Portugal, Draghi, Zone euro : la crise continue… (E&S n°261)

Humeur :

Rechute du Portugal : qui a dit que la crise de la zone euro était finie ?

Il faudrait vraiment que les dirigeants politiques eurolandais et de trop nombreux économistes bien-pensants cessent de nous rabâcher que la crise de la zone euro est terminée. En effet, après Chypre il y a quatre mois, puis la rechute de la Grèce il y a quelques semaines, c’est au tour du Portugal de prendre un nouveau bouillon, qui pourrait d’ailleurs bien faire déborder le vase eurolandais. Et ce, même s’il ne représente que 1,8 % du PIB de la zone euro. En effet, à la différence de la Grèce et de l’Irlande qui ont connu presque vingt ans de croissance forte, le Portugal est resté englué dans la mollesse économique. Ainsi, de 1990 à 2007, c’est-à-dire avant le début de la crise, la progression annuelle moyenne du PIB a atteint 2,3 % au Portugal, ce qui est certes supérieur à la « performance » de la France (1,9 %), mais très inférieur à celle de l’Irlande (6,4 %), de la Grèce (3,1 %) ou encore du voisin espagnol (3,1 %).

Le comparatif des évolutions de PIB par habitant est encore plus édifiant. De 1990 à 2007 (donc, une fois encore, avant la crise), la richesse par habitant de l’Irlande a augmenté de 318 % en valeur et de 129 % en volume, celle de la Grèce de respectivement 383 % et 53 %. De quoi rappeler que la montée en puissance de l’économie hellène s’est aussi accompagnée d’une forte inflation. Toujours est-il que le Portugal reste loin de ces performances puisque, de 1990 à 2007, son PIB par habitant a seulement progressé de 187 % en valeur et de 37 % en volume.

Autrement dit, la Grèce et l’Irlande ont tellement « bien vécu » de 1990 à 2007 que les récentes crises qu’ils ont traversées sont certes douloureuses, mais presque supportables, en particulier pour l’Irlande qui a su redémarrer dès 2011. À l’inverse, les Portugais n’ont pas suffisamment amélioré leur niveau de vie pour pouvoir supporter une nouvelle cure d’austérité. Comme cela était déjà le cas en 1990 et en 2000, le PIB par habitant du Portugal reste même l’un des plus faibles de la zone euro. En 2012, il n’était ainsi que de 15 000 euros, contre 18 000 pour la Grèce et 35 500 euros pour l’Irlande. À titre de comparaison, celui de la France se situe à 32 000 euros par habitant.

Au classement des PIB par habitant de l’ensemble de la zone euro, l’Irlande est ainsi passée de la neuvième place en 1990 à la deuxième place de 2000 à 2009, pour finalement rétrograder en quatrième position en 2012, évidemment loin derrière le Luxembourg (83 000 euros par habitant), mais quasiment à égalité avec l’Autriche et les Pays-Bas (environ 36 000 euros). Pour un pays en crise, il y a donc pire. Dans ces conditions, l’Irlande paraît la plus à même de sortir assez rapidement de la bulle de la dette publique. Certes, cette dernière représente environ 115 % du PIB irlandais. Un niveau élevé, mais qui devrait se réduire dès 2013-2014 grâce au retour de la croissance. Pour la Grèce, ce sera évidemment beaucoup plus difficile. Certes, en matière de PIB par habitant, elle a quitté la dernière place qu’elle occupait en 1990 pour arriver à la douzième place l’an passé, malgré la crise. Son problème principal réside évidemment dans sa dette pléthorique qui avoisine les 170 % du PIB malgré sa récente restructuration.

À l’inverse, si le Portugal affiche une dette publique de « seulement » 122 % de son PIB, sa structure sociale apparaît encore plus fragile que celle de la Grèce. Ainsi, d’avant dernier en 1990, son PIB par habitant est désormais dernier de la zone euro à 12, et quinzième de l’UEM à 17, ex aequo avec Malte et juste devant la Slovaquie et l’Estonie, qui étaient évidemment très loin de l’Euroland et même de l’Union européenne en 1990.

Pour ne rien arranger, le taux de chômage portugais demeure fort et la crise politique qui sévit dans le pays depuis 2011 devrait encore accroître les incertitudes, donc annihiler les chances de reprise à court terme. Dans ce cadre, les taux d’intérêt des obligations d’État ont flambé dangereusement, atteignant même un sommet de 17,5 % début 2012. Et si une détente appréciable a eu lieu depuis, avec des niveaux compris entre 7 et 8 % fin 2012 et même 6 % au printemps 2013, ils restent encore beaucoup trop élevés, a fortiori ces derniers jours avec un niveau de 7,45 %. N’oublions effectivement pas la règle de base « taux d’intérêt-croissance ». Tant que les premiers sont supérieurs à la seconde (mesurée évidemment en valeur, c’est-à-dire avec l’inflation), les chances de sortie de la bulle de la dette sont nulles. Car il n’y a pas assez de croissance pour rembourser la charge d’intérêts de la dette !

Déjà particulièrement salée depuis 2008, cette dernière n’a cessé de s’alourdir pour avoisiner les 4,5 % du PIB en 2012 (après déjà 3,6 % du PIB en 2011). Tant que la croissance en valeur du Portugal n’aura pas atteint 4,5 %, la situation du pays demeurera inextricable. Or, en 2013, avec une baisse du PIB d’environ 3 % et une inflation d’environ 1,5 %, le pays subira une décroissance en valeur de 1,5 %. Récession, taux d’intérêt toujours élevés, tensions politiques et sociales : les déficits publics semblent condamnés à rester massifs au moins jusqu’en 2014. D’où de nouvelles dégradations de la notation en perspective, puis une tension aggravée sur les taux d’intérêt des obligations d’État, donc plus de déficits…

C’est alors que les difficultés sociales portugaises prendront toute leur importance. Car si déjà en Irlande et en Grèce, en dépit d’une croissance forte pendant vingt ans, les dérapages sociaux sont difficiles à maîtriser, la situation risque d’être encore bien plus délicate au Portugal. Dès lors, ce pays pourrait être tenté de claquer la porte de la zone euro, devenant le maillon faible qui fera exploser cette dernière.

Nous sommes donc désolés de rappeler la simple réalité : non la crise de la zone euro n’est pas terminée. Elle pourrait même atteindre un nouveau paroxysme destructeur au cours des prochains mois.

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

Draghi et les OMT : « Super Mario » l’homme providentiel ?


« Whatever it takes ». Ces trois petits mots, prononcés par Mario Draghi à l’été 2012, ont participé jusqu’alors à restaurer progressivement le calme dans la zone Euro. Pourtant, depuis quelques semaines, des tensions sont de nouveau perceptibles, comme en atteste notamment la remontée des taux sur les obligations souveraines. De nouvelles turbulences auxquelles le président de la Banque Centrale Européenne (BCE) va devoir faire face. Peut-être en se transformant en « Super Mario » ? Ou, plus simplement, en enfilant son costume de prêteur en dernier ressort ?

Draghi et son « bazooka monétaire »

En juillet 2012, devant un parterre d’investisseurs internationaux, Draghi soutenait que « l’Euro est irréversible » et que la BCE fera « tout ce qu’il faudra » pour trouver une issue à la crise. Une formule qui se matérialisa trois mois plus tard, par la création du programme Outright Monetary Transactions (OMT). Celui-ci consiste en un engagement formel de la BCE à financer sans limite la dette des Etats en difficulté qui en feraient la demande. En acceptant, potentiellement, de revêtir ce costume de prêteur ultime, Draghi asseyait alors formellement sa détermination quant à l’atteinte de son objectif, à savoir restaurer la confiance sur les marchés.

Cette notion de prêteur ultime, ou prêteur en dernier ressort, est née au XIXème siècle via les travaux d’Henri Thorton (An Equiry into the nature and effects of the paper credit of Great Britain, 1802) et de Walther Bagehot (Lombard Street ou le marché financier en Angleterre, 1874). Selon eux, une banque centrale se doit d’apporter son soutien aux banques commerciales, lorsque celles-ci font face à des difficultés ponctuelles de refinancement. La création du dispositif OMT confère ainsi à la BCE un rôle de prêteur ultime, nettement différent de celui que l’on trouve dans la littérature économique. L’option OMT est en effet offerte aux Etats de la zone Euro dont l’accès aux marchés se trouverait restreint, sans pour autant mettre en avant la question de leur solvabilité. Une refonte totale de la notion de prêteur en dernier ressort.

Prêteur ultime ou non, force est de constater que Draghi et son « bazooka monétaire » ont clairement contribué à la détente des spreads sur les marchés. Une accalmie d’autant plus impressionnante qu’aucun Etat n’a encore manifesté le désir ni le besoin de lever l’option OMT. Un véritable modèle d’effet d’annonce. Quant aux turbulences quotidiennes qui laissaient à penser que la zone Euro allait imploser en plein vol, elles semblent désormais appartenir au passé. En témoigne, notamment, les taux des obligations souveraines qui ont significativement diminué durant le premier semestre 2013, participant ainsi à rendre plus soutenable la dette de certains pays, dont notamment ceux du sud de l’Europe.

Soit Draghi rassure, soit le dispositif OMT sera enclenché.

Seulement depuis quelques semaines, les marchés obligataires européens connaissent un regain de tension. En cause, notamment, le changement de ton des banquiers centraux. Outre Atlantique en effet, Ben Bernanke, président de la Federal Reserve (FED), a clairement indiqué lors de sa conférence de presse du 19 juin, l’arrêt des mesures ultra accommandantes en 2014. Draghi a également déçu lors de son allocution du 6 juin, où il a maintenu le statu quo sur les taux directeurs, quand le marché attendait un geste. Un stress généralisé qui a engendré une remontée soudaine des taux obligataires ; le taux à 10 ans des emprunts d’Etat italiens rapportent ainsi 4,5% contre 3,8% au début du mois de mai, 4,7% contre 4,0% pour les emprunts espagnols, 6,7% contre 5,5% pour les emprunts portugais et 10,4% contre 8,1% pour les emprunts grecs. Une friction sur les marchés obligataires qui n’épargne pas non plus les pays core de la zone Euro ; en atteste ainsi les taux du bund allemand et de l’OAT française qui s’élèvent respectivement à 1,7% et 2,3%, soit leur niveau le plus haut de l’année.

Quasiment un an après le célèbre « whatever it takes », Mario Draghi aura donc fort à faire, lors de sa conférence du 4 juillet, pour apaiser les tensions que connaissent actuellement les marchés. Et comme une baisse des taux n’est à priori pas d’actualité, son discours se devra d’être extrêmement rassurant quant aux marges de manœuvre dont dispose encore la BCE pour anéantir cette crise, déjà trop longue. Le risque réside en effet dans une poursuite de la remontée des taux périphériques, qui pourraient atteindre des niveaux insoutenables. La perte totale de confiance des marchés pourrait alors coïncider avec les premières demandes de déclenchement du dispositif OMT, en provenance d’Espagne ou du Portugal par exemple. La BCE endosserait ainsi pour la première fois de son histoire, son costume de prêteur ultime. Mais attention, en matière de politique économique aussi, les repas ne sont pas gratuits ; la mise en place du programme OMT pour un pays, nécessiterait effectivement que celui-ci se conforme à un ensemble de mesures de politiques économiques, plus ou moins contraignantes, dictées par la BCE.

A ce jour, une question demeure ; un pays qui serait sous perfusion OMT devra-t-il poursuivre les mesures déjà entamées ou bien les renforcer ? S’il s’agit d’aller plus loin dans l’austérité, il ne fait aucun doute que le pays concerné se dirigera à toute vitesse dans une impasse sociale… à l’heure où le chômage atteint des records. Les manifestations qui se tiennent chaque dimanche en Europe, laissent en outre à penser que le pays ne respectera pas totalement ses engagements vis-à-vis de la BCE. Ce faisant, il prendra donc le risque de se voir retirer l’aide dont il dispose. Mais cette menace est-elle réellement crédible ?

Le dilemme du prisonnier… européen.

Un éclairage intéressant, quant aux conséquences d’un Draghi put, peut être apporté par la théorie des jeux. Il s’agit plus précisément d’un dilemme du prisonnier, ultra simplifié, avec deux joueurs ; la BCE et le pays qui aurait levé l’option OMT. Chaque joueur aurait le choix entre deux stratégies ; le respect ou non de la règle. Le respect de la règle de la BCE consiste à financer la dette du pays. Le respect de la règle du pays consiste, pour sa part, à mettre en œuvre les recommandations de politiques économiques de la BCE. Dès lors, quatre équilibres peuvent être mis en évidence.

Les deux premiers équilibres semblent peu probables. Premièrement, les deux joueurs ne respectent pas la règle, et rien ne se passe ; c’est la situation actuelle où le pays décide de conserver toute son autonomie et de financer sa dette sur les marchés. Si les taux poursuivent leur ascension, cette situation ne pourra être durable. Dans le deuxième équilibre, le pays respecterait la règle quand la BCE ne respecterait pas la règle ; un équilibre tout bonnement impossible qui remettrait en cause l’existence même de la BCE.

Les deux derniers équilibres sont clairement plus proches de la réalité. Tout d’abord, les deux joueurs adoptent une stratégie coopérative ; la dette du pays serait ainsi financée en contrepartie de réformes douloureuses, et le pays effectuerait, à terme, un retour gagnant sur les marchés. Enfin, le dernier équilibre correspond à une situation où la BCE respecterait la règle alors que le pays dévierait unilatéralement ; une situation plus que probable au regard de la pression des peuples européens.

A la lumière du dilemme du prisonnier, la mise en place du dispositif OMT fait surgir deux questions fondamentales. La première a trait au comportement du pays qui, face aux tensions sociales, pourrait adopter une stratégie non coopérative. Un tel comportement devrait, en théorie, engendrer un arrêt du financement de sa dette par la BCE. Ce qui amène à s’interroger sur le pragmatisme de la BCE ; celle-ci osera-t-elle véritablement cesser son programme de rachat de dette au risque de provoquer une grave crise systémique ? Et Draghi aura-t-il le courage d’être responsable d’un séisme dont l’onde de choc serait, au moins, comparable à celle de la chute de Lehman Brothers ? Tout repose, en réalité, sur la personnalité du banquier central qui, de par sa crédibilité, ne devrait arriver à de tels extrêmes. Cependant, quand s’ajoute au problème de liquidité des Etats celui de la solvabilité, le costume de prêteur ultime peut alors s’avérer bien mal taillé…

 

Anthony Benhamou

 



Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :

Nos prévisions économiques et financières pour 2013-2014 :


Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf.