autrement dit, nous sommes très loin du cycle idyllique annoncé par M. Moscovici. Bien sûr, tout gouvernement a pour habitude d’utiliser la méthode Coué. Seulement voilà, s’il est normal de rester optimiste, il faut avant tout devenir réaliste.
Or, c’est exactement le contraire qui prévaut avec les prévisions du gouvernement selon lesquelles le ratio dette/PIB « diminuera de deux points par an en moyenne », grâce au « retour à un équilibre structurel des finances publiques et une croissance de l’activité de 2% en volume. » Cela fait plus de vingt ans que tous les gouvernements ont bâti leurs prévisions de déficit et de dette sur une croissance d’environ 2 %. Avec les piètres résultats que l’on sait. De 20 % en 1980, le ratio dette publique/PIB est passé à 60 % au début de la décennie 2000 à bientôt 100 %.
Car, ne nous leurrons pas, compte tenu de la persistance d’une croissance faible et d’un déficit structurel élevé, la dette publique continuera de flamber. Encore une fois, nous avons tous envie de croire à une accélération de la croissance et à l’avènement d’une ère d’excédents publics, seulement voilà, nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours. Et surtout, pour relancer la croissance, il faut prendre des mesures adéquates. Or, l’augmentation des impôts et des dépenses publiques va exactement dans le sens inverse.
En effet, l’emploi du qualificatif « maximum » pour la dette publique est particulièrement déplacé. Une fois encore, le gouvernement joue avec la faible culture économique des Français, qui est d’ailleurs alimentée à l’envi par l’éducation nationale et par de trop nombreux médias. Il faut être clair : l’idée d’une dette publique maximum, c’est-à-dire qui ne pourrait aller au-delà d’un certain niveau, n’a aucun sens. Avec un ratio dette publique/PIB de 240 %, le Japon en sait quelque chose. Tant que la croissance structurelle n’est pas relancée et que les déficits publics restent la norme, la dette publique va forcément continuer d’augmenter.
Les trous béants « de la sécu » et de la retraite ne vont évidemment pas arranger les choses. D’autant que la réforme a minima de la retraite par répartition est déjà caduque et aura comme principal effet d’accroître la dette publique. De plus, n’oublions pas que, par convention comptable, la dette publique française (comme ses homologues européennes d’ailleurs) n’intègre pas le « hors-bilan », c’est-à-dire le paiement des retraites des fonctionnaires. Si tel était le cas, nous serions déjà autour des 120 % du PIB.
En conclusion, à force de formuler des promesses intenables et de pratiquer de tels effets d’annonce qui tiennent davantage de l’abus de langage que de l’analyse économique, le gouvernement français réduit le peu de crédibilité qui lui reste. Dans ce cadre, il faut se préparer à une sanction qui sera lourde de conséquences : dans les tous prochains mois, la note de la dette publique française sera nettement abaissée.
Même si les agences de notation ne sont plus très crédibles également, cela suscitera une forte remontée des taux d’intérêt des obligations à dix ans de l’Etat français, au moins à 3,5 %. Dès lors, l’investissement et la consommation reculeront de plus belle, avec in fine, le retour fracassant de la récession. Comme celles de ses prédécesseurs, les prévisions de M. Moscovici finiront aux oubliettes. Ce ne sera donc pas veni, vidi, vici (« je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu »), mais plutôt veni, vidi, perdidi (…j’ai perdu)…
Marc Touati