Humeur :
L’Italie de nouveau dégradée : à qui le tour ?
Même si les marchés financiers n’en ont pas trop pris ombrage (du moins pour l’instant…), la nouvelle dégradation de la dette publique italienne par Standard and Poor’s à BBB est une véritable mauvaise surprise. Certes, les arguments de craintes sur la situation italienne ne manquent pas : deux récessions en quatre ans, crise politique latente (en dépit des sourires de façade), taux de chômage très élevé (12,2 % pour l’ensemble de la population active et 39 % pour les moins de vingt-cinq ans) et, surtout une dette publique stratosphérique, qui vient de dépasser le niveau psychologique de 2 000 milliards d’euros !
A titre de comparaison, il s’agit d’un montant équivalent au PIB français et d’environ 130 % du PIB italien. Après les frasques de Silvio Berlusconi et la rigueur maladive de Mario Monti, Enrico Letta et son pragmatisme supposé n’ont donc pas réussi à inverser la tendance et surtout à rassurer.
Pourtant, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain. En effet, en dépit des apparences, l’Italie a fait énormément d’efforts depuis une quinzaine d’années, en tout cas bien plus que la France. Ainsi, de 11,3 % du PIB en 1991, son déficit public a été considérablement réduit, atteignant même 0,9 % en 2000 et 1,6 % en 2007. Aujourd’hui encore, en dépit de la crise et d’une remontée à 5,4 % en 2009, le déficit italien a été ramené à 2,7 % en 2012 et devrait même avoisiner les 2,2 % en 2013.
Dans le même temps, le solde structurel des comptes de l’État italien (c’est-à-dire hors effets liés à la conjoncture) est passé de – 12 % du PIB en 1990 à – 0,6 % en 2012 et pourrait même se transformer en excédent de 0,5 % en 2013. Enfin, le solde primaire italien (c’est-à-dire hors charge d’intérêts de la dette) est en excédent quasi ininterrompu depuis 1992. En 2012, celui-ci a atteint 2,6 % du PIB et devrait avoisiner les 3 % en 2013. Autrement dit, l’Italie ne doit ses déficits publics et l’essentiel de ses difficultés qu’au paiement des intérêts de sa dette. De quoi rappeler qu’en matière d’endettement excessif, les erreurs du passé se paient pendant très longtemps.
D’ailleurs, pour parvenir à ces résultats, l’Italie a dû réaliser des efforts considérables, notamment en augmentant ses recettes fiscales, mais surtout en réduisant ses dépenses publiques, dont le poids dans le PIB est passé d’un sommet de 56 % en 1993 à un plancher de 45,9 % en 2000, avant de remonter à 50 % actuellement, soit environ 7 points de moins qu’en France.
Malheureusement, ces efforts ont également pesé négativement sur l’activité économique. Ainsi, de 2002 à 2012, la croissance annuelle moyenne du PIB italien a été de 0 % (contre une moyenne de la zone euro de 1 %). Sur la période 2008-2012, elle devient négative à – 1,3 % (contre – 0,2 % pour l’ensemble de l’UEM). Conséquence logique de cette décroissance, le taux de chômage a repris le chemin de la hausse, passant d’un plancher de 6 % en 2007 à désormais plus de 12,2 %. Quant à 2013, le PIB devrait reculer d’au moins 2,4 %, entraînant le taux de chômage au-dessus des 13 %.
Le pire est que malgré tous ces sacrifices ou plutôt à cause de ces derniers, l’Italie est toujours reléguée au rang des pays dangereux. Et ce même pour Moody’s, qui n’a pas encore réagi à la dégradation de S&P, mais dont la note de la dette publique italienne n’est que de Baa2.
D’ailleurs, conséquence logique de la dégradation de mercredi dernier, le taux d’intérêt à dix ans des obligations de l’Etat italien est reparti en nette hausse. Après être tombé à 3,8 % début mai, dans le sillage d’un vent d’optimisme aussi exagéré qu’éphémère, celui-ci s’est tendu à 4,5 % aujourd’hui. Le pic de 4,9 % du 25 juin dernier n’est pas encore retrouvé, mais cela ne saurait tarder. Et si ce niveau reste encore inférieur aux 7 % du début 2012, il demeure toujours beaucoup trop élevé pour permettre à l’Italie d’inverser la spirale haussière de la dette. D’autant que son PIB continue de reculer.
Et pour cause : tant que la charge d’intérêts de la dette publique sera supérieure à la croissance en valeur (c’est-à-dire augmentée de l’inflation), l’Italie sera incapable de sortir de la crise de la dette.
Autrement dit, après autant d’années d’efforts pour des résultats aussi décevants, la tentation reste forte de claquer la porte de la rigueur, voire pire…
En attendant, d’autres pays, qui ont fait beaucoup moins de réformes et de sacrifices que l’Italie, pourraient rapidement voire le couperet d’une nouvelle dégradation tomber. Et ce, à commencer par la France. Soyons effectivement réalistes et justes : si la note de la dette publique italienne n’est que de BBB en dépit des efforts réalisés depuis vingt ans, que dire alors de celle de la France, qui n’a quasiment engagé aucune réforme structurelle et affichera bientôt une dette publique de 100 % de son PIB avec, qui plus est, une croissance économique nulle depuis six ans ?
En d’autres termes, la France ne mérite plus son AA+ depuis bien longtemps. Si les agences de notation faisaient preuve d’équité et de justice, elles ne lui accorderaient qu’un simple A.
Si, jusqu’à présent, les dirigeants français ont réussi à endormir ces agences décidément bien peu crédibles, le réveil risque d’être particulièrement douloureux…
Marc Touati
Quid de l’économie et des marchés cette semaine :
La Croatie dans l’Union européenne : je t’aime, moi non plus.
Cela faisait près de dix années que les négociations avaient été entamées, et c’est seulement la semaine dernière que le rêve est devenu réalité ; la Croatie est le 28ème membre de l’Union européenne. Une réalité qui pourrait pourtant s’avérer moins douce et agréable qu’en rêve…
Plus qu’une récession, une vraie dépression.
Après la Roumanie et la Bulgarie en 2007, c’est donc au tour de la Croatie de rejoindre l’Union européenne. Il y a encore quelques années, cet Etat de 4,4 millions d’habitants était principalement connu pour être la patrie officielle de la cravate. En 2003 d’ailleurs, les croates nouèrent autour des arènes romaines de Pula la plus grande cravate du monde ; 808 mètres de long sur 25 mètres de large, et environ 300 heures de travail…
Ces dernières années pourtant, le marché de la cravate est au plus bas tant le pouvoir d’achat des croates a diminué. Depuis 2009 en effet, le pays traverse une crise économique des plus impressionnantes ; plus qu’une récession, il s’agit d’une dépression. En 2009, le PIB croate se contractait ainsi de près de 7%, puis de 2,3% en 2010, et de 2% en 2012.
Et si Slavko Linic, actuel ministre des finances, précise que Zagreb devrait renouer avec une croissance positive de l’ordre de 0,7% en 2013, la Commission Européenne anticipe plutôt une nouvelle contraction du PIB de l’ordre de 1%.
Depuis 2008, la Croatie a oublié la croissance…
Sources : Eurostat et ACDEFI
Pis, selon les données publiées par Eurostat, la Croatie est en 2012 l’un des trois pays les plus pauvres d’Europe. En indiçant à 100 le PIB par tête dans l’Union européenne, on constate en effet que le PIB par tête croate est de 61 quand celui de la Roumanie s’établit à 49 et celui de la Bulgarie à 47.
Une situation qui, en outre, n’a fait que se dégrader, puisque les données 2008 faisaient état d’un PIB par tête de 63, soit mieux que la Bulgarie (43), la Roumanie (47), la Pologne (56) et la Lettonie (58). Dans une économie où l’ensemble des indicateurs sont dans le rouge, les tendances observées sont donc d’autant plus inquiétantes. En témoigne également cette augmentation continue du taux de chômage qui s’élevait à 18% en avril dernier ; un niveau certes inférieur à celui atteint en Grèce et en Espagne, mais supérieur au taux de chômage portugais.
La Croatie, l’un des pays les plus pauvres de l’Union européenne.
Sources : Eurostat et ACDEFI
Enfin, la situation des finances publiques n’est guère plus flamboyante. Si le niveau de dette publique demeure encore soutenable, c’est sa trajectoire qui inquiète. Entre 2008 et 2012 en effet, le ratio dette publique sur PIB a quasiment doublé, passant de 28,9% à 54,3%.
Dans les années à venir, l’endettement public devrait encore s’alourdir au regard de l’envolée des déficits et de l’atonie de la croissance. Le déficit budgétaire est en effet attendu à 4,5% du PIB en 2013, et même au-delà des 5% en 2014, bien loin des fameux 3% préconisés par Bruxelles. D’ailleurs, un peu comme un cadeau de bienvenue, la Commission européenne a récemment prévenu qu’elle pourrait engager une procédure de déficit excessif contre Zagreb, pour dépassement du plafond budgétaire, comme le prévoit le pacte budgétaire européen.
La dette publique croate flambe…
Sources : Eurostat Coface et ACDEFI
L’herbe n’est pas plus verte ailleurs.
En adhérant au marché commun, la Croatie peut-elle vraiment rétablir sa situation macroéconomique ? Certes, cette adhésion constitue une publicité non négligeable pour un pays dont le tourisme pèse environ 15% du PIB. Force est néanmoins de constater que mis à part d’éventuelles externalités positives sur le secteur touristique, les débouchés sont tout de même limités à court terme. Les entreprises locales souffrent effectivement d’un déficit de compétitivité flagrant relativement à celle des autres pays de l’Union.
Et pour faire face à la concurrence européenne, la tentation de tirer les salaires vers le bas pourrait être grande, au risque de détériorer le niveau de vie des croates… déjà très bas. En outre, la réduction, voire l’arrêt des subventions que le gouvernement accordait jusque-là à certains secteur, dont notamment celui de l’agriculture, pourrait participer à entretenir la hausse du chômage. Dans ce sombre tableau, il convient de souligner que des retombées positives sont toutefois envisageables, mais uniquement à moyen-long terme, et seulement si Zagreb effectue de véritables réformes quant à la lenteur des procédures administratives, la bureaucratie, et la corruption.
Si l’herbe n’est pas verte en Croatie, elle ne l’est pas forcément plus ailleurs. L’Union européenne traverse actuellement une crise, non seulement économique, mais également politique et sociale Progressivement mais sûrement, la récession s’est en effet installée dans une Union dont la légitimité fait de moins en moins l’unanimité parmi les peuples et les politiques.
En témoigne notamment la recrudescence de slogans eurosceptiques scandés durant les désormais tristes et traditionnelles manifestations qui se tiennent tous les dimanches dans un ou plusieurs des Etats membres. En témoigne également les nombreuses passes d’armes entre membres de gouvernements nationaux et membres de la Commission Européenne.
L’adhésion le 1er juillet de la Croatie à l’Union européenne pourrait donc apparaître comme une erreur, dans un avenir proche. Tout d’abord parce qu’économiquement ce petit pays des Balkans n’était clairement pas prêt. Mais également parce que l’Union européenne doit relever en priorité des défis politiques et sociaux sans précédent depuis la seconde guerre mondiale. Une situation de « je t’aime, moi non plus », susceptible d’alourdir une barque déjà bien pleine qui risque de chavirer à tout moment.
Anthony Benhamou
Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :
Nos prévisions économiques et financières pour 2013-2014 :
Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf.