Il y a encore quelques trimestres, les risques de multiplication des exilés fiscaux faisaient sourire. « Marginal » disaient certains, « stupide » disaient d’autres. Et pourtant, au fur et à mesure des mois et de l’allongement de la liste des émigrés français à l’étranger, la donne a définitivement changé : oui, l’exil fiscal est une réalité. Pis, il est train de se transformer en un véritable exode.
Certes, ce ne sont pas les départs de Gérard Depardieu, de Johnny Hallyday, ni même celui de Bernard Arnaud qui vont mettre la France à genoux. Pour autant, au-delà de leurs impacts médiatiques, ces exils volontaires constituent la partie émergée d’un iceberg bien plus dévastateur. En effet, même s’il est encore difficile de chiffrer le nombre exact des exilés fiscaux passés et surtout à venir, il est clair que la décision gouvernementale d’augmenter encore la pression fiscale a agi comme un déclencheur pour de nombreux Français qui refusent d’être pris pour des moutons que l’on tond en permanence sans même laisser le temps à la toison de repousser.
Fin 2011, lors d’un débat avec Jean-Luc Mélenchon sur arrêtssurimage.com, j’avais alors eu l’outrecuidance de lui faire la remarque suivante « êtes-vous conscient que si nous augmentons encore massivement la pression fiscale en France, un nombre impressionnant de Français va finir par quitter l’Hexagone ? » Ce à quoi le leader du PDG (Parti de Gauche) avait répondu : « mais qu’ils partent, ces gens-là sont des traitres et pendant la Révolution française on les a tondu… ». Sans en arriver jusque-là, il faut reconnaître que les déclarations de Monsieur Ayrault traitant Gérard Depardieu de « minable » se rapprochent dangereusement de la stigmatisation menée par l’extrême gauche. Après les dérapages de M. Montebourg, c’est donc au tour du Premier Ministre d’attiser la haine des classes. A l’évidence, le bateau commence à prendre l’eau.
Bien entendu, il est tout à fait normal de payer des impôts dans son pays, ne serait-ce que par reconnaissance et surtout par solidarité envers les plus démunis. Car il est clair que si l’impôt permet d’augmenter la croissance économique, de réduire les inégalités et de vaincre la pauvreté, alors oui, celui-ci est tout à fait salutaire. Mais, est-ce vraiment le cas en France aujourd’hui, voire depuis déjà une vingtaine d’années ? Car, ne nous voilons pas la face, depuis les années 1980, les impôts et les dépenses publiques n’ont cessé de flamber. Et ce, que ce soit, en valeur, en volume (c’est-à-dire hors inflation) et surtout en pourcentage du PIB. Or, en dépit de cette gabegie de dépenses publiques et de cette fiscalité de plus en plus confiscatoire, la croissance structurelle de la France est passée de 2,5 % à moins de 1 %, le chômage atteint des proportions dramatiques, les inégalités augmentent et la pauvreté s’accroît. Autrement dit, les Français paient de plus en plus d’impôts, mais l’économie française et la solidarité qu’elle devrait mettre en place fonctionnent de moins en moins bien.
Encore plus grave, l’obstination à vouloir augmenter sans cesse la pression fiscale casse la croissance, ce qui finit par réduire l’assiette fiscale et limiter les recettes de l’Etat. Conséquence logique de ce manque de clairvoyance et de ce dogmatisme maladif, les déficits publics n’ont cessé de croître, entraînant la dette vers des niveaux inadmissibles. Le plus drôle (du moins pour les amateurs d’humour noir) est que les gouvernements successifs, et notamment l’actuel, utilisent justement l’argument de la nécessité de réduire les déficits pour justifier leurs augmentations d’impôts. La boucle est donc bouclée, mais dans le mauvais sens. Et pour faire croire aux citoyens que l’aggravation de la pression fiscale est normale, on montre du doigt ceux qui en ont assez de payer énormément pour alimenter le mammouth de la dépense publique sans réduire les inégalités.
Dans la mesure où nous vivons (heureusement d’ailleurs) dans une économie internationale ouverte, les plus aisés pourront alors quitter la France. Les dindons de la farce seront donc, une fois encore, la classe moyenne qui s’appauvrit d’ailleurs d’année en année. C’est bien là que réside l’un des principaux drames de la stratégie gouvernementale d’augmentation de la pression fiscale : cette dernière ne fait finalement qu’appauvrir les Français et égaliser vers le bas. Pis, au-delà des artistes, chefs d’entreprise et autres ingénieurs qui quittent la France, ce sont des milliers d’emplois qui sont en danger. Avec un taux de chômage de 10,6 % (chiffre d’Eurostat), il est clair que les destructions d’emplois à venir ne feront qu’aggraver la situation, ce qui accroîtra encore les déficits et la dette, incitant de nouveau les dirigeants hexagonaux à augmenter encore les impôts… et le cercle pernicieux continuera jusqu’à ce que mort s’en suive.
Car, c’est bien de cela dont il s’agit : à force de brider la réussite, de réduire les gains potentiels de ceux qui ont pris des risques pour le bien de la création de richesse et de l’emploi dans l’Hexagone, les dirigeants nationaux mettent notre douce France en péril. Dire cela n’est pas une marque d’ultra-libéralisme, mais simplement de bon sens. Tous les Français sont prêts à payer des impôts, mais il faut que ces derniers soient efficaces, tant en terme de croissance que d’emploi et de réduction des inégalités. Ce qui n’est plus le cas en France depuis plus de vingt ans.
Il faut donc arrêter de liguer les Français les uns contre les autres et d’attiser la lutte des classes. Le seul moyen de sortir la France du marasme est, au contraire, de réduire la pression fiscale qui pèse sur les ménages et les entreprises. Et pour ce faire, la puissance publique doit montrer l’exemple et réduire ses dépenses de fonctionnement (qui, rappelons-le, ont augmenté de 100 milliards d’euros au cours des dix dernières années, soit plus de 4 % d’augmentation par an). Si les dirigeants français s’obstinent à faire le contraire et à stigmatiser les Français qui ont réussi et qui paient donc beaucoup d’impôts, alors il faut se préparer à un véritable exode fiscal qui coûtera très cher à notre beau pays et ce pendant de très nombreuses années.
Marc Touati