Alors que l’Union Européenne vient de recevoir le prix Nobel de la paix, force est de constater que c’est plutôt la guerre qui règne entre ses pays membres. En effet, bien loin des consensus de façade habituels et des sourires forcés, les dirigeants politiques allemands, français et britanniques affichent clairement leurs divergences et ne mâchent plus leurs mots. Echec de la fusion EADS-BAE, tensions au sein de la direction d’Airbus autour du financement de l’A350, mésententes et remontrances sur la stratégie de la BCE ou encore sur le budget européen… Les exemples du désamour franco-anglo-allemand ne manquent pas.
Pis, Angela Merkel n’hésite plus à tancer François Hollande et David Cameron pour leur manque de discernement et d’efficacité économique. Jusqu’alors très réservés et très europhiles, les Allemands ne cachent désormais plus leurs rancœurs et leurs inquiétudes quant à l’avenir de l’Union Européenne et de la zone euro. Selon certaines de nos informations, le gouvernement allemand a même demandé à certains instituts germaniques indépendants de chiffrer le coût pour l’Allemagne d’une sortie de la zone euro, mais aussi d’un maintien dans cette dernière. Et a priori, la différence ne serait pas si évidente que certains veulent le laisser croire.
Le coût de cet « opting out » allemand se résume principalement à l’appréciation de la future devise germanique, que certains appellent déjà l’euro-deutschemark ou, pour les plus virulents, le nouveau deutschemark. Face à ce renchérissement vis-à-vis de l’ensemble des devises européennes, il pourrait être tentant d’en déduire un effondrement de la compétitivité des produits fabriqués en Allemagne et donc des exportations allemandes. Après avoir soutenu à bout de bras la croissance du pays, ces dernières perdraient donc leur rôle de locomotives.
En apparence imparable, ce raisonnement est pourtant erroné. En effet, si les exportations allemandes sont si dynamiques ce n’est pas tant grâce à leur prix, mais surtout grâce à la qualité, au savoir-faire et la technologie développés outre-Rhin. Ainsi, si l’on importe des voitures ou des machines-outils allemandes, ce n’est pas parce qu’elles ne sont pas chères, mais justement parce qu’elles le sont et que leur cherté reflète une excellence confirmée.
En outre, il ne faut pas oublier que la part de la zone euro dans les exportations allemandes régresse continuellement. En plus de faire les bons choix sectoriels et technologiques, les entreprises d’outre-Rhin ont effectivement très vite compris qu’elles devaient gagner des parts de marché bien au-delà de l’Europe. A cet égard, soulignons qu’en dépit d’une croissance eurolandaise nulle depuis cinq ans, les exportations allemandes ont progressé de plus de 20 %. En d’autres termes, même si demain l’Allemagne sort de la zone euro et se retrouve avec une devise chère, elle continuera d’exporter massivement.
En fait, le vrai coût d’une sortie de l’Allemagne de la zone euro résiderait dans le risque de « vengeance » de ses anciens partenaires. En effet, en réponse à ce divorce forcé, certains pays eurolandais pourraient tout simplement refuser de rembourser tout ou partie de leurs bons du Trésor détenus par l’Etat allemand. La facture pourrait atteindre plus de 500 milliards d’euros. Mais s’engager dans une telle stratégie pourrait se retourner contre les pays « frondeurs » qui se mettraient ainsi de facto au ban des Nations et verraient leurs taux d’intérêt flamber, avec récession et crise sociale à la clé. Autrement dit, les Allemands pourraient être tentés de prendre ce risque, qui finalement s’avérerait bien moins coûteux qu’escompté.
En conclusion sur les coûts d’une sortie de l’Allemagne de la zone euro, il faut donc bien convenir que ces derniers devraient rester limités pour nos voisins allemands, mais plutôt élevés pour les pays restants. Ne bénéficiant plus de la crédibilité allemande, ces derniers subiraient notamment une forte augmentation des taux d’intérêt de leur dette publique, aggravant la crise actuelle.
A l’inverse, l’Allemagne paie la poursuite de la zone euro au prix fort. Au-delà des transferts financiers qu’elle consent depuis des décennies (rappelons notamment que l’Allemagne est l’un des rares pays de l’Union Européenne qui finance plus de subventions européennes qu’il n’en reçoit), l’économie germanique commence à être entraînée vers le bas par ses partenaires européens. Ainsi, en dépit des réformes douloureuses qu’elle a menées depuis plus de dix ans, l’Allemagne commence, elle aussi, à être menacée par la récession. C’est ce que l’on pourrait appeler « l’effet Siphon », les cancres entraînant également les bons élèves dans leur « descente aux enfers ».
Face à ce dilemme « sortir de la zone euro sans trop de fracas » versus « y rester mais en récession », les Allemands sont aujourd’hui de plus en plus virulents à l’égard de leurs partenaires. Le pire est que plutôt que d’essayer d’arrondir les angles et de moderniser leur économie, notamment en réduisant leurs dépenses publiques, les autres pays de l’Union, et en particulier la France, s’obstinent dans leurs erreurs et demandent à l’Allemagne de se taire. C’est un peu comme si, la cigale faisait des remontrances à la fourmi. Certes, comme nous le soulignons régulièrement, il ne sert à rien de mourir guéri et la rigueur pour la rigueur ne sert à rien.
Pour autant, il est clair que sans un minimum de réformes, la France ne pourra jamais retrouver le chemin de la croissance forte et durable et, par là même, ne pourra pas obtenir des concessions de la part de l’Allemagne. Or, l’Histoire nous a montré que, sans un couple franco-allemand fort et soudé, la construction européenne ne peut avancer, a fortiori si les Anglais mettent régulièrement de l’huile sur le feu.
Malheureusement, c’est exactement ce spectacle désastreux qu’offre aujourd’hui l’Union Européenne. Et si, comme l’a confirmé le Comité Nobel, cette dernière est bien une protection contre les conflits, elle ne constitue malheureusement pas un rempart contre la récession. Dès lors, face à l’adversité et à la crise sociale, les risques de comportements non-coopératifs augmentent dangereusement. Autrement dit, la guerre est déjà déclarée. Espérons simplement que l’Armistice et, ce faisant, le retour de la croissance ne tarderont pas…
Marc Touati