Dégradation, Zone euro, France, Allemagne : Ah, Ah, Ah… (E&S n°233)

 

Humeur :

La France dégradée et après ?

C’est fait ! Presque dix mois après Standard and Poor’s, Moody’s, l’autre grande agence de notation, a dégradé la note de la dette publique française. Cette dernière perd donc, une nouvelle fois, son fameux AAA. Il ne manque donc plus que la dégradation de l’agence européenne Fitch (qui, comme souvent, sera très en retard) pour que la coupe soit pleine.

Certes, il n’y a pas de quoi dramatiser. Du moins pour le moment. En effet, comme il y a dix mois, la note de la France n’a été abaissée que d’un seul cran. Comparativement aux fortes dégradations des dettes de l’Italie (Baa2), de l’Espagne (Baa3), du Portugal (Ba3) et bien sûr de la Grèce (C), celle de la France reste donc toujours très appréciable. Dans ce cadre, elle continue de bénéficier des faveurs des investisseurs, via ce que l’on appelle le flight to quality (envol vers la qualité). Ainsi, sans véritable surprise, le taux d’intérêt à dix ans des obligations du Trésor français n’a augmenté que modérément à la suite de la dégradation de Moody’s, passant de 1,80 % lundi matin à 2,1 % mardi et 2,2 % vendredi. Nous sommes donc toujours très loin des 4,7 % italiens, des 5,9 % espagnols, des 8,8 % portugais et des 18,8 % grecs.

Mais les bonnes nouvelles s’arrêtent là. Car s’il est toujours très pratique de regarder les moins forts que soi, le comparatif avec ceux qui sont au-dessus est plus douloureux. Ainsi, la France ne fait désormais plus partie du club très fermé des pays qui détiennent encore le graal du triple A auprès des trois grandes agences de notation. Il n’y en a finalement que douze au monde, dont neuf en Europe. Parmi ces douze Etats, sept se distinguent par une perspective « stable » aussi bien chez Moody’s, Fitch que Standard and Poor’s (S&P) : la Suède, la Norvège et le Danemark, la Suisse, l’Australie, le Canada et Singapour. Les cinq autres, les Pays-Bas, l’Allemagne, le Luxembourg, le Royaume-Uni et la Finlande, voient leur note assortie d’une perspective « négative » par au moins une des trois agences. Quant aux Etats-Unis et à l’Autriche, qui ont aussi perdu leur triple A au cours des derniers trimestres, ils ont néanmoins conservé la note suprême auprès de Moody’s et Fitch. Confirmant ces différences, l’écart de taux d’intérêt des obligations à dix ans de ces pays avec celui de la France s’est creusé ces derniers jours. Il faut par exemple noter que les taux dix ans allemands sont restés bas, se stabilisant autour de 1,3 % et augmentant le spread de taux à 900 points de base avec la France. Ce n’est pas dramatique, mais cela montre tout de même qu’une nouvelle tendance s’installe.

Plus globalement, il faut bien comprendre que l’actuelle faiblesse des taux dix ans français s’apparente clairement à une bulle obligataire. En effet, compte tenu des déficits publics actuels et à venir, qui resteront bien supérieurs à 3 % du PIB, il n’y a aucune raison objective pour que les taux longs français soient si bas. Cette faiblesse correspond simplement à un excès d’épargne collectée par les banques et mal réinvesti. Ainsi, astreintes à des ratios prudentiels de plus en plus prohibitifs, ces dernières n’utilisent pas leurs dépôts pour augmenter les crédits au secteur privé, mais pour investir massivement sur de la dette a priori non risquée, en l’occurrence des obligations d’Etat. Nous sommes face à ce que l’on appelle un effet d’éviction, c’est-à-dire que les financements de la consommation et des investissements privés sont évincés par celui de la dépense publique. Si cette dernière générait une croissance forte, cela pourra encore être acceptable, mais cela est malheureusement loin d’être le cas, en dépit des efforts marketing du Président et du gouvernement pour essayer de faire croire le contraire.

La dégradation de la note de la France moins d’une semaine après l’annonce par le gouvernement Ayrault de mesures soi-disant révolutionnaires pour relancer l’économie française montrent d’ailleurs que ces dernières ne sont pas crédibles. Et pour cause : si Moody’s voulait simplement sanctionner la gestion du passé, elle aurait maintenu une perspective stable sur la note de la France. Or, elle a accompagné sa dégradation d’une perspective négative. Cela signifie donc non seulement que les mesures annoncées ne sont pas prises au sérieux, mais aussi qu’une nouvelle dégradation pourra intervenir à tout moment dans les prochains mois.

Ce nouvel abaissement de la note de la France deviendra d’ailleurs inévitable dès le début 2013, lorsque le retour en récession de la France sera confirmé. La nouvelle est d’ailleurs passée inaperçue la semaine dernière, y compris par nous, mais après vérification et compte tenu des modifications statistiques opérées par l’INSEE sur les comptes nationaux des deux premiers trimestres 2012, il faut savoir qu’au cours de chacun de ces derniers, le PIB français a reculé. Ses évolutions précises sont de respectivement – 0,03 % et – 0,06 %. A force de jouer au chat et à la souris avec les chiffres, la France a donc bien connu deux trimestres consécutifs de baisse de son PIB et est donc bien entrée officiellement en récession au premier semestre 2012.

Mais malheureusement, ce n’est qu’un début. Car, après l’augmentation surprenante de 0,2 % du PIB au troisième trimestre (et qui appelle d’ailleurs des corrections), ce dernier devrait baisser d’au moins 0,3 % au quatrième trimestre. Cela se traduira par une variation annuelle moyenne de 0,1 % en 2012. Pis, cela engendrera un acquis de croissance négatif pour 2013, année au cours de laquelle le PIB français ne devrait pas progresser de 0,8 % comme annoncé par le gouvernement, mais reculer de 0,3 %.

Conséquences logiques de ces déconvenues, le déficit public français sera d’au moins 4,6 % du PIB en 2012 et d’environ 4 % l’an prochain. Quant à la dette, elle devrait atteindre la barre psychologique des 100 % du PIB en 2013. Dans ce cadre, la note de la dette publique française perdra au moins deux crans d’ici l’été et les taux longs se tendront vers les 4 %. Autrement dit, acheter aujourd’hui des bons du Trésor français à dix ans avec un taux de rendement de 2,1 % relève de la gageure et devient même particulièrement dangereux.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine :

Inquiétudes dans l’UEM, espoirs en Allemagne et en France.


A peine une semaine après la confirmation du retour officiel de la zone euro en récession, les enquêtes de conjoncture publiées ces derniers jours montrent que cette récession ne fait malheureusement que commencer.

En effet, en dépit d’une légère remontée dans l’industrie, les indices PMI des directeurs d’achat de la zone euro sont restés bien loin de la barre des 50, qui marque la frontière entre la croissance et le repli de l’activité.

Ces indicateurs avancés de l’activité eurolandaise ont ainsi atteint 46,2 dans l’industrie et 45,7 dans les services. Ce dernier niveau est exactement celui qui prévalait en juillet 2009, à une époque où le glissement annuel du PIB eurolandais se situait autour des – 5 %.

La baisse du PIB de la zone euro va se poursuivre.

Sources : Markit, Eurostat, ACDEFI

Cependant, dans ce contexte morose, deux lueurs d’espoirs sont venues calmer le jeu. En effet, contre toute attente, le climat des affaires de l’enquête IFO et celui de l’INSEE ont rebondi en novembre.

Cette amélioration semble tenir principalement à la baisse des cours des matières premières et aussi à un effet de correction de la chute des mois précédents. Il ne faudrait donc pas crier victoire trop vite.

Ainsi, après six mois consécutifs de baisse, l’indice synthétique de l’enquête IFO a gagné 1,4 point sur le seul mois de novembre. Avec un niveau de 101,4, il ne retrouve cependant que son niveau de septembre dernier. Il n’y a donc pas de quoi pavoiser.

De même, si l’indice des perspectives d’activité gagne deux points en novembre, il n’atteint que 95,2, soit un niveau annonçant un glissement annuel du PIB allemand inférieur à 0 %.

Si l’Allemagne devrait donc éviter la récession de justesse, le retour de la croissance soutenue est loin d’être d’actualité.

 

 

 

L’Allemagne pourrait éviter la récession de justesse.

Sources : IFO, Bundesbank, ACDEFI

Cette évolution mi-figue mi-raisin se retrouve également dans les enquêtes de conjoncture de l’INSEE de novembre. En effet, après dix-huit mois de baisse quasi-continue, subissant un plongeon de 24 points, le climat des affaires en a regagnés deux en novembre. Nous sommes donc très loin du retour de la croissance. D’ailleurs, à la différence de l’indice IFO qui est repassé au-dessus de la barre des 100, c’est-à-dire de sa moyenne de long terme, celui de l’enquête INSEE en est encore très loin, en l’occurrence 86.

Et même si le climat des affaires dans l’industrie a gagné 3 points en novembre, il n’atteint qu’un niveau de 88. De plus, en dépit d’un rebond de 15 points en novembre, l’indice des perspectives générales de production dans l’industrie reste toujours en phase avec un glissement annuel du PIB français de l’ordre de – 1 %.

France : la récession est toujours d’actualité.

Sources : INSEE, ACDEFI

Cette faiblesse de l’activité est d’ailleurs généralisée à tous les secteurs : 90 dans le commerce de détail et surtout 86 dans les services. Dans la mesure où ces derniers représentent environ 80 % de l’économie hexagonale, il serait donc malvenu de penser que la France pourrait éviter la récession.                      MT



 


 

Les évènements à suivre du 26 au 30 novembre :


Zone euro : l’inflation recule et le chômage augmente.


Cette semaine économico-statistique devrait être particulièrement déterminante pour l’économie eurolandaise. En effet, elle devrait confirmer que cette dernière est à la fois marquée par une faible inflation, une grave récession et un chômage élevé. Il faudra ainsi surveiller les chiffres de l’inflation outre-Rhin et dans la zone euro (respectivement mercredi et vendredi), ainsi que les enquêtes de la Commission européenne (jeudi) et les chiffres du chômage (vendredi).

Du côté américain, les points orgues de la semaine seront les commandes de biens durables et la confiance des ménages (mardi), mais aussi la deuxième version des comptes nationaux du troisième trimestre (jeudi), sans oublier les chiffres des revenus et de la consommation (vendredi).

 

Mardi 27 novembre, 14h30 (heure de Paris) : les commandes de biens durables corrigent leur flambée de septembre aux Etats-Unis.

Après avoir flambé de 9,8 % en septembre (sous l’effet de l’exceptionnelle vigueur des commandes aéronautiques), les commandes de biens durables devraient désormais corriger leurs excès. En octobre, elles reculeraient ainsi de 4 %. Dans le même temps, les commandes hors transport ne devraient baisser « que » de 0,5 %, après avoir augmenté de 2 % en septembre.

 

Mardi 27 novembre, 18h : le chômage français continue de flamber.

Après avoir dépassé la barre des 3 millions de personnes en août, puis avoir augmenté de 46 900 personnes en septembre, le nombre de chômeurs devrait continuer sur cette même tendance dramatique en octobre. On recenserait ainsi 35 000 demandeurs d’emplois supplémentaires, soit un niveau global de 3,092 millions de personnes. Les chiffres du PIB ont beau infirmé le retour de la récession, ceux du chômage confirment que, même si elle ne veut pas dire son nom, cette dernière est bien là.

 

Mercredi 28 novembre, 14h : l’inflation allemande recule encore.

Conséquence logique de la baisse des cours des matières premières et du ralentissement de la consommation outre-Rhin, le recul de l’inflation devrait se poursuivre en novembre. De 2 % en octobre, le glissement annuel des prix à la consommation allemands atteindrait 1,8 % en novembre. De quoi calmer les craintes des faucons de la Bundesbank.

 

Jeudi 29 novembre, 11h : la baisse de l’indice de sentiment économique de la zone euro n’en finit plus.

Cela commence à devenir lassant : comme cela s’observe depuis le printemps dernier, l’indice de sentiment économique de la zone euro devrait encore reculer en novembre. Issu d’un calcul aussi savant que pertinent de la part de la Commission Européenne, cet indicateur avancé de l’activité eurolandaise devrait encore perdre 0,5 point et atteindre un niveau de 84, un plus bas depuis juillet 2009.

 

Jeudi 29 novembre, 14h30 : confirmation de la croissance américaine à 2 % au troisième trimestre.

Sans surprise, la croissance annualisée du PIB américain au troisième trimestre devrait être confirmée à 2 %. Les derniers chiffres du commerce extérieur et les révisions des statistiques de revenu et d’emploi sont à l’aune de ce niveau appréciable mais loin d’être euphorique. Comparativement aux déboires de la zone euro, l’Oncle Sam saura s’en satisfaire sans difficulté.