L’actualité européenne a été des plus chargées ces dernières semaines ; mea-culpa du FMI quant aux mesures d’austérité mises en place par la Troïka en Grèce, délais supplémentaires accordés par la Commission européenne pour l’atteinte des cibles de déficits, affirmation par François Hollande de la fin de la crise de la zone Euro lors de sa visite au Japon, ou encore interruption soudaine de la télévision publique grecque. On en oublierait presque la remontée des taux d’intérêt sur les obligations souveraines…
Une remontée des taux dans tous les pays de l’Europe
Lors de son arrivée à la tête de la Banque Centrale Européenne (BCE) en novembre 2011, Mario Draghi s’imaginait-il qu’il serait désigné par certains, « homme de l’année 2012 » un an plus tard ? Ce titre, le technocrate italien le doit surtout à sa gestion de crise de la zone Euro. En seulement une année, « Super Mario », comme aiment désormais le surnommer de nombreux médias, a en effet réussi à faire oublier les catastrophes suscitées par son prédécesseur Jean-Claude Trichet en huit ans. En juillet 2012, devant un parterre d’investisseurs internationaux, il clamait ainsi, haut et fort, que « l’Euro est irréversible » et que la BCE fera « tout ce qu’il faudra » pour trouver une issue à la crise. L’objectif était alors de restaurer la confiance sur les marchés. Il semble néanmoins que cela n’ait pas été suffisant. En octobre 2012, Draghi asseyait alors définitivement sa détermination en annonçant la création du dispositif Outright Monetary Transactions (OMT). Celui-ci consiste en un engagement formel de la BCE à financer sans limite la dette des Etats en difficulté qui en feraient la demande. Une détente des spreads sur les marchés put dès lors être observée alors même que l’option offerte par le programme OMT n’avait été levée par aucun des pays membres de la zone Euro. Un véritable modèle d’effet annonce et de crédibilité.
C’est donc avec panache que Draghi a restauré la confiance sur le marché des obligations souveraines. Depuis le mois d’octobre 2012, une diminution sensible du taux sur les emprunts d’Etat à dix ans a effectivement pu être constatée dans de nombreux pays, dont ceux d’Europe du sud. Il semble, néanmoins, que le miracle Draghi tend à se transformer en mirage Draghi, comme en atteste la nette remontée des taux de ces dernières semaines. Le taux à dix ans des obligations souveraines italiennes rapporte ainsi environ 4,4% contre 3,8% au début du mois de mai, 4,6% contre 4,0% pour celles de l’Espagne, 6,4% contre 5,5% au Portugal et 10,4% contre 8,1% en Grèce. Plus alarmant encore, une rupture peut désormais être mise en évidence ; précédemment en effet, à chaque tension sur les taux périphériques correspondait une baisse des taux dans les pays core. Or, cette corrélation négative, synonyme de fly to quality, ne constitue plus la norme. Les taux du bund allemand et de l’OAT française s’inscrivent ainsi en hausse pour s’établir respectivement autour de 1,5% et 2,2% contre 1,2% et 1,7% au début du mois de mai.
La crise du subprime à l’envers
Ce regain de tension sur l’ensemble des marchés obligataires européens, sans exception, trouve notamment son origine dans le discours récent des banquiers centraux. Tout d’abord, force est de constater que Draghi a déconcerté de nombreux investisseurs lors de sa dernière conférence de presse en maintenant le statu quo sur les taux directeurs. En effet, à l’heure où l’Europe est en panne de croissance, les marchés attendaient un début de geste, voire une déclaration, quant aux munitions dont disposent encore la BCE pour anéantir la crise de la zone Euro. Outre-Atlantique, son homologue américain, Ben Bernanke a également participé à la friction des marchés obligataires européens. Lors de sa dernière intervention, le président de la Federal Reserve (FED) a, en effet, fait part d’une probable réduction de l’assouplissement quantitatif dans les mois à venir. Et si « Helicopter Ben », comme le surnomment les médias américains, se voudra rassurant lors de son discours du 19 juin, les marchés doivent désormais intégrer que la politique ultra accommodante de la FED ne pourra se poursuivre ad vitam æternam.
En France, la remontée des taux ne peut cependant s’expliquer uniquement par l’inflexion du discours des banquiers centraux. Après être passé sous la barre symbolique des 2% en avril, le niveau des taux actuels de l’OAT française flirte en effet avec les plus hauts de l’année 2013. Récession économique, chômage en hausse continue, déficit public primaire, balance commerciale négative, pas ou peu de réformes et scandales politiques, autant de maux qui participent à la hausse de la perception du risque par les investisseurs internationaux. Pour autant, force est de constater que le taux d’emprunt sur les obligations françaises demeure, encore, relativement faible, à la fois vis-à-vis des autres pays européens, mais surtout au regard du risque réel. Une crise du subprime à l’envers ? Pour mémoire, la principale caractéristique de la crise américaine résidait dans l’anomalie du couple rendement risque ; les titres subprimes offraient un rendement élevé alors même qu’ils étaient censés ne présenter aucun risque. A l’inverse, dans le cas des OAT françaises, le rendement est faible alors même que les fondamentaux français présentent un véritable risque.
Le mouvement de correction des taux français devrait se poursuivre. Certes. Mais à quel rythme ? Une réforme des retraites menée en douceur durant l’été ainsi qu’un budget bien calibré en septembre pourrait permettre à l’hexagone de conserver sa facilité à financer sa dette. Mais attention à la rentrée de tous les dangers. Aucune sortie de route budgétaire, relativement aux préconisations de la Commission européenne, ne pourra en effet être tolérée, au risque d’assister à une remontée brutale des taux… synonyme d’un resserrement de l’étau dans lequel la France se trouve actuellement.
Achevé de rédiger le 16 juin 2013,
Anthony Benhamou, anthonbenhamou@gmail.com