Lorsqu’en début d’année, nous écrivions que 2012 risquait d’être l’année de la « loose », en particulier pour la zone euro, nous n’étions malheureusement pas loin du compte. En effet, si la croissance mondiale n’a ralenti que modérément (atteignant un niveau d’environ 3,3 %, contre 3,8 % en 2011 et 5,1 % en 2010), c’est principalement grâce à la résistance des pays émergents, Chine en tête. Ainsi bien loin des scénarios catastrophes qui lui sont régulièrement prédits, l’Empire du Milieu a contrôlé son ralentissement, de manière à éviter la surchauffe, tout en restant loin du « hard landing ». Après avoir atteint 10,5 % en 2010 et 9,2 % en 2011, la croissance chinoise a réalisé une performance très honorable de 7,8 % en 2012. Sa contribution à la progression du PIB mondial a ainsi été de 1,1 point, soit exactement un tiers.
Depuis 1980, le PIB chinois réel (c’est-à-dire hors inflation bien entendu) n’a pas connu une seule année de baisse et a progressé de 9,9 % en moyenne chaque année. Au cours de cette période, sa part dans le PIB mondial (en parité de pouvoirs d’achat) est passée de 2,2 % à 15 %. A titre de comparaison, celle de PIB américain a reculé de 24,6 % à 19 %, celle du PIB japonais a baissé de 8,8 % à 5,5 % (après un pic à 10,2 % en 1991), mais celle du PIB de la zone euro s’est effondrée de 22,8 % à 13,5 %.
Et malheureusement, l’année 2012 a enfoncé le clou. Certes, grâce à la politique ultra-accommodante de la Fed et à un dollar de combat, les Etats-Unis ont sauvé les meubles, en réalisant une croissance de 2,3 %. C’est d’ailleurs notamment grâce à ce coup de pouce que Barack Obama est devenu le premier Président américain (depuis Roosevelt) à être réélu dans un contexte de taux de chômage élevé (en l’occurrence 7,9 % au moment des élections).
Dans le même temps, en dépit d’un fort accès de faiblesse au troisième trimestre 2012, le Japon a résisté tant bien que mal, réalisant une croissance d’environ 1,8 % sur l’ensemble de l’année. Après la catastrophe nucléaire et humanitaire de 2011, ce résultat demeure appréciable, même s’il est évidemment insuffisant pour faire oublier que le Japon reste enlisé dans une déflation qui dure depuis vingt ans et n’est pas près de se terminer.
Mais si la bonne tenue de la croissance américaine et la résistance de l’économie japonaise ont permis de soutenir le monde développé, il n’en a rien été de la zone euro. Et pour cause, cette dernière s’est encore illustrée négativement en subissant une baisse de son PIB d’environ 0,4 %. En fait, l’UEM est la seule grande zone de la planète à avoir replongé dans la récession en 2012. Crise de la dette publique, euro trop fort, politique fiscale trop restrictive, dépenses publiques inefficaces, tous les ingrédients de la « loose » étaient donc bien présents et la recette a tristement fonctionné.
Certes, comme chaque année depuis 2009, les Européens ont multiplié les sommets de la dernière chance, censés sauver définitivement les pays en difficulté. Il n’y en a pas eu moins de trois en 2012. Mais, comme d’habitude, derrière les sourires convenus et les messages de satisfaction, la crise de la dette publique et plus globalement celle de la zone euro continuent de faire des ravages. En effet, tant qu’une croissance forte et durable ne sera pas restaurée, ces deux crises ne pourront prendre fin.
Pis, elles sont désormais rejointes par deux autres crises. La première est sociale, avec un taux de chômage qui ne cesse de battre des records historiques et ce, dans la quasi-totalité des pays de l’Union : 11,7 % pour l’ensemble de la zone, 10,7 % en France, 11,1 % en Italie, 16,3 % au Portugal, 25,4 % en Grèce, 26,2 % en Espagne. Quant aux taux de chômage des moins de 25 ans, ils frisent l’indécence : 23,9 % pour l’UEM, 25,5 % dans l’Hexagone, 36,5 % au-delà des Alpes, 39,1 % en Lusitanie, 55,9 % outre-Pyrénées et 57 % en territoire hellène. D’où l’arrivée d’une dernière crise (la quatrième au total), la crise sociétale, avec tous les débordements que cela suppose.
Et ce, y compris en France, car si 2012 a été aussi l’année de la « loose » pour Nicolas Sarkozy et l’UMP, cette dernière risque aussi d’affecter durablement la nouvelle majorité, qui s’obstine à augmenter les impôts, ce qui ne fera que casser le peu de croissance qui nous reste. Et ce d’autant que le gouvernement ne cesse d’accumuler les bourdes et d’attiser la haine des classes. Les affaires « PSA », « Mittal » et « Depardieu » en sont des exemples cuisants.
Fort heureusement, dans ce sombre panorama franco-eurolandais, il existe une lueur d’espoir : l’avènement d’une politique un peu plus pragmatique de la Banque Centrale Européenne. Certes, on n’efface pas douze ans de dogmatisme maladif et destructeur en quelques mois. Toujours est-il que, depuis son accession à la présidence de la BCE, Mario Draghi a su convaincre la planète qu’il était encore possible de sauver la zone euro. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait à deux reprises en moins d’un an, à savoir fin 2011 et en septembre 2012.
Mais, attention, il ne faudrait pas crier victoire trop vite. D’ailleurs, plus l’UEM paraît sauvée, plus l’euro/dollar s’apprécie et plus les chances de sortir de la récession s’amenuisent. Dès lors, les déficits publics et la dette des Etats reprendront très vite le chemin de la hausse et il faudra, une nouvelle fois, réaliser un énième sommet de la dernière chance, qui n’aura pour principale conséquence que de gagner quelques mois.
Pendant ce temps, les Etats-Unis resteront installés sur un rythme de croissance proche de 2,5 % et les pays émergents continueront de marquer des points et de conforter leur nouveau rôle de locomotive de l’économie mondiale.
C’est d’ailleurs certainement là que réside le caractère le plus historique de l’année 2012, car pour la première fois dans l’Histoire, la part des pays développés dans le PIB mondial est passée sous les 50 %. Ceux-ci ne sont donc plus les maîtres du monde économique, rôle qui sera désormais assuré par les pays dits émergents. A l’évidence, ça calme…
Marc Touati