Chypre : bien pire que la Grèce…

Ne passons pas par quatre chemins : la décision de l’UE, du FMI et du gouvernement chypriote de taxer tous les dépôts bancaires de Chypre est irresponsable et extrêmement dangereuse. Et ce, pour au moins cinq raisons.

Premièrement, elle contrevient à la réglementation bancaire qui interdit la taxation unilatérale des dépôts à vue. Dès lors, elle crée un précédent particulièrement néfaste. Car, une fois que la boîte de Pandore est ouverte, il n’est plus possible de la refermer et un effet domino pourrait se produire à l’échelle eurolandaise.

Deuxièmement, comme la ruée des Chypriotes vers les guichets bancaires automatiques ce week-end l’a montré, cette mesure risque de susciter une panique bancaire et in fine, une vague de faillites sur l’île. Même si les banques françaises sont très peu présentes à Chypre, un mouvement de contagion pourrait néanmoins s’engager, d’abord en Grèce, qui n’en a évidemment pas besoin, puis ensuite à l’ensemble des pays de la zone euro.

Troisièmement, cette mesure unilatérale digne d’une dictature ne manquera pas d’attiser la crise sociale qui sévit à Chypre depuis plus de cinq ans. En effet, en intégrant l’euro le 1er janvier 2008, les Chypriotes pensaient certainement obtenir le sésame qui leur permettrait de s’engager sur le chemin de la prospérité durable et de traverser les crises potentielles sans difficulté. Malheureusement, il n’en a rien été. Pire, depuis 2008, Chypre a plongé dans une récession dramatique, subissant une baisse de son PIB réel de plus de 5 %. Encore aujourd’hui, le niveau de sa richesse est inférieur à 4 % de celui qui prévalait avant la crise.

Conséquence logique de cette bérézina, le taux de chômage chypriote s’est envolé, passant de 3,5 % mi-2008 à 14,7 % en janvier 2013. Dans le même temps, le solde des comptes publics est passé d’un excédent de 3,5 % du PIB en 2007 à un déficit de 6,3 % en 2011. Et, même si des efforts d’assainissement ont été engagés en 2012, ce déficit ne parvient pas à passer sous les 5 %. Enfin, le ratio dette publique/PIB a aussi connu une montée vertigineuse, se hissant de 48,9 % en 2008 à près de 90 % l’an passé et au moins 97 % en 2013.

C’est bien là le drame : si l’on augmente la pression fiscale, notamment sur les dépôts bancaires, la récession va s’aggraver, le chômage flamber davantage, d’où une augmentation des déficits publics et de la dette. Autrement dit, l’aide de 10 milliards d’euros va partir en fumée en quelques mois.

Quatrièmement, cette mesure rappelle que les dirigeants européens et du FMI n’ont toujours rien compris à la crise de la dette publique. En effet, ils rééditent les mêmes erreurs qu’ils ont commises avec la Grèce, et pour le FMI, avec l’Argentine, il y a plus de dix ans. Et pour cause : avant de pouvoir réduire les déficits publics, il faut d’abord restaurer la croissance, surtout lorsque celle-ci a disparu depuis cinq ans. En d’autres termes, il ne sert à rien de mourir guéri. Or, tant que l’euro sera trop fort et que la BCE ne pourra financer directement les pays en difficulté, la croissance ne redémarrera pas.

Cinquièmement, si elle est votée (ce qui, espérons-le, ne sera pas le cas), la décision chypriote revêt un risque géopolitique fort. En effet, elle relance la crise de défiance à l’égard de la zone euro et de ses dirigeants. Dans ce cadre, Chypre pourrait être tentée de quitter l’euro et de réfugier vers le grand cousin russe, qui jouerait alors le rôle de Chevalier blanc.

Même si Chypre ne représente que 0,18 % du PIB eurolandais, elle pourrait donc bien constituer une nouvelle goutte d’eau, qui, ajoutée à celles de la Grèce, du Portugal et aux verres d’eau espagnols et italiens, finirait peut-être par être fatal à l’UEM. A l’évidence, la crise de la dette publique et celle de la zone euro sont loin d’être terminées.

 

Marc Touati