Oui, l’Etat français est déjà en faillite.

 

Il faut arrêter de tourner autour du pot et d’essayer de masquer la réalité. Oui, techniquement, l’Etat français est déjà en faillite. Cette situation n’est d’ailleurs pas nouvelle. Dès sa nomination à Matignon en mai 2007, François Fillon n’avait ainsi pas hésité à se déclarer « Premier ministre d’un État en faillite ». La chose déplut fort à Nicolas Sarkozy, qui ramena vite son numéro deux à la raison d’État, c’est-à-dire à la dissimulation de la vérité. « Il ne faut surtout pas utiliser des messages anxiogènes et pessimistes », lança en substance le second au premier. M. Fillon s’exécuta, le doigt sur la couture du pantalon.

Pourtant, dimanche dernier, soi-disant en essayant d’ironiser sur cette déclaration de l’ancien premier ministre, l’actuel ministre de l’emploi Michel Sapin a enfoncé le clou. Ce dernier a même été plus loin puisqu’il pas hésité à déclarer que la France était « un Etat totalement en faillite ». En dépit de multiples efforts de rétropédalages peu convaincants, le mal est fait.

D’où une question simple : mais pourquoi M. Fillon avait-il lancé une telle « ânerie » ? Tout simplement parce que ses conseillers lui avaient ouvert les yeux sur l’actif net de l’État français. Cette notion est assez simple : elle représente l’actif de la puissance publique française duquel on soustrait sa dette. D’un point de vue comptable, si un agent économique a une dette supérieure à ses actifs, cela signifie que son actif net est négatif, et qu’il est alors en situation d’insolvabilité. En d’autres termes, même s’il vend tous ses actifs, il ne peut pas rembourser toutes ses dettes. A moins de trouver un financier extérieur, également appelé « chevalier blanc », il sera bientôt mis en faillite.

À cela, certains objectent que, si cette situation peut entièrement se comprendre pour une entreprise, elle ne semble pas devoir s’appliquer à un État. En effet, un État dispose généralement d’un horizon très long et n’aura pas à rembourser sa dette en une seule fois, sauf en situation de guerre. Pour autant, lorsque son actif net est négatif cela signifie que ce dernier ne dispose plus de marge de manœuvre pour augmenter sa dette, et doit donc inverser rapidement la tendance.

Or, c’est exactement ce qui s’observe pour l’Etat français depuis bientôt dix ans. Les chiffres de l’INSEE sont imparables. En 2011 (derniers chiffres officiels disponibles), le total des actifs de l’Etat français atteignait 693 milliards d’euros, alors que son passif était de 1 585,7 milliards d’euros (dont 1 417 milliards de titres de dettes). Cela signifie donc que l’actif net de l’Etat était de – 892,7 milliards d’euros. En 2012 et 2013, compte tenu de la faible variation de la valeur des actifs, mais de l’augmentation notable de la dette, l’actif net devrait avoisiner respectivement – 900 puis – 1 000 milliards d’euros.

Certes, si l’on observe le compte de patrimoine de toutes les administrations publiques (c’est-à-dire Etat + collectivités locales et sociales), la situation est moins catastrophique. Ainsi, en 2011, toujours selon la méthode de valorisation des actifs de l’INSEE, le total des actifs de celles-ci était de 2 680 milliards d’euros, contre un total des passifs de 2 177,8 milliards d’euros. Leur actif net serait ainsi de 507,2 milliards d’euros. Il faut néanmoins rappeler que ce dernier était encore de 884 milliards d’euros en 2007. Au rythme de l’augmentation de la dette publique, il est à peu près certains que cet actif net deviendra négatif d’ici 2014. Autrement dit, même en vendant tous leurs actifs, les administrations publiques au sens large ne pourront pas combler leur endettement.

Bien sûr, en dépit de cette cinglante réalité, il est encore possible de souligner que le principal actif de l’État français n’est pas mesurable, puisqu’il s’agit de sa capacité à lever l’impôt. Il est vrai que la France peut encore s’appuyer sur d’importantes recettes fiscales, notamment liées aux performances de ses entreprises et à une richesse patrimoniale conséquente. Ces deux « vaches à lait » permettent donc à l’État de ponctionner encore et encore, du moins jusqu’à épuisement, ce qui risque de se produire dans quelques trimestres.

Dès lors, la négativité de son actif net sera mise en exergue. L’État français perdra encore en crédibilité et verra les taux d’intérêt de ses emprunts flamber, ce qui ne manquera pas de casser encore un peu plus l’investissement, la croissance et l’emploi. Plus personne ne pourra alors nier la situation de faillite de notre très cher Etat.

 

Marc Touati