Le sommet de la croissance ? Oui mais des tensions sociales…

 

C’est donc jeudi 14 mars que s’est ouvert un nouveau sommet européen. Croissance, déficit public, et chômage en ont constitué les principaux sujets de discussion. Alors que la dernière réunion des 27 avait mis en évidence de fortes tensions politiques, ce sommet devait, de l’aveu même du président du Conseil européen Herman Van Rompuy, être « un peu ennuyeux ». Pas si sûr…

 

La croissance économique plutôt que la rigueur budgétaire

Quels sont les moyens de relancer la croissance économique en Europe tout en poursuivant l’assainissement des finances publiques ? C’est en somme la question fatidique à laquelle les dirigeants européens ont tenté d’apporter un début de réponse à défaut de s’entendre sur de réelles solutions. Si le précédent sommet a clairement montré que deux camps se faisaient face, il semble ainsi que les tenants de la relance ont obtenu gain de cause. C’est bel et bien de la croissance dont il a été question à Bruxelles et non de la rigueur budgétaire. Et pour cause, les tenants de la relance ont bénéficié d’un allié surprise et de taille, le Fonds Monétaire International. Dans un papier intitulé Growth forecast errors and fiscal multipliers, paru en janvier 2013, Olivier Blanchard et Daniel Leigh admettent en effet avoir fait une erreur quant à l’estimation du multiplicateur budgétaire. Pour mémoire, ce principe mis en évidence par Keynes implique qu’un euro dépensé/économisé par l’Etat génère une hausse/perte de revenu pour l’économie nationale, supérieure, inférieure ou égale à la dépense/économie initiale, en fonction de la valeur dudit multiplicateur. Or, traditionnellement estimé à 0,5, il semble que la juste estimation soit en fait plus proche de 1,7 ; autrement dit, pour ne pas « ajouter l’austérité à la récession », formule chère à François Hollande, il convient de privilégier des politiques de croissance économique plutôt que de rigueur.

Si l’on aime à opposer, de façon assez caricaturale il est vrai, les tenants de la relance à ceux de la rigueur, il se trouve que ces deux camps présentent une caractéristique commune ; un exercice 2012 désastreux du point de vue de la création de richesse. Quand les tenants de la relance sont entrés en récession économique, ceux de la rigueur affichaient des taux de croissance quasi nuls. C’est ainsi que le taux de croissance de la Grèce s’élevait à -6,4%, celui du Portugal à -3,2%, celui de l’Italie à -2,4%, celui de l’Espagne à -1,4% et enfin celui de Chypre, nouveau maillon faible de l’Union européenne, à -2,4%. Pour sa part, la France a fait une année blanche mais est, techniquement, en récession. En tête des tenants de la rigueur, le Royaume-Uni de David Cameron dont le taux de croissance a atteint non sans difficulté un timide 0,2% et l’Allemagne d’Angela Merkel qui affiche un taux de croissance de 0,7%.

Par ce nouveau sommet, les dirigeants européens semblent ainsi changer de stratégie. Après des années d’austérité croissante, ils sont désormais prêts à s’accorder sur des moyens permettant de libérer la croissance économique. Un élément qui s’explique notamment par la relative détente des marchés financiers suite à l’engagement de la Banque Centrale Européenne en octobre 2012 d’intervenir en prêteur ultime via son programme outright monetary transactions.

 

Ne pas oublier les objectifs liés aux déficits structurels

La croissance économique est une solution viable à la crise économique et sociale en Europe. Tout d’abord, parce qu’elle devrait permettre de diminuer le ratio dette publique sur PIB des Etats les plus endettés (161% en Grèce, 127% en Italie, 120% au Portugal et 117% en Irlande) à travers l’effet du dénominateur. Mais la recherche de la croissance économique ne doit pas dans le même temps occulter les réels problèmes de finance publique et les pêchés originels de trop nombreux Etats. A titre illustratif, en 2012 encore, les déficits publics de l’Union européenne et de la zone euro s’établissaient respectivement à 3,8% et 3,4%..

Le pacte budgétaire européen, entré en vigueur en début d’année, fonctionne ainsi comme une garantie contre de nouveaux dérapages publics, bien qu’il ne concerne que les pays de la zone euro. Il contraint en effet les Etats à respecter une règle d’or : limiter leur déficit public structurel (qui ne tient pas compte des effets de la conjoncture) à 0,5% du PIB pour les pays dont l’endettement est supérieur à 60% du PIB et 1% pour les autres. Néanmoins, en attendant une amélioration de la conjoncture, Bruxelles a fixé pour 2013 et 2014 des objectifs intermédiaires … qui ne seront pas tenus.

L’essentiel est pourtant là et de réels efforts budgétaires ont pu être observés dans de nombreux pays afin de converger progressivement vers les objectifs du pacte budgétaire. Mais le chemin à parcourir est encore long et l’étau budgétaire ne peut être totalement desserré. Aussi, en 2013, de nombreux pays poursuivront l’assainissement de leurs finances publiques, tels que la Grèce et la France où les déficits prévisionnels atteindraient respectivement en 4,6% du PIB et 3,7% du PIB contre 6,6% du PIB et 4,6% du PIB en 2012. Ces efforts sont certes significatifs mais ont un coût social élevé…

 

L’émergence du risque politique

La réduction des déficits publics rime effectivement le plus souvent avec hausse de la fiscalité. Or, dans un contexte où la croissance économique est en berne et où le chômage augmente, toute mesure d’austérité supplémentaire porte en elle le risque de chaos social. Et c’est aujourd’hui le principal risque en Europe ; la crise de la dette bascule progressivement mais sûrement vers une crise sociétale. En témoigne le « habemus austeritate » lancé par plus de 15 000 manifestants avant le début de la réunion des 27 chefs d’Etat. En témoigne aussi la percée du parti populiste M5E lors des récentes élections italiennes. En témoigne enfin la triste réalité des dimanches en Europe, où des marées humaines, grecques, portugaises et espagnoles manifestent à coup de slogans eurosceptiques.

Relancer la croissance économique, tout en conservant un cap sur la réduction des déficits, devient donc une priorité nécessaire et urgente pour permettre la relance de l’emploi… et l’apaisement des tensions sociales. Le taux de chômage atteint en effet des niveaux qui ne sont plus supportables dans de nombreux pays. En Espagne et en Grèce, il s’élève à 26% et, sur le seul périmètre des jeunes de moins de 25 ans à 56%. Le Portugal et l’Irlande affichent pour leur part des taux de chômage respectifs de 17,6% et 14,7%. Enfin, en France et en Italie, la situation du marché du travail se détériore un peu plus chaque mois et le taux de chômage actuel gravite autour des 11%.

L’Europe, ce projet fou imaginé il y a environ 60 ans pour garantir la paix sociale, ne peut ainsi que constater l’émergence d’un risque politique alors même que sa création avait pour dessein initial d’éteindre à jamais ce risque. Toutefois, à l’inverse de la crise économique et financière, le risque de crise politique ne semble pas, pour le moment, inquiéter les marchés. Et si pour la première fois depuis longtemps la réunion des 27 chefs d’Etat n’était pas soumise à la pression de la crise financière, la pression de la rue, elle, n’a jamais été aussi forte. Tout comme l’Europe a su apporter des réponses à la crise économique, il faut absolument qu’elle anéantisse la montée du risque politique avant que celui-ci se matérialise de façon plus brutale. Et afin d’éviter un énième sommet qui portera, non plus sur la croissance économique, mais sur la croissance du populisme.

 

 

Sur le fichier pdf, vous pourrez trouver un ensemble de graphiques accompagnant cet article.

 

 

Achevé de rédiger le 15 mars 2013,

Anthony Benhamou, anthonbenhamou@gmail.com