Réforme des retraites et crise grecque : l’Arlésienne. (E&S n°258)

Humeur :

Réforme des retraites en France : de Madoff à l’Arlésienne.

La scène se passe en février 2009 dans le bureau du juge Denny Chin chargé de l’affaire Madoff : le premier demande au second : « Mais tout de même monsieur Madoff, quelle mouche vous a piqué ? Qui vous a donné l’idée de réaliser une telle carambouille : faire payer les anciens cotisants par les nouveaux arrivants ? » Bernard Madoff reste calme et répond : « C’est très simple, j’ai observé le système de retraite par répartition en France et j’ai fait pareil… » S’il s’agit évidemment d’une blague que l’on raconte sur les marchés financiers depuis le début de la triste affaire du nom du plus grand arnaqueur financier de l’Histoire (du moins, parmi ceux qui se sont fait attraper…), elle prend aujourd’hui une acuité cuisante dans le cadre du retour du débat sur le financement des retraites en France en 2013. Cette question n’est effectivement pas nouvelle puisque le premier livre blanc sur les retraites françaises date de 1974. À l’époque, on comptait 3,14 actifs pour un retraité. Le financement du système de retraite par répartition consistant à faire payer les retraités par les actifs ne posait donc aucun problème. Pourtant, on savait déjà que ce « système Ponzi » finirait forcément par exploser à partir du moment où les effets du baby-boom de l’après-guerre s’inverseraient. « Dans les années 2010 », disait-on à l’époque, et cela paraissait bien loin.

Jusqu’en 2000, une vingtaine de rapports gouvernementaux sur ce sujet furent rédigés, mais avec quasiment les mêmes conséquences, c’est-à-dire le statu quo. En fait, Il a fallu attendre 2003 pour qu’une réforme des retraites soit enfin engagée. Appelée « loi Fillon », du nom du ministre du Travail de l’époque, cette loi était censée tout résoudre. Pourtant, pour boucler son modèle de financement, elle tablait sur deux hypothèses hasardeuses : une croissance économique de 3 % par an et un taux de chômage stabilisé autour des 4,5 %. Bien entendu, ces prévisions n’ont pas été vérifiées. Loin s’en faut, puisque les niveaux structurels de la croissance et du taux de chômage de la France étaient déjà de respectivement de 1 % et 8,5 %. Et ce, avant même la crise de 2008-2009. Autrement dit, si cette dernière n’a évidemment pas arrangé les choses, soutenir qu’elle est à l’origine du trou des retraites relève du mensonge éhonté.

Toujours est-il que face à ces carences économiques, le problème du financement de la retraite par répartition n’a absolument pas été résolu par la loi Fillon. Or, la réalité est sans appel : on ne recense plus que 1,51 actif pour un retraité. À l’instar du système Madoff qui s’est effondré lorsque les nouveaux cotisants n’étaient plus suffisamment nombreux par rapport aux anciens (qui, en plus, réclamaient leur dû), le système de retraite par répartition à la française est voué à l’explosion. Souligner une telle réalité ne relève pas de la politique, ni même de l’économie, mais tout simplement de la mathématique. Pourtant, en dépit d’une telle évidence, une grande majorité des Français, du moins selon les sondages, continue de vouloir maintenir le statu quo. Chacun y va de son argument. Pour les uns, la retraite à soixante ans est un acquis social qu’il est impensable de casser ; pour d’autres il suffit de créer un nouvel impôt pour tout résoudre (encore un…). Le pire est que les prévisions avancées par le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) restent excessivement optimistes ! En effet, celui-ci continue de penser que le taux de chômage français va tendre progressivement vers 4,5 % ou, au pire des cas, vers 7 %. Avec un niveau actuel de 11 %, on peut en douter. En d’autres termes, les déficits annuels des retraites prévus par le COR (40 milliards à partir de 2015, 60 milliards à partir de 2020 et 115 milliards en 2050) sont loin d’être des plafonds, constituant au contraire des planchers.

En outre, il ne faut pas oublier qu’il s’agit là de déficits annuels qui se cumuleront dans le temps et pourront avoisiner les 2 600 milliards d’ici 2050. Or, la dette publique atteint déjà plus de 1 800 milliards d’euros et va encore augmenter, indépendamment des déficits des retraites. Il est donc clair que, si la question du financement des retraites n’est pas résolue au plus vite, la note de la dette publique française sera massivement dégradée dans de brefs délais. D’où une augmentation des taux d’intérêt, impliquant moins de croissance, plus de déficits, plus de trous des retraites et de la sécu. Finalement, la distance entre Paris et Athènes sera subitement raccourcie… C’est pourquoi la réforme des retraites de l’ère Sarkozy est presque déjà caduque et appelle une nouvelle révolution au plus vite. Malheureusement, la énième réforme que prépare l’actuel gouvernement ne fera pas mieux. Elle se contentera d’établir des prévisions de croissance et de chômage irréalistes, avec des colmatages de brèches en tous genres, des saupoudrages de mesurettes, des nouveaux impôts, etc. Autrement dit, beaucoup de bruit et de marketing pour pas grand-chose.

En fait, pour résoudre définitivement le problème, il faudrait que la solution passe par une plus grande responsabilisation des Français face à leur retraite et par une harmonisation de l’ensemble des systèmes. Chaque Français devrait notamment connaître officiellement et chaque année le montant de ses cotisations retraites, ainsi que le montant des prestations retraites auxquelles elles lui donnent droit. Ensuite, chacun pourra choisir : partir tard ou tôt à la retraite et, en fonction de son choix, recevoir plus ou moins de pensions. Dans le même temps, il faudra forcément soutenir le système par répartition avec une retraite par capitalisation qui permettra aux retraités de toucher l’ensemble des sommes collectées pendant leur vie active, soit d’un seul coup, soit sous forme de rente.

Les deux mots clés du sauvetage de la retraite française sont donc « responsabilité » et « liberté ». Il n’est plus possible de continuer à entretenir la déresponsabilisation des Français à l’égard de l’économie en général et des systèmes sociaux en particulier, en trouvant constamment des boucs émissaires à nos problèmes, et en défendant qu’il suffit d’augmenter les impôts pour résoudre les questions difficiles. Chaque individu est capable de comprendre que s’il vit plus longtemps (et c’est tant mieux), il doit forcément cotiser plus pour garder le même niveau de prestations retraites qu’avant. En revanche, il doit aussi avoir la certitude que ces cotisations supplémentaires ne serviront pas simplement à entretenir le « mammouth » ou à payer des personnes qui ont beaucoup moins cotisé que lui. Les Allemands, les Belges, les Anglais, les Italiens et beaucoup d’autres à travers le monde l’ont compris, il n’y a pas de raison que les Français n’y parviennent pas.

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

La crise grecque est de retour : un vrai « Samarasme ».


Cela finit vraiment par devenir lassant. Depuis la fin 2009, tous les six à neuf mois, nous avons droit à une nouvelle crise grecque, avec ses faux-semblants, ses dangers et ses « vraies fausses » solutions. À chaque fois, la majorité des économistes et des politiciens bien-pensants se répandent un peu partout pour annoncer que la crise grecque et, par là même, celle de la zone euro sont terminées. Malheureusement, rien n’a jamais été réglé. Bien au contraire. En fait, les dirigeants eurolandais ont simplement posé des gros pansements sur une plaie béante sans la cautériser. Si bien que lorsque le pansement s’effiloche, puis disparaît, la plaie est non seulement toujours là, mais elle s’est, de surcroît, infectée.

En effaçant la moitié de la dette grecque détenue par des agents privés, les Européens n’ont fait que gagner du temps. Car, dans la mesure où l’euro est resté trop fort et où rien n’a été mis en œuvre pour soutenir la croissance, la Grèce a continué de sombrer dans la récession et dans le malaise social. Depuis le début de la crise (c’est-à-dire depuis le quatrième trimestre 2007), le PIB hellène a plongé d’environ 30 %. Conséquence logique de ce marasme, le taux de chômage atteint désormais 27 %, et 62,5 % pour les moins de 25 ans.

Chômage en Grèce : un drame insurmontable.

Sources : Eurostat et ACDEFI

Quant à la bourse d’Athènes, son indice phare a chuté de 90 % depuis le début 2008. De quoi peut-être rappeler à certains que l’augmentation du chômage et la baisse boursière vont souvent de pair.

Pour « couronner » le tout, la Grèce s’est engagée dans une crise politique qui rappelle de bien mauvais souvenirs, avec, qui plus est, une extrême gauche qui est toujours à deux doigts de prendre le pouvoir, ainsi qu’un parti néonazi qui est entré au Parlement et a même créé des « milices ».

Dès lors, la moindre étincelle, comme la fermeture des médias publics par le gouvernement Samaras la semaine dernière, réactive un incendie qui n’a en fait jamais été circonscrit.

Cela confirme que, sans union politique, la zone euro reste menacée par un pays qui ne représente que 2 % de son PIB.

Face à ce chaos, certains n’hésitent pas à ressortir les vieilles rengaines d’une sortie de la Grèce de la zone euro, qui, selon eux, permettrait de sauver l’UEM, la Grèce et tutti quanti. Soyons clairs : une telle option serait tout simplement catastrophique pour la Grèce, pour la zone euro et pour la stabilité économico-financière de la planète.

Avant toute chose, il faut rappeler qu’il n’est pas possible aux membres de la zone euro de « sortir » un des leurs. Le choix appartient à chacun des pays. Or, quand bien même la Grèce accepterait de s’exclure de la zone (en vertu de la clause « d’opting out »), elle ne bénéficierait plus de la « protection » de cette dernière et devrait alors payer des taux d’intérêt à dix ans d’au minimum 30 % pour financer sa dette publique. Ce renchérissement se répercuterait à l’ensemble des crédits à l’économie et entraînerait un nouvel effondrement de l’investissement, donc de la croissance et de l’emploi. La récession redoublerait d’intensité et les déficits publics s’envoleraient de nouveau.

D’ailleurs, avant même d’en arriver là, il faut noter que les taux à dix ans de la dette grecs restent toujours très élevés en dépit de toutes les aides accordées à la Grèce depuis cinq ans. Depuis quelques jours, ils sont même passés au-dessus de la barre des 10 %.

La dette grecque fait toujours peur.

Sources : ACDEFI

Parallèlement, le remplacement de l’euro par la drachme susciterait une flambée inflationniste, une dépréciation notable de l’épargne et une réduction massive du pouvoir d’achat des ménages, d’où un nouvel effondrement de la consommation, donc de la croissance… Pris à la gorge, les Grecs n’auraient alors d’autres choix que de fermer leurs frontières financières et d’annuler la totalité de leur dette.

C’est à ce moment-là que l’effet de contagion se répandrait à l’ensemble des pays de l’UEM. Car les États européens détiennent environ 290 milliards d’euros de dette grecque, dont 80 milliards pour l’Allemagne et 60 milliards pour la France. Si la Grèce supprimait sa dette, ses actuels partenaires devraient « s’asseoir » sur une partie significative de leurs créances.

Pour la France, cela représenterait environ 3 % de son PIB. Son déficit public ne serait donc plus de 4,5 % du PIB mais 7,5 % ! Dans ce cadre, les notes des obligations d’État seraient fortement dégradées (de deux à trois crans), ce qui susciterait une importante augmentation des taux d’intérêt dans tous les pays de la zone euro (au-dessus des 4 % pour le taux dix ans français) et finirait par aggraver la récession qui est déjà de retour dans l’UEM. Les déficits se creuseraient encore et la dette publique avec…

Au total, la facture des 290 milliards d’euros de suppression de la dette grecque pourrait être triplée, voire plus.

En outre, la sortie de la Grèce de la zone euro créerait un précédent et pourrait donner de mauvaises idées à d’autres, entraînant l’UEM dans une dérive irrécupérable qui se traduirait immanquablement par l’explosion de la zone. Face à ce désastre, certains pays pourraient alors être tentés ou contraints de trouver un protecteur, également appelé « chevalier blanc » dans la théorie des jeux.

Comme lors de la chute de l’Empire romain, l’Europe deviendrait le théâtre d’invasions de toutes parts, notamment en provenance d’Asie, d’abord sur le front financier puis capitalistique. Devant cette menace, les grandes puissances européennes mais aussi les États-Unis ne resteraient certainement pas les bras croisés, ce qui transformerait la crise économique en tempête géopolitique majeure. De la Grèce à la guerre, il est urgent de tout faire pour éviter ce cauchemar….

 

Marc Touati



Les évènements à suivre du 17 au 21 juin :


La Fed et les PMI européens risquent d’inquiéter.


Cette semaine économico-statistique sera relativement calme, avec seulement cinq publications déterminantes. Trois aux Etats-Unis : les prix à la consommation et les mises en chantier (mardi), ainsi que les indicateurs avancés du Conference Board (jeudi). Deux dans la zone euro : les enquêtes ZEW (mardi) et les premières versions des enquêtes PMI des directeurs d’achat (jeudi).

Il faudra également suivre le FOMC du mercredi 19 et en particulier la teneur du communiqué qui suivra.

 

 

Mardi 18 juin, 11h (heure de Paris) : stabilisation de l’indice ZEW en Allemagne.

 

Comme en mai, l’indice ZEW devrait quasiment stagner en juin, reflétant les inquiétudes autour de la croissance allemande. Certes, avec un niveau de 36, il resterait toujours très appréciable, mais confirmerait que la récession est toujours menaçante outre-Rhin.

 

 

Mardi 18 juin, 14h30 : l’inflation américaine toujours très basse.

 

Comme cela s’observe depuis bientôt un an, les prix à la consommation devraient rester très calmes en mai. Après avoir encore baissé de 0,4 % en avril, Ils ne progresseraient que de 0,2 % en mai, notamment à cause d’un effet de correction de la faiblesse passée mais aussi grâce à la « sagesse » des cours des matières premières.

Quant au core CPI (c’est-à-dire hors énergie et produits alimentaires), il augmenterait de 0,1 % en mai, c’est-à-dire au même rythme qu’en avril. Dans les deux cas, cela se traduirait par des glissements annuels de 1,6 %, contre respectivement 1,1 % et 1,7 % en avril.

 

 

Mardi 18 juin, 14h30 : vers un rebond notable des mises en chantier aux Etats-Unis.

 

Après une baisse surprise de 16,5 % en avril (il est vrai après neuf mois de forte remontée), les mises en chantier de logements devraient rebondir de 11,4 % en mai. Elles atteindraient ainsi un niveau annualisé de 950 000. Quant aux permis de construire, après une hausse massive de 14,3 % en avril, ils se stabiliseraient en mai à un niveau annualisé de 1 million.

La sortie de la crise immobilière est donc toujours en marche, mais les effets des cadeaux de la Fed à ce secteur depuis septembre dernier commencent à s’essouffler.