France-Allemagne : je t’aime, moi non plus…

 

Ah ! Angela et François ! Qu’ils sont beaux tous les deux à s’enlacer tendrement… Pourtant, derrière les embrassades et les sourires face aux caméras, le couple franco-allemand est bien en train de se fissurer. C’est un peu comme lors de certains divorces au sein d’une famille : les parents multiplient les mots tendres et les accolades devant les enfants, mais se déchirent dès que ces derniers ne sont plus là. Ainsi, que ce soit au niveau des dirigeants, des entreprises et de la population, le torchon brûle entre les deux côtés du Rhin. Rarement depuis la seconde guerre mondiale, les quolibets, les vexations et les invectives ont été aussi nombreux et virulents. Et ce, en particulier en provenance d’Allemagne. Nos cousins germaniques ne supportent effectivement plus le manque de clairvoyance et de pragmatisme des élites et des gouvernants français.

Il faut dire que depuis une décennie, les écarts n’ont cessé de se creuser sur le front économique et idéologique. Ainsi, alors que les Français ont refusé de réformer leur économie, les Allemands se sont lancés dans une modernisation massive qui leur a imposé des efforts douloureux. En effet, depuis le début des années 2000 et quelle que soit la couleur politique du gouvernement au pouvoir, les Allemands ont fait preuve d’un courage politique et sociale à toute épreuve. Ils ont par exemple réduit l’impôt sur les sociétés de 35 % à 20 % et baissé les salaires réels d’un commun d’accord entre le patronat et les syndicats. Ils ont également diminué de nombreuses dépenses inefficaces, ainsi que le montant de nombreuses prestations sociales. Ils ont enfin amélioré la fluidité de leur marché du travail ou encore augmenté l’âge légal de la retraite. Autant de réformes structurelles qui ont permis aux entreprises de continuer d’investir et de rester compétitives face à la concurrence internationale. Dès lors, si la crise de 2008-2009 a aussi été très difficile pour l’économie allemande, cette dernière était mieux armée pour redémarrer.

A l’inverse, et là aussi quelle que soit la couleur politique du gouvernement en place, la France a refusé de moderniser son économie et de faire la rupture structurelle tant annoncée depuis des décennies. Ainsi, bien loin de l’esprit de sacrifice et de responsabilité des Allemands, les dirigeants français ont continué de dilapider des deniers qu’ils n’avaient pas, maintenant le pays sous une perfusion certes agréable mais ô combien coûteuse et inefficace. Et pour cause : la gabegie de dépenses publiques n’a absolument pas permis d’éviter la crise, la montée du chômage, l’augmentation des inégalités et de la pauvreté. Pire, plutôt que de s’excuser de ces erreurs stratégiques, les dirigeants français n’hésitent plus à critiquer la politique allemande qui aurait sacrifié la consommation au profit de l’investissement. Cela a commencé avec Madame Lagarde lorsqu’elle était ministre de l’économie et continue aujourd’hui avec Monsieur Moscovici qui souligne que les difficultés économiques françaises et européennes sont, en grande partie, dues à la rigueur allemande. De quoi retourner Jean de La Fontaine dans sa tombe puisque c’est désormais la cigale qui fait des remontrances à la fourmi…

Certes, il faut reconnaître que, dans leur volonté de rigueur, les Allemands ont été un peu trop loin. Cependant, cette stratégie a été voulue par le peuple, confirmant que ce dernier garde un fort sens de l’abnégation et une vision d’avenir déterminante. D’ailleurs, n’oublions pas que la faiblesse de la consommation allemande n’est pas la seule conséquence de la politique économique gouvernementale mais surtout de la baisse de la population qui s’observe depuis 2005. Réciproquement, la bonne tenue de la consommation française s’explique en grande partie par les perfusions en tous genres mais aussi par la vigueur de la natalité. C’est d’ailleurs là que réside l’un des grands paradoxes du couple germano-français : les uns préparent l’avenir en faisant des réformes, mais font peu d’enfants pour en profiter ; les autres refusent les réformes mais font beaucoup d’enfants qui devront affronter des lendemains difficiles…

Car, ne nous leurrons pas, la différence de stratégies entre les deux côtés du Rhin a eu et aura encore des répercussions conséquentes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : De 2002 à 2012, le poids des dépenses publiques dans le PIB est passé de 48,3 % à 44,9 % en Allemagne, mais de 52,8 % à 56,3 % en France. Dans le même temps, la croissance structurelle de l’Allemagne s’est stabilisée à 1,4 %, tandis que celle de la France a reculé de 1,5 % à 0,8 %. L’observation de la croissance annuelle moyenne au cours des cinq dernières années est encore plus douloureuse : 0,8 % pour l’Allemagne et 0 % pour la France. Parallèlement, de la mi-2002 o la fin 2012, le taux de chômage allemand a régressé de 8,5 % à 5,4 % et celui de l’Hexagone a flambé de 8 % à 10,5 % (selon les données harmonisées d’Eurostat). Bref, il n’y a pas photo.

Dès lors, si la France continue de refuser la réalité en appliquant les vaines recettes d’augmentation des dépenses publiques, d’aggravation de la pression fiscale et de rigidités réglementaires prohibitives, les écarts économiques vont encore se creuser. Pour 2013, alors que la croissance allemande devrait avoisiner les 0,6 %, celle de la France devrait chuter à – 0,3 %. Dans ce cadre, alors que le ratio déficit public/PIB se stabilisera vers les 0,4 % outre-Rhin, il atteindra au moins 4 % dans notre douce France. Déjà abaissée d’un petit cran en 2012, la note de la dette publique hexagonale finira forcément par subir une forte dégradation, suscitant un nouveau discrédit international.

Marquée par dix années d’efforts permanents, l’Allemagne refusera alors certainement de passer l’éponge pour une énième fois et de payer pour les dérapages français. De la sorte, elle entérinera de facto un divorce latent du couple franco-allemand, qui, progressivement, entraînera la fin la zone euro. Après vingt ans de déchirements, de querelles, de réconciliation de façade, de faux-semblants et de poker menteur, la partie est désormais sur le point de se terminer. Comme dans tous les divorces, le pire n’est pas encore certain, mais, au fil des années, les chances de l’éviter s’amenuisent…

Marc Touati