Il y a maintenant un peu plus d’un an, le candidat normal François Hollande faisait face au Bourget à des milliers de militants de gauche. Il se lança alors dans une éloquente tirade que nul n’a pu oublier ; « mon véritable adversaire n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti. Il ne présentera jamais sa candidature. Il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance ». Aujourd’hui, le président normal François Hollande sait que la finance n’est pas un véritable adversaire mais plutôt un partenaire sur lequel il peut compter pour financer notamment la dette publique française. En revanche, le président avait bel et bien mis le doigt sur un sujet important : les banques occupent une place non négligeable au sein de l’économie et, après les avoir sauvées de la faillite quelques années plus tôt, il est grand temps d’y mettre de l’ordre… C’est la vocation de la réforme bancaire qui devrait s’appliquer en 2015 et qui est en ce moment débattue à l’Assemblée.
La nécessité d’une réforme bancaire
Une fois qu’ils auront obtenu leur baccalauréat et après de longues vacances bien méritées, les étudiants qui auront opté pour la voie universitaire économique débuteront les cours au mois d’octobre 2013. Commenceront alors au moins cinq années pendant lesquelles ils entendront beaucoup parler de John Maynard Keynes mais aussi des économistes classiques et néoclassiques. Ils apprendront notamment que selon ces derniers, il existe une solide dichotomie entre la sphère financière et la sphère réelle. C’est à ce moment très précis que la différence se fera entre les futurs bons économistes et les autres… à la lumière de la crise financière puis de la crise économique de ces cinq dernières années, comment peut-on en effet accepter une telle proposition ?
L’activité actuelle de la plupart des banques couvre effectivement des opérations dites traditionnelles (dépôts et crédits) permettant le financement de l’économie ainsi que des opérations liées aux marchés financiers dont le niveau de complexité est croissant. C’est le modèle de la banque universelle. C’est dans ce cadre que Pierre Moscovici, ministre de l’économie, des finances et du commerce extérieur, présente face aux députés son projet de loi concernant la réforme du système bancaire français. Dans les grandes lignes, il s’agit d’établir un barbelé entre ces deux types d’activités au sein des banques.
La nécessité d’une réforme bancaire trouve son origine dans l’histoire récente. La faillite en 2008 de Lehman Brothers, évènement inhérent à la sphère financière, a certes entraîné une véritable onde de choc sur l’ensemble des banques mondiales. Mais elle a surtout eu des répercussions sur le financement de l’économie réelle à travers une offre de crédit se réduisant comme peau de chagrin au quatrième trimestre 2008 et au premier trimestre 2009. Cet épisode prouve ainsi l’existence d’un véritable risque systémique lié au fonctionnement actuel des banques. La réforme bancaire vise ainsi à réduire ce risque ainsi qu’à protéger les déposants et, plus généralement, l’économie réelle.
Une réforme timide et ouverte au débat
S’il existe une volonté de cloisonner les activités spéculatives des banques, il semble néanmoins que les barbelés ne soient pas électrifiés. Le projet de loi prévoit en effet la création de filiales capitalisées et financées de façon indépendante dans lesquelles seraient logées les opérations pour compte propre… opérations qui constituent ces trois dernières années environ 1% du PNB des banques françaises. Toutefois, certaines activités pour compte propre pourraient demeurer dans les comptes de la banque si elles sont menées au bénéfice d’un client. Ainsi, une véritable zone d’ombre apparait quant à la définition et au périmètre des activités à cantonner. C’est donc Bercy qui devrait se voir confier la responsabilité de trancher ; le ministre de l’économie, des finances et du commerce extérieur fixerait en effet des limites au-delà desquelles les activités de tenue de marché seront séparées des autres activités de la banque. La filialisation devrait ainsi être limitée et, à l’évidence, l’idée d’un retour au glass steagall act n’est pas d’actualité.
Le projet de réforme contient par ailleurs un volet sur les paradis fiscaux et un volet sur la protection des consommateurs. En ce qui concerne les paradis fiscaux, les banques devraient effectivement être contraintes de publier chaque année une liste de leurs filiales à l’étranger en indiquant le PNB qu’elles y réalisent ainsi que les effectifs employés. Parmi les nombreux amendements qui avaient été initialement déposés, certains députés proposaient également d’imposer aux banques une communication sur la fiscalité des filiales étrangères, proposition finalement écartée. Enfin, concernant la protection du consommateur, le projet de réforme prévoit un plafonnement des commissions d’intervention, la garantie pour les populations en difficulté de pouvoir jouir gratuitement d’un compte bancaire et de services de base, et l’amélioration du fonctionnement de l’assurance emprunteur.
Réglementation n’est pas régulation
Bien que ce projet de réforme soit timide, il a néanmoins le mérite d’exister. Dans le fond pourtant, il eut été plus efficace de réguler plutôt que de réglementer. En effet, ce projet de loi vise exclusivement à imposer un certain nombre de règles et à renforcer le pouvoir de surveillance de l’Autorité de contrôle prudentiel. Or, il semble que le véritable sujet porte sur l’aléa moral et qu’il aurait ainsi été plus opportun de mettre en place des contraintes incitatives qui, structurellement, auraient responsabilisé tous les comportements.
La France peut néanmoins se targuer d’être un précurseur en la matière. Même le voisin allemand a décidé d’emboiter le pas à l’Hexagone en adoptant un projet dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2014. Le projet allemand diffère néanmoins de celui de la France puisqu’il vise à réglementer tout en imposant une dose de régulation ; concrètement, la responsabilité pénale des dirigeants de banques ou de grands groupes d’assurance pourra directement être mise en cause dans le cas d’une prise de risque délibérément excessive et inconsidérée.
Et en Europe ? Même son de cloche. Un groupe de travail mené par le gouverneur de la banque de Finlande Erkki Liikanen et composé d’une dizaine d’experts a restitué ses conclusions au mois d’octobre 2012. Le rapport Liikanen met en évidence les risques excessifs pris par les banques dans le passé et souligne l’importance d’un système bancaire sain. Les préconisations du groupe, notamment en termes de séparation, s’avèrent ainsi bien plus strictes que le projet de réforme bancaire français et allemand.
Si le modèle de la banque universelle devrait être préservé, les débats autour de la réglementation et/ou de la régulation des banques vont dans le bon sens tant ces dernières occupent une place fondamentale dans l’économie.
Achevé de rédiger le 13 février 2013,
Anthony Benhamou, anthonbenhamou@gmail.com