France, Etats-Unis, Europe : Des twin deficits destructeurs. (E&S n°227)

 

Humeur :

L’Allemagne a encore sauvé la zone euro… pour trois mois.

Angela Merkel a de quoi pavoiser : en un peu plus de trois ans, elle a participé à pas moins de dix plans de sauvetage de la zone euro. Les Sarkozy, Berlusconi, Monti et Draghi peuvent aller se rhabiller. Il faut dire que la Chancelière allemande est le seul dirigeant eurolandais à avoir traversé les quatre dernières années de crise dans leur totalité.

Mieux, en dépit des critiques et de certaines apparences, Mme Merkel a réussi à ancrer l’UEM dans une conception allemande de l’économie. Ainsi, l’Allemagne est définitivement devenue la locomotive économique, financière et politique de la zone euro. La raison de cette triple domination est simple : au cours des dix dernières années, nos voisins germaniques sont les seuls à avoir tenu leurs engagements en termes de modernisation de leurs structures économiques, d’assainissement des dépenses publiques et de réduction des déficits.

Bien loin de ce sens du sacrifice et de la responsabilité, la France n’a cessé d’augmenter le poids des dépenses publiques dans le PIB et de refuser de modernisation son économie, en particulier son marché du travail. Dans ce cadre, alors qu’il y a encore une décennie, la France pouvait imposer sa voix devant celle de l’Allemagne à l’ensemble de la zone euro, elle est aujourd’hui contrainte de courber l’échine.

Le récent revirement de François Hollande est d’ailleurs tout à fait symptomatique de ce changement de donne. Pendant sa campagne, puis fraîchement élu à la Présidence de la République, celui-ci n’avait effectivement de cesse de soutenir qu’il allait faire plier les Allemands et rediriger l’UEM vers une voie française. Cinq mois après, toutes ces belles promesses ont été oubliées et les dirigeants français sont désormais réduits à approuver les choix allemands, tout en essayant de faire croire à Mme. Merkel qu’ils vont vraiment réduire leurs déficits publics.

Seulement voilà, les solutions proposées par le Président et le gouvernement français ne vont pas dans le bon sens. En effet, elles sont principalement axées sur une augmentation des impôts de 20 milliards d’euros. Déjà pénalisée par l’une des pressions fiscales les plus élevés du monde (en pourcentage du PIB), l’économie hexagonale va donc encore souffrir et s’enliser dans une récession historique. Bien loin des engagements d’inversion de tendance, le chômage va encore progresser et dépasser les 12 % d’ici la fin 2013. Le déficit public augmentera donc encore l’an prochain et la dette avec. Cette dernière devrait alors avoisiner les 95 % du PIB.

D’ores et déjà, la remontée intempestive de l’euro face au dollar met en péril la croissance française et eurolandaise, mais aussi la viabilité du dernier plan de sauvetage validé cette semaine par la cour allemande de Karlsruhe. En effet, aussi incroyable que celui puisse paraître, les annonces de la BCE, puis le blanc-seing des Sages allemands ont déjà annihilé les chances de sortie de crise et rendu inévitable l’élaboration d’un nouveau plan de sauvetage dans les trois prochains mois. Et pour cause : à chaque fois que l’euro s’apprécie de 10 %, la croissance est amputée d’environ 0,4 point. Avec un euro à 1,30 dollar, la récession va donc s’aggraver. Dès 2012, la variation annuelle moyenne du PIB devrait être négative. Quant à celle de 2013, elle devrait au mieux atteindre 0,2 %. Et ce tant pour la France que pour la zone euro dans son ensemble.

Les replis du PIB seront évidemment encore plus forts dans les pays du Sud. Ce qui se traduira par une nouvelle augmentation du chômage et une aggravation de la crise sociale qui, au fur et à mesure des semaines, devient de plus en plus dramatique. Les 700 milliards du MES risquent donc de s’avérer insuffisants. Mais quand nos dirigeants vont-ils enfin comprendre que le seul moyen de sortir de la crise de la dette publique réside dans la restauration d’une croissance forte et durable ? Il est toujours facile de dire que tout ira mieux dans deux ans. Cela fait plus de dix ans que les dirigeants français et eurolandais nous servent la même « soupe ». Avec pour résultats : de moins en moins de croissance et de plus en plus de chômage.

Et si l’Allemagne est l’un des rares pays qui réussit encore à sortir la tête de l’eau, c’est tout simplement parce que c’est l’un des seuls qui a mis en place une véritable « rupture » économique. Mais, les Allemands ne sont pas dupes. Ils savent très bien que leurs partenaires eurolandais finiront par les entraîner dans le siphon de la récession. Face à ce danger et devant le scepticisme de la population, les Instituts germaniques se livrent désormais à un comparatif dangereux : la sortie de l’Allemagne de la zone euro lui coûterait-elle plus cher que son maintien ? Si, pour la quasi-totalité des pays eurolandais, une sortie serait largement plus coûteuse qu’un maintien, la différence est beaucoup moins flagrante pour nos voisins d’outre-Rhin.

Le simple fait de poser une telle question montre d’ailleurs combien la zone euro est en danger. Enfonçant le clou, la cour de Karlsruhe n’a pas manqué de poser deux conditions. Primo, l’engagement allemand ne devra pas dépasser les 190 milliards d’euros, sans approbation du Bundestag. Secundo, les deux chambres du Parlement allemand devront être consultées sur les opérations et décisions du MES. Cela promet des tensions et des lourdeurs dont se passerait bien la zone euro. Même si les investisseurs n’ont pas voulu relever ces détails déterminants, ces derniers montrent néanmoins que les Allemands auront de plus en plus de mal à accepter de nouveaux plans de sauvetage. A moins que les autres pays eurolandais, et en particulier la France, s’engagent vers le chemin de la réduction des dépenses et des déficits publics.

Lorsque, dans trois mois, la récession se sera intensifiée et que les déficits reprendront le chemin de la hausse, il faudra forcément trouver une nouvelle voie. Pas celle des plans de sauvetage à répétition voué d’avance à l’échec, mais celle d’une véritable refonte de la gouvernance de la zone euro, avec notamment un couple franco-allemand réconcilié vers plus d’efficacité économique. Mme Merkel a fait tout ce qu’elle a pu. Ce sera désormais à M. Hollande de faire le maximum, car, pour l’instant, il en est très loin…

Marc Touati



Quid des marchés cette semaine :

« Trappe à liquidités » américaine et « euro killer » :

Bonjour les dégâts !


1,30 dollar pour un euro ! La « machine à perdre » est de nouveau en marche. En effet, galvanisés par les annonces de la BCE et la validation du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) par les « Sages » allemands, les marchés ont de nouveau fait flamber l’euro.

La tâche a été d’autant plus facile que les Etats-Unis continuent de vouloir tout faire pour la croissance et que la Fed a encore donné un coup de pouce monétaire, qui ne servira d’ailleurs à rien puisque les Etats-Unis sont entrés dans une « trappe à liquidités ». Cela signifie donc que les nouvelles injections de liquidités de la Fed ne soutiendront que faiblement, voire pas du tout, la croissance américaine. Et pour cause : le cash « donné » par la Fed est davantage utilisé pour spéculer sur les marchés des matières premières ou pour alimenter l’épargne de précaution que pour financer l’investissement et l’emploi.

Autre erreur troublante de la part de la Fed : elle s’immisce dans la campagne présidentielle américaine et soutient de facto le président sortant. Cela finira donc forcément par nuire à la crédibilité de Ben Bernanke. Certes, si Obama est réélu, le Président de la Fed pourra terminer son mandat tranquillement. En revanche, si tel n’est pas le cas, il risque de passer un mauvais quart d’heure et d’entacher encore un peu plus le sérieux de la Fed.

Cadeau empoisonné de la Fed à l’économie américaine : la « trappe à liquidités »

Sources : BEA, Fed, ACDEFI

En dépit de cette double erreur, la bourse américaine a flambé et le dollar a encore chuté. L’idée des investisseurs est assez simple : si, en dépit d’un chômage élevé et grâce à la bienveillance de la Fed, Obama est réélu, il continuera d’augmenter les dépenses publiques, limitant la croissance américaine et affaiblissant de nouveau le billet vert.

Dans le même temps, si la vision allemande s’impose à l’UEM, l’euro restera fort, quitte à aggraver la récession.

Car, malheureusement, le retour de « l’euro killer » aura des conséquences dramatiques pour l’économie et l’emploi dans l’UEM. C’est en partie à cause de lui que les pays eurolandais ont connu leur plus grave récession en 2009. C’est aussi « grâce » à lui que la dépression est en train de s’installer dans de nombreux pays du Sud de l’Europe.

La vraie difficulté n’est effectivement pas de subir une récession, mais de devoir en affronter deux en trois ans. Soyons clairs : la Grèce, le Portugal, l’Espagne, voire l’Italie et la France ne s’en remettront pas.

Deux récessions en trois ans, c’est insupportable, merci l’euro fort.

Sources : Eurostat, ACDEFI

En conséquence, l’appréciation récente de l’euro ne peut pas être durable. Elle est simplement liée à un mouvement spéculatif engendré par les décisions pourtant positives de la BCE et de la cour de Karlsruhe, ainsi que par la bienveillance excessive de la Fed.

Ne l’oublions jamais : la dernière fois que la croissance a été forte dans la zone euro c’était en 2000, lorsque l’euro valait moins de 0,90 dollar. A l’inverse, à chaque fois que l’euro a dépassé les 1,15 dollar, la croissance s’est effondrée.

Euro fort = Récession, Euro faible = croissance soutenue.

Sources : Eurostat, ACDEFI

L’euro est donc condamné à repartir à la baisse, soit dans la douceur, via une meilleure gouvernance économique et monétaire, soit dans la douleur avec une nouvelle récession qui sera dévastatrice. C’est là tout le paradoxe de l’euro : plus il est cher, plus il devient fragile et plus l’UEM est menacée d’explosion.

Marc Touati



 


 

Les évènements à suivre du 17 au 21 septembre :


La zone euro s’enlise dans la récession.

 


Cette semaine économico-statistique sera relativement calme. Le point d’orgue aura lieu le jeudi 20, avec la publication des enquêtes des directeurs d’achat dans la zone euro qui devrait confirmer l’enlisement de cette dernière dans la récession.

 

 

Mardi 18 septembre, 11h (heure de Paris) : l’indice ZEW ne baisse plus, mais reste bas.

 

Le nouveau cadeau de la BCE devrait forcément soutenir l’indice ZEW représentant la confiance des milieux financiers allemands. Pour autant, le retour de la récession dans la zone euro et peut-être bientôt en Allemagne, devrait empêcher une forte remontée de cet indice qui ne gagnerait ainsi qu’un point et demi à – 24. Nous resterons donc loin de l’euphorie…

 

 

Mercredi 19 septembre, 14h30 : Vers une quasi-stabilisation des mises en chantier outre-Atlantique.

 

Le marché immobilier américain reste toujours timoré. Ainsi, dans le sillage de l’augmentation des permis de construire le mois dernier, les mises en chantier devraient légèrement croître en août. Elles atteindraient un niveau annualisé de 750 000, contre 746 000 le mois précédent. Rien de bien réjouissant.

 

 

 

 

Jeudi 20 septembre, 10h : les directeurs d’achat de la zone euro continuent de broyer du noir.

 

Cela commence à devenir lassant : plus les mois passent, plus la récession de la zone euro s’aggrave et plus les directeurs d’achat de cette dernière sont pessimistes. Nous sommes donc en plein cercle pernicieux : euro trop fort – récession – pessimisme des entreprises – chômage – récession…

En septembre, les indices PMI devraient ainsi osciller autour des 45 dans l’industrie manufacturière, des 47 dans les services et des 46 pour l’indice composite.

La barre des 50 et, avec elle, les perspectives de croissance s’éloignent donc de plus en plus.