La perte du triple A est-elle grave?

 

DECRYPTAGE – Lundi soir, Moody’s a annoncé une dégradation de la note de la dette publique française. L’économiste Céline Antonin et l’analyste financier Marc Touati expliquent au JDD.fr les conséquences de cette décision.

La France a “officiellement” perdu son AAA

Trois agences de notation sont reconnues par les organisations internationales : Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings. Après la décision de Moody’s, lundi soir, deux agences ont désormais dégradé la France au cran inférieur au “AAA”. “Deux sur trois : autrement dit, la France a officiellement perdu son triple A”, résume Céline Antonin, économiste au Département analyse et prévision à l’OFCE.

Mais l’important est ailleurs. Dans son communiqué, Moody’s a également annoncé la “mise en perspective négative” de la dette française. “Cela veut dire que l’agence de notation menace la France de dégrader sa note de plusieurs crans dans les prochains mois”, décrypte Marc Touati, président du cabinet ACDEFI et auteur de Quand la zone euro explosera (Ed. du Moment).

Les marchés peu impactés

Les marchés boursiers ont fait peu de cas de la perte du AAA français. “Les actionnaires sont davantage inquiets de la situation en Israël ou des chiffres de l’économie américaine”, résume Marc Touati. En revanche, le marché obligataire, celui sur lequel les entreprises et les Etats se financent, a été logiquement impacté. “On a observé un net report des investisseurs qui préfèrent les obligations allemandes plutôt que françaises”, explique encore l’analyste d’ACDEFI.

“Les marchés ont intégré les décisions de Moody’s”, affirme pour sa part Céline Antonin, qui ajoute : “Les agences de notation réagissent toujours avec un temps de retard. Elles ne font qu’établir un constat souvent déjà effectué par les investisseurs.”

Quel impact pour l’Etat?

Les taux d’intérêts de la dette française ont certes augmenté, mais, comme la décision était attendue, l’impact sur les finances de l’Etat reste limité. “En revanche, le coup porté est psychologique”, estime Céline Antonin. “C’est une claque pour le gouvernement Ayrault : Moody’s a sanctionné le plan de compétitivité”, explique Marc Touati. En effet, l’agence de notation attendait la présentation des mesures de Jean-Marc Ayrault, après la remise du rapport Gallois, pour confirmer ou non la dégradation de la note française.

“La France écope d’un 18/20 au lieu d’un 20/20”, nuance toutefois Céline Antonin, pour qui “il faut relativiser : la dette française reste très bonne par rapport à de nombreux pays, dont plusieurs de ses voisins européens”. Mais le signe envoyé par Moody’s n’en reste pas moins “assez négatif”, ajoute l’économiste de l’OFCE : “Au-delà de la seule perte du AAA, Moody’s dit au gouvernement français : les réformes que vous avez entreprises risquent de casser la croissance et de freiner la consommation, qui, en France, est un moteur traditionnel de la croissance.”

Quelles conséquences pour les entreprises et les collectivités?

Automatiquement, la perte du AAA entraîne une dégradation de la majorité des notes des dettes des entreprises et des collectivités territoriales/locales. “Ceci dit, il ne faut sombrer dans le catastrophisme : l’ensemble de la zone euro éprouve des difficultés et nos entreprises ne sont pas plus mal loties que les autres”, explique Céline Antonin.

Les banques les plus endettées pourraient faire payer à leurs clients la perte de leur note : durcissement des règles d’accès à l’emprunt pour les entreprises, mais aussi pour les particuliers, hausse des taux d’intérêt. Pour les collectivités, cela risque d’être aussi délicat, dont une partie d’entre elles sont déjà étranglées par un endettement record.

La France peut-elle retrouver son AAA?

En ces temps de crise, retrouver le AAA n’est clairement pas un objectif. Lors de la dégradation de Standard and Poor’s, et alors que Nicolas Sarkozy était encore au pouvoir, François Hollande avait déjà indiqué qu’il préférait se concentrer sur le problème du chômage et de la stabilisation des déficits publiques. Sur ce second point, le chef de l’Etat a annoncé une stabilisation des dépenses publiques. Paradoxalement, c’est aussi ce qui a motivé la décision de Moody’s.

“La sanction de Moody’s est logique car l’exécutif n’a pas annoncé de mesures concrètes sur la réduction des dépenses publiques fonctionnelles. C’est pourtant sur ce point que les agences de notations veulent qu’on agisse”, explique Marc Touati qui rappelle que 56% du PIB français a été consacré aux dépenses publiques en 2011. A titre de comparaison, en Allemagne, pays qui conserve pour le moment son AAA, ce taux est 46,6%.