La Croatie dans l’Union européenne ; je t’aime, moi non plus
Cela faisait près de dix années que les négociations avaient été entamées, et c’est seulement la semaine dernière que le rêve est devenu réalité ; la Croatie est le 28ème membre de l’Union européenne. Une réalité qui pourrait pourtant s’avérer moins douce et agréable qu’en rêve…
Plus qu’une récession, une vraie dépression
Après la Roumanie et la Bulgarie en 2007, c’est donc au tour de la Croatie de rejoindre l’Union européenne. Il y a encore quelques années, cet Etat de 4,4 millions d’habitants était principalement connu pour être la patrie officielle de la cravate. En 2003 d’ailleurs, les croates nouèrent autour des arènes romaines de Pula la plus grande cravate du monde ; 808 mètres de long sur 25 mètres de large, et environ 300 heures de travail… Ces dernières années pourtant, le marché de la cravate est au plus bas tant le pouvoir d’achat des croates a diminué. Depuis 2009 en effet, le pays traverse une crise économique des plus impressionnantes ; plus qu’une récession, il s’agit d’une dépression. En 2009, le PIB croate se contractait ainsi de près de 7%, puis de 2,3% en 2010, et de 2% en 2012. Et si Slavko Linic, actuel ministre des finances, précise que Zagreb devrait renouer avec une croissance positive de l’ordre de 0,7% en 2013, la Commission Européenne anticipe plutôt une nouvelle contraction du PIB de l’ordre de 1%.
Pis, selon les données publiées par Eurostat, la Croatie est en 2012 l’un des trois pays les plus pauvres d’Europe. En indiçant à 100 le PIB par tête dans l’Union européenne, on constate en effet que le PIB par tête croate est de 61 quand celui de la Roumanie s’établit à 49 et celui de la Bulgarie à 47. Une situation qui, en outre, n’a fait que se dégrader, puisque les données 2008 faisaient état d’un PIB par tête de 63, soit mieux que la Bulgarie (43), la Roumanie (47), la Pologne (56) et la Lettonie (58). Dans une économie où l’ensemble des indicateurs sont dans le rouge, les tendances observées sont donc d’autant plus inquiétantes. En témoigne également cette augmentation continue du taux de chômage qui s’élevait à 18% en avril dernier ; un niveau certes inférieur à celui atteint en Grèce et en Espagne, mais supérieur au taux de chômage portugais.
Enfin, la situation des finances publiques n’est guère plus flamboyante. Si le niveau de dette publique demeure encore soutenable, c’est sa trajectoire qui inquiète. Entre 2008 et 2012 en effet, le ratio dette publique sur PIB a quasiment doublé, passant de 28,9% à 54,3%. Dans les années à venir, l’endettement public devrait encore s’alourdir au regard de l’envolée des déficits et de l’atonie de la croissance. Le déficit budgétaire est en effet attendu à 4,5% du PIB en 2013, et même au-delà des 5% en 2014, bien loin des fameux 3% préconisés par Bruxelles. D’ailleurs, un peu comme un cadeau de bienvenue, la Commission européenne a récemment prévenu qu’elle pourrait engager une procédure de déficit excessif contre Zagreb, pour dépassement du plafond budgétaire, comme le prévoit le pacte budgétaire européen.
L’herbe n’est pas plus verte ailleurs
En adhérant au marché commun, la Croatie peut-elle vraiment rétablir sa situation macroéconomique ? Certes, cette adhésion constitue une publicité non négligeable pour un pays dont le tourisme pèse environ 15% du PIB. Force est néanmoins de constater que mis à part d’éventuelles externalités positives sur le secteur touristique, les débouchés sont tout de même limités à court terme. Les entreprises locales souffrent effectivement d’un déficit de compétitivité flagrant relativement à celle des autres pays de l’Union. Et pour faire face à la concurrence européenne, la tentation de tirer les salaires vers le bas pourrait être grande, au risque de détériorer le niveau de vie des croates… déjà très bas. En outre, la réduction, voire l’arrêt des subventions que le gouvernement accordait jusque-là à certains secteur, dont notamment celui de l’agriculture, pourrait participer à entretenir la hausse du chômage. Dans ce sombre tableau, il convient de souligner que des retombées positives sont toutefois envisageables, mais uniquement à moyen-long terme, et seulement si Zagreb effectue de véritables réformes quant à la lenteur des procédures administratives, la bureaucratie, et la corruption.
Si l’herbe n’est pas verte en Croatie, elle ne l’est pas forcément plus ailleurs. L’Union européenne traverse actuellement une crise, non seulement économique, mais également politique et sociale Progressivement mais sûrement, la récession s’est en effet installée dans une Union dont la légitimité fait de moins en moins l’unanimité parmi les peuples et les politiques. En témoigne notamment la recrudescence de slogans eurosceptiques scandés durant les désormais tristes et traditionnelles manifestations qui se tiennent tous les dimanches dans un ou plusieurs des Etats membres. En témoigne également les nombreuses passes d’armes entre membres de gouvernements nationaux et membres de la Commission Européenne.
L’adhésion le 1er juillet de la Croatie à l’Union européenne pourrait donc apparaître comme une erreur, dans un avenir proche. Tout d’abord parce qu’économiquement ce petit pays des Balkans n’était clairement pas prêt. Mais également parce que l’Union européenne doit relever en priorité des défis politiques et sociaux sans précédent depuis la seconde guerre mondiale. Une situation de je t’aime, moi non plus, susceptible d’alourdir une barque déjà bien pleine qui risque de chavirer à tout moment.
Des graphiques sont disponibles dans le document PDF.
Achevé de rédiger le 10 juillet 2013,
Anthony Benhamou, anthonbenhamou@gmail.com