Yves Bertrand : le « concierge de la République ».

Yves Bertrand, décédé le 3 juin, aurait pu être un personnage de roman. Directeur Central des Renseignements Généraux (DCRG) de 1992 à 2004, il a survécu à sept Ministres de l’Intérieur et à deux cohabitations, un record absolu à un poste aussi sensible. Connu pour ses relations ambiguës avec les journalistes et ses méthodes sulfureuses, Yves Bertrand est sorti de l’ombre au moment de l’affaire Clearstream puis lors de la publication de ses fameux 23 cahiers à spirales. Islamisme, affaires politico-financières, vie privée des personnalités… Tout y passe, d’où son surnom de « concierge de la République ».

Mais comme il l’affirmait lui-même : « si le DCRG s’entend avec le ministre de l’Intérieur tout va bien », malheureusement pour lui, ce ne fut absolument pas le cas lorsque Nicolas Sarkozy fut nommé place Beauvau en 2002. En effet, le nouveau premier flic de France avait Yves Bertrand « dans le collimateur » depuis le milieu des années 90, soit en pleine guerre Chirac Balladur. Nicolas Sarkozy le soupçonnait à l’époque d’enquêter sur lui afin d’affaiblir la candidature d’Edouard Balladur dont il était un des plus fervents soutiens. Le raisonnement était le suivant : Bertrand servait loyalement le Président de la République François Mitterrand, qui lui-même préférait Chirac à Balladur qu’il ne supportait plus.

Chirac élu à la magistrature suprême accorde toute sa confiance à Yves Bertrand que Nicolas Sarkozy ne parvient pas à débarquer malgré toute l’énergie qu’il y consacre. Le patron des RG se retrouve donc à la tête d’une véritable police politique directement impliquée dans la guerre farouche que se livrent Chirac et Sarkozy. Indéboulonnable, Yves Bertrand est finalement rattrapé par la limite d’âge (60 ans) en 2004 et doit donc laisser sa place. Mais la guerre est loin d’être finie car il faut désormais lui trouver un successeur…    

Il faut savoir que le DCRG est nommé par le Président de la République sur proposition du ministre de l’Intérieur. Logiquement le numéro 2 des RG chargé de l’anti-terrorisme Bernard Squarcini avait toutes les qualités requises pour ce poste et notamment l’expérience, mais il avait un défaut rédhibitoire, il était très proche de Nicolas Sarkozy… Tant et si bien que passant outre les intérêts supérieurs de la nation, Chirac n’en veut pas et son clan (Villepin, Juppé) propose le préfet Hugues Parant. Or, ce dernier a le défaut d’être le fils de Philippe Parant, l’ancien directeur de la DST et proche de Chirac… Résultat : Sarkozy n’en veut pas… Un compromis sera trouvé en la personne de Pascal Mailhos, un préfet qui n’y connaissait absolument rien au renseignement, mais qui avait l’immense qualité d’être Chiraco et Sarko compatible…

Seulement voilà, malgré la nomination d’un nouveau patron des RG, Sarkozy estime qu’Yves Bertrand est toujours nuisible en utilisant ses réseaux au service de Dominique de Villepin, alors candidat putatif à la présidentielle et rival acharné de l’ancien maire de Neuilly pour la succession de Chirac. Le point d’orgue sera l’affaire Clearstream dans laquelle Nicolas Sarkozy est convaincu qu’Yves Bertrand et Philippe Massoni auront tenté de l’abattre…

Depuis 2007, les RG ont fusionné avec la DST pour former la DCRI que Manuel Valls vient de transformer en DGSI, mais les méthodes sulfureuses, les coups bas et les officines ont-ils disparu ? Rien n’est moins sûr…

 

La phrase de la semaine :

«Je n’arrive pas à me faire à l’idée que j’aurais pu travailler avec des escrocs organisés en bande.» Henri Guaino.

 

rôme Boué