Monopole et publicité ; une combinaison imbattable ?

 

Paradoxalement, le bon fonctionnement d’une économie de marché repose sur un ensemble de règles. Si la propriété privée en constitue un des fondements, qu’en est-il de la concurrence ? A priori évidente, cette notion renvoie en réalité à des concepts économiques complexes qui, en théorie, constituent le socle de notre société.

La libre concurrence profite aux consommateurs.

La théorie économique standard définit la notion de concurrence (pure et parfaite pour les puristes) comme un idéal vers lequel il est bon de tendre afin de garantir des relations économiques et sociales optimales entre agents d’une même société. Cinq conditions sont nécessaires pour attester d’un marché purement concurrentiel ; atomicité, libre entrée, homogénéité, transparence et parfaite mobilité des facteurs de production. Le critère d’atomicité ne renvoie pas au nombre d’atomes contenus dans une molécule mais à la pluralité d’agents sur un marché qui, du fait de leur petite taille, ne peuvent influencer les prix ; on parle alors d’agents price takers en opposition aux agents price makers. La présence d’une multitude d’agents assure ainsi la fixation d’un prix d’équilibre à travers le

jeu de l’offre et la demande. Toutefois, dans les faits, les conditions de la concurrence parfaite ne sont jamais totalement réunies et des situations dites d’oligopole et de monopole peuvent ainsi être mises en évidence. Ces situations peuvent être dommageables pour le consommateur. D’une part, il doit faire face à des prix qui ne résultent pas d’une stricte confrontation entre offre et demande ; d’autre part, il est privé de son pouvoir pratique de sanction dans le cas où il ne serait pas satisfait par le bien et/ou service consommé.

Le cas particulier du monopole naturel

Les situations de monopole naturel apparaissent dès lors qu’une branche d’activité réalise d’importantes économies d’échelles en raison de l’exploitation d’un réseau dont les coûts sont très élevés. Dans ce type de situation uniquement, il semble optimal de confier l’activité à un seul opérateur qui se trouve guidé par l’altruisme plutôt que par la recherche sans cesse du profit. La fonction objectif de cet agent revient ainsi à maximiser l’utilité collective en satisfaisant la demande à moindre coût. Traditionnellement, les branches d’activité associées aux monopoles naturels sont les transports, les services postaux et les secteurs énergétiques. Si elle peut être justifiée un temps, l’existence naturelle du monopole peut par la suite ne plus avoir de réels fondements économiques et sociaux.

L’exemple de la SNCF

Née de la fusion de six grandes compagnies régionales en 1938, la SNCF était initialement régie par une convention de service public. Celle-ci fixait en effet le tarif des voyages uniquement en fonction de la distance séparant deux gares. Néanmoins, l’assouplissement de ces règles à partir de 1980 confère à la SNCF la possibilité de vendre à un prix supérieur au coût marginal et ainsi de dégager un profit. Cette évolution entraîne de fait une modification de la fonction objectif  de la SNCF; la maximisation de son profit à l’instar de n’importe quelle autre société…tout en jouissant d’un monopole quant à l’exploitation du réseau ferré français. A titre d’illustration, entre 2002 et 2009, les prix des billets des TGV ont augmenté dans leur ensemble de 24 %, (soit deux fois plus que l’inflation sur ladite période). La satisfaction moyenne du consommateur a-t-elle été pour autant croissante ? De quel pouvoir de sanction dispose-t-il dans le cas contraire ? Face à cette situation, la Commission Européenne exige depuis le mois de mai 2010 une privatisation de la SNCF via le changement du statut d’EPIC vers celui de société anonyme.

La fin du monopole de la SNCF en 2019

Fin octobre 2012, le ministre délégué chargé des transports et de l’économie maritime Frédéric Cuvillier a annoncé la libéralisation de la SNCF à horizon 2019, date qui devrait lui permettre « de bien se préparer à la concurrence ». Les consommateurs pourraient ainsi avoir le choix entre les TGV de la SNCF et ceux d’autres opérateurs tels que Veolia, Virgin ou Deutsche Bahn. La concurrence se ferait sans doute par les prix et la qualité des prestations proposées ; en outre, les sociétés présentes sur le marché utiliseraient principalement la publicité pour se démarquer de leurs concurrentes. La publicité ? La SNCF, seule jusque-là à exploiter le rail français, l’utilise pourtant déjà depuis des décennies avec des slogans aussi célèbres qu’« à nous de vous faire préférer le train » ou plus récemment « donner au train des idées d’avance ». De l’avance, c’est bien de cela qu’il s’agit ; les futurs opérateurs pourraient effectivement pâtir d’un déficit de communication relativement à l’opérateur historique. Force est donc de constater que les campagnes publicitaires actuelles de la SNCF constituent un réel investissement d’avenir dont l’objectif consiste à maintenir pour demain, sa position actuelle de leader sur le marché…

Achevé de rédiger le 6 janvier 2013,

Anthony Benhamou, anthonbenhamou@gmail.com