Les aveux de Jérôme Cahuzac sur son compte secret en Suisse et la mise en examen de Nicolas Sarkozy soupçonné d’abus de faiblesse envers Liliane Bettencourt résonnent comme deux véritables coups de tonnerre sur l’ensemble de la classe politique française.
Alors qu’une majorité de Français subit un matraquage fiscal sans précédent et que François Hollande prônait pendant sa campagne une « République exemplaire », cette confession de l’ancien ministre du budget représente le pire des scénarios pour le pouvoir en place. S’il est vrai que sous la 5ème République, les « affaires » n’ont pas manqué à gauche comme à droite, on peut cette fois parler de véritable cataclysme pour le pouvoir en place. En effet, cette affaire dépasse largement le cadre de la personne de Jérôme Cahuzac et touche directement François Hollande. Rappelons-nous le candidat socialiste qui pendant sa campagne partait en croisade contre les riches et donnait des leçons de morale à la droite.
Aujourd’hui, qu’il le veuille ou non, François Hollande est en première ligne et de nombreuses questions se posent : a-t-il couvert Cahuzac ? A-t-il été négligeant ? Les services de renseignement et/ou Bercy savaient-ils ? Quel que soit le cas de figure, il y a un problème Hollande. En effet, soit le président de la République savait et il a protégé Cahuzac, soit il ne savait pas et cela révèle de graves dysfonctionnements au plus haut niveau de l’Etat. Cela prouverait en effet que le Président de la République n’a pas utilisé tous les moyens de l’Etat (notamment la DCRI et Bercy) pour faire la lumière sur cette affaire, ou que ses services étaient informés mais lui ont caché la vérité. En d’autres termes, le premier personnage de l’Etat et chef des armées se décrédibilise encore un peu plus. Entre parenthèses, que n’aurait-on entendu à gauche si une telle affaire avait éclaté dans le gouvernement Fillon sous la présidence de Nicolas Sarkozy…
Ce dernier est également sous les feux de la rampe puisqu’il rejoint Jacques Chirac dans le club très fermé et peu enviable des anciens Présidents de la République mis en examen. Nicolas Sarkozy a beaucoup perdu de sa superbe. Rappelons-nous de la grande époque du début de mandat où tout (ou presque) lui souriait : c’était le temps du pouvoir, du mariage avec Carla Bruni, du strass et des paillettes. Mais l’euphorie des débuts fut de courte durée … Ainsi, Nicolas Sarkozy a dû faire face durant tout son mandat à la plus grave crise économique depuis celle de 1929, il a été cloué au pilori par les médias et a exaspéré une majorité de Français, il a perdu l’élection présidentielle et il est aujourd’hui mis en examen pour abus de faiblesse envers la personne de Liliane Bettencourt. En d’autres termes, l’homme qui dirigea la France pendant cinq ans est soupçonné d’avoir abusé une vieille dame pour lui soutirer de l’argent. Il s’agit d’une accusation particulièrement grave et infamante et c’est l’honneur de Nicolas Sarkozy qui est en jeu.
D’ailleurs, cette mise en examen a pris une tournure passionnelle au sein de la classe politique. Bien évidemment, à gauche beaucoup se réjouissent publiquement que la justice puisse s’exprimer en toute indépendance et frapper les puissants. Mais les indices retenus sont-ils solides et une telle accusation portant atteinte à la dignité morale et à la probité d’un homme était-elle justifiée ? C’est bien là tout le débat. De plus, contrairement à ce que l’on peut entendre ou lire, Nicolas Sarkozy n’est pas vraiment un justiciable comme les autres. Cela n’aura échappé à personne qu’il fut Président de la République, par conséquent, en s’en prenant à lui, on dépasse la cadre de sa personne et on attaque aussi l’institution.
Cela explique en grande partie le tollé à droite qui estime que l’ex-président est victime de l’acharnement du juge Gentil. Il est vrai que l’ancien chef de l’Etat n’avait pas été particulièrement tendre avec les magistrats pendant son mandat et que le juge Gentil est connu pour sa fermeté et son intransigeance. Le tout fait effectivement un cocktail explosif …Si bien sûr, l’ancien Président de la République est toujours protégé par la présomption d’innocence, le coup est rude. En effet, une mise en examen est censée reposer sur un faisceau d’indices graves et concordants. De fait, on a beaucoup de mal à imaginer, comme l’affirment les adeptes de la théorie du complot, que le dossier soit totalement vide.
Une autre question se pose : quel impact cette mise en examen peut-elle avoir sur un potentiel retour de Nicolas Sarkozy ? Si le crédit de l’ex-premier personnage de l’Etat est déjà sérieusement entamé, tout dépendra bien sûr des évolutions futures. En effet, dans le cas de figure où ce dernier serait renvoyé en correctionnelle risquant théoriquement trois ans de prison et 375 000 Euros d’amende, ses chances de retour diminueraient considérablement. L’ancien locataire de l’Elysée est donc tributaire du timing judiciaire et il a une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Si l’on ne peut pas lire l’avenir dans une boule de cristal, une chose est sûre : Nicolas Sarkozy n’est jamais aussi fort que dans l’adversité. Rappelons-nous « du coup de massue » qu’il a reçu après la défaite d’Edouard Balladur à l’élection présidentielle de 1995. Considéré comme un intime de Chirac, Sarkozy fut perçu comme le traître de service, conspué dans les meetings, donné pour « mort » politiquement. Il n’en fut rien et en dépit d’une longue et douloureuse traversée du désert, il sut se remettre en selle pour décrocher la magistrature suprême douze ans plus tard.
Rappelons-nous également de la guerre sans merci qui l’opposa au Président Chirac ainsi qu’à son premier ministre Dominique de Villepin. Le ministre de l’intérieur passa tous les obstacles, grâce à son talent et à sa détermination presque animale. Il en aura bien besoin car aujourd’hui, les dossiers judiciaires susceptibles de lui porter atteinte ne manquent pas : les sondages de l’Elysée, l’affaire Karachi, l’affaire Kadhafi et enfin l’affaire Lagarde-Tapie.
Malheureusement le fort climat de suspicion qui règne aujourd’hui va entamer encore un peu plus la confiance des Français envers l’ensemble de la classe politique, et seuls Marine Le Pen et, dans une moindre mesure, Jean-Luc Mélenchon semblent pour l’instant profiter de la situation.
La phrase de la semaine:
« Je pense que le diagnostic de François Hollande est totalement erroné. Ce n’est pas une personne qui a failli mais un système qui révèle sa pourriture intrinsèque.» Jean-Luc Mélenchon à propos de Jérôme Cahuzac.
Jérôme Boué