Budget européen 2014-2020 : quand le camp de la rigueur affronte celui de la relance.

« Deal done ! » ; c’est le message rédigé par Herman Van Rompuy vendredi 8 février sur son compte Twitter. Les chefs d’Etat européens se réunissaient en effet jeudi 7 février 2013 à Bruxelles afin de négocier le budget à allouer à l’Union pour la période 2014-2020. Prévu sur deux jours, ce sommet a abouti à un accord à l’arrachée… en jeu effectivement, la douloureuse somme de 5 milliards d’euros. C’est beaucoup pensez-vous ? Et bien lisez la suite.

 

Mode d’emploi du budget européen

Parce que le budget est l’instrument financier le plus important de l’Union européenne, son élaboration donne lieu à de nombreuses discussions entre pays membres. Faut-il privilégier la compétitivité des pays au travers notamment des dépenses de recherche et développement ou plutôt la cohésion de l’Union via l’aide aux régions les moins développées ? Et que faire concernant les aides à l’agriculture et au développement rural ? Il convient en fait de trouver une combinaison optimale permettant de satisfaire chaque pays ; c’est le consensus.

Cinq rubriques sont discutées par les chefs d’Etat de l’Union lors de la négociation du budget. La première rubrique se compose de deux sous-rubriques. Tout d’abord, les questions liées à la compétitivité (recherche, éducation, formation, développement des réseaux) qui représente pour plusieurs Etats membres un véritable relais de croissance pour l’Union. Vient ensuite la politique de cohésion qui concerne principalement les pays de l’Est et ceux du Sud. Compétitivité et cohésion constituent environ 45% du budget de l’Union. La deuxième rubrique discutée par les chefs d’Etat porte sur la politique agricole commune, un des piliers historiques de la construction européenne. Le poids de cette rubrique dans le budget atteint environ 43%. Par conséquent, les 12% restant du budget se répartissent entre les rubriques trois, quatre et cinq, soit respectivement les politiques de citoyenneté, sécurité et justice, l’action de l’Union européenne à l’international et, enfin, les frais de fonctionnement.

Le budget européen doit être équilibré, autrement dit, les dépenses doivent être totalement couvertes par les recettes. Or, l’Union européenne ne peut lever l’impôt puisqu’elle ne constitue pas un réel Etat fédéral. Aussi, le budget européen est financé par les Etats membres en fonction de leur richesse et de leur niveau de développement. ; Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni et Espagne forment ainsi le quinté des pays qui contribuent le plus aux recettes de l’Union en y assurant plus des deux tiers. Prélèvement sur TVA, droits de douanes et droits agricoles constituent les autres recettes de l’Union.

 

Les forces en présence

Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, a dû effectuer un véritable numéro d’équilibriste pour trouver un accord entre deux camps que tout semble opposer. D’un côté, les tenants de la relance emmenés par François Hollande et son désormais célèbre « faire des économies, oui, affaiblir l’économie, non », lancé devant le Parlement européen le 6 février. Celui-ci peut également s’appuyer sur Mario Monti et un Mariano Rajoy en pleine tourmente politique. De l’autre, les tenants de la rigueur budgétaire avec pour chef de file David Cameron, bien épaulé il est vrai par le néerlandais Mark Rutte, le suédois Frerik Reinfeldt et la danoise Helle Thorning-Schmidt. Et l’Allemagne ? Dans un contexte tendu, Angela Merkel a décidé pour sa part de jouer l’apaisement en donnant des gages aux deux parties.

Les négociations engagées ont porté sur l’enveloppe allouée aux crédits d’engagement pour un montant de 960 milliards d’euros et celle portant sur les crédits de paiement (autrement dit les dépenses effectives). Cette dernière a constitué le principal sujet de discorde entre les tenants de la dépense et ceux de la rigueur. Les premiers escomptaient une enveloppe de crédits de paiement d’un montant de 913 milliards d’euros contre 908 milliards d’euros pour les seconds… soit un écart de seulement 5 milliards d’euros, autant dire une goutte d’eau dans l’océan. Après l’échec du mois de novembre 2012, la crédibilité de l’Union a de nouveau été mise à mal en raison d’un désaccord majeur portant sur environ 0,5% des sommes finalement négociées.

Ce désaccord sur la direction budgétaire n’est en fait que l’arbre qui cache la forêt. Il met effectivement en évidence l’essoufflement des pays de l’Union après quatre années de crise. Preuve en est, les demandes croissantes de rabais de plusieurs pays quant à la participation au financement du budget. En tête de ces pays, le Royaume-Uni dont le combat en faveur de la rigueur budgétaire est compliqué à saisir à la lumière de l’annonce de David Cameron en janvier sur un référendum pour 2015 sur le maintien ou non des britanniques au sein de l’Union européenne.

 

Le Royaume Uni a-t-il réellement gagné une manche ?

Rencontres bilatérales, apartés et autres conciliabules. Après d’âpres négociations, les pays du Nord emmenés par le Royaume-Uni, ont finalement réussi à faire plier les tenants de la dépense. L’enveloppe retenue pour les crédits de paiement s’élève ainsi pour les sept années à venir à 908,4 milliards d’euros. Le triomphe de la rigueur n’est toutefois pas écrasant. Premièrement, parce que David Cameron est venu à Bruxelles avec l’idée d’une enveloppe d’un montant de 886 milliards d’euros, soit un écart au résultat final de 22 milliards d’euros ; par ailleurs, il convient de rappeler que le premier ministre britannique avait initialement pour objectif de porter l’enveloppe de crédits d’engagement à 930 milliards d’euros, or cette dernière demeure à horizon 2020 à 960 milliards d’euros.

En réalité, aucun des deux camps ne sort vainqueur de ces trop longues négociations… Pire encore, c’est toute l’Union européenne qui en sort affaiblie. Sa crédibilité a une nouvelle fois été ébranlée et des tensions politiques apparaissent clairement au grand jour ; quelle Europe les dirigeants européens souhaitent-ils construire ? L’Europe de la rigueur ou bien l’Europe de la relance ? Et veulent-ils d’ailleurs sincèrement construire un avenir ensemble ? A l’évidence, ce sommet a été le triste théâtre d’une Europe qui n’avance pas et où les intérêts individuels, axes stratégiques et autres trahisons l’emportent sur le projet commun.

5 milliards d’euros, soit 0,5% de la somme négociée ; c’est le montant qui aurait pu faire échouer pour la deuxième fois consécutive un sommet européen… Alors, tant d’efforts valaient-ils réellement la peine ? Oui si et seulement si le Parlement européen ne rejette pas le cadre financier présenté par le Conseil européen. Ce qui est loin d’être gagné…

 

Achevé de rédiger le 10 février 2013,

Anthony Benhamou, anthonbenhamou@gmail.com