Vaste question. Et pour cause : s’il est déjà difficile de prévoir la situation économico-financière internationale à un an, établir des anticipations à presque dix ans relève de la gageure. Tel est pourtant l’exercice périlleux auquel on me demande régulièrement de me livrer. Seul réconfort : compte tenu du caractère particulièrement éloigné de l’horizon prévisionnel, il est peu probable que l’on me tiendra rigueur de mes erreurs potentielles. À ce sujet, il est clair que si, à court terme, le consensus a très souvent tort, son risque d’erreur augmente avec le temps.
Ainsi, à la lumière d’un rapide retour sur les prévisions émises en janvier 2001 pour les dix années à venir, il apparaît que la grande majorité d’entre elles se sont avérées vaines. À l’époque, en dépit du début du dégonflement de la bulle Internet, la croissance américaine restait soutenue et paraissait peu encline à s’affaisser. Et ce d’autant que le taux de chômage des États-Unis se stabilisait autour des 4 %, alimentant la dynamique de la consommation et de l’immobilier. En Europe, la zone euro avait tout juste deux ans et semblait encore capable de concurrencer, voire de surpasser rapidement la zone dollar. D’autant plus que les dirigeants européens venaient de signer la stratégie de Lisbonne pour s’engager à faire de l’Union européenne « la terre de croissance et d’innovation la plus performante de la planète à l’horizon 2010 »… Quelle belle « plantade » ! Quant aux pays émergents, ils paraissaient au bord de la faillite, avec notamment les crises asiatiques des années 1997-1998, la crise russe et celles du Brésil et de l’Argentine.
Autant de sentiments et de prévisions qui ont été balayés par la réalité, laquelle a même parfois tourné au cauchemar. D’abord pour des raisons géopolitiques. Ainsi, alors que la décennie 1991-2001 avait été marquée par un certain apaisement des tensions internationales, la suivante a complètement inversé la donne : attentats du 11 septembre 2001, guerre en Afghanistan, en Irak, en Serbie, en Tchétchénie, guerres civiles dans de nombreux pays africains et sud-américains… Le domaine sanitaire n’a également pas été épargné : pandémie de SRAS, puis de grippe aviaire. Que dire alors des catastrophes naturelles : tremblements de terres, tsunamis, ouragans, inondations, marées noires… À l’évidence, il aurait été difficile de faire pire. Pourtant, comme si toutes ces horreurs ne suffisaient pas, de nombreuses catastrophes économiques et financières ont également jalonné la dernière décennie : Enron, explosion de la bulle Internet, flambée spéculative des cours des matières premières, crise des subprimes, faillite de Lehman Brothers, envol des dettes publiques, crises islandaise, grecque, irlandaise, chypriote et plus globalement de la zone euro…
Bref, le monde de 2013 est loin de ressembler à celui que l’on pouvait imaginer en 2001. Il y a néanmoins une bonne nouvelle dans cette suite de catastrophes en tous genres : nous sommes toujours là. En d’autres termes, en dépit des embûches et de l’adversité, l’économie mondiale résiste et continue de produire des « success stories ». Certes, elles ne sont pas pléthores. Cependant, elles montrent que les crises et les péripéties peuvent aussi constituer des opportunités pour ceux qui ne se laissent pas abattre par le pessimisme qu’elles génèrent. Dans ce cadre, même s’il est impossible de savoir quelles seront les catastrophes qui jalonneront la prochaine décennie, il est d’ores et déjà certain qu’elles engendreront également des opportunités déterminantes pour ceux qui ne baisseront pas les bras face aux dangers, mais qui, au contraire, oseront investir.
Bien entendu, pour les adeptes du catastrophisme, les risques géopolitiques ne manquent pas : Iran, Proche-Orient, Amérique latine, Europe de l’Est, Corée du Nord, Chine, Afrique… En revanche, pour les autres, et même si ces risques sont réels, les dix prochaines années seront surtout riches de défis à relever : développer la révolution des nouvelles technologiques de l’énergie, innover pour contrecarrer les probables pénuries d’eau et de matières premières alimentaires, limiter la spéculation sur les marchés financiers et réduire la pauvreté et les inégalités. Dans ce cadre, il est alors possible de rêver pour 2021 d’une planète plus propre avec une croissance soutenue sans pétrole, d’un monde pacifié tant d’un point de vue nucléaire qu’en matière de terrorisme, d’un système monétaire et financier international plus transparent et plus équilibré, sans oublier une réduction des dettes publiques, qui passera forcément par des dépenses publiques mieux maîtrisées et retrouvant une certaine efficacité.
Néanmoins, s’il est injustifié de sombrer dans le défaitisme, il serait tout autant erroné de se cantonner dans l’angélisme. Nous ne vivons pas dans le monde des « Bisounours » et, même si nous refusons de spéculer sur les désordres géopolitiques, il est malheureusement clair que le monde devra encore affronter d’autres difficultés économico-financières d’ici 2021. La première est d’ailleurs déjà présente, puisqu’il s’agit de la crise de la dette publique et plus globalement celle de la zone euro qui n’en finit plus. Si nos dirigeants politiques et monétaires ne parviennent pas à réaliser une UEM fiscalement et réglementairement harmonisée, avec un budget fédéral, qui deviendrait ainsi une terre de croissance, il faudra se préparer à un éclatement de la zone euro dans les cinq prochaines années. À plus long terme, l’hégémonie du dollar risque aussi d’être remise en cause par la montée en puissance du yuan. Or, si ce dernier remplace le billet vert sur la scène internationale, les États-Unis tomberont de leur piédestal et le monde s’engagera dans une crise économique encore plus grave que celle de 2008-2009.
Enfin, si ces deux sombres scénarios peuvent encore être évités, il sera beaucoup plus difficile de freiner la montée en puissance du monde dit émergent. Dans ce cadre, après avoir déjà été profondément modifiée au cours des dix dernières années, la répartition du PIB mondial subira une véritable révolution d’ici 2021. Ainsi, de 2 % en 1980 à 15 % aujourd’hui, la part du PIB chinois (en parités de pouvoir d’achat) dépassera les 20 %, soit au moins deux points de plus que les États-Unis qui perdront donc leur première place. Le poids de l’Inde sera proche des 10 %, c’est-à-dire un niveau équivalent à celui de la zone euro. Quant à la France, elle ne représentera plus que 1,8 % du PIB mondial, contre 2,9 % en 2010 et 2,6 % en 2012. Il ne faut pas en avoir peur, mais simplement le savoir (et l’accepter !) pour faire les bons choix stratégiques….
Marc Touati