France : Des pigeons sans ailes…

 

En moins d’une semaine et devant la pression des entrepreneurs français, le gouvernement a donc fait marche arrière sur la taxation à 60 % des plus-values de cessions d’entreprises. D’aucuns pensaient qu’une révolution allait venir de la rue, mais c’est finalement les patrons de PME et de TPE qui ont mis le feu aux poudres. Certes, il n’y a pas eu de barricades, de pavé ou de vandalisme, simplement une levée de bouclier médiatique, en particulier sur Internet, notamment avec la fameuse pétition des « Pigeons ». Une fois encore, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ont prouvé qu’elles constituaient une véritable force économique et sociale. Plus fort que le Medef et sa Présidente, qui a encore brillé par son inconstance, plus forts que les médias traditionnels qui ont tardé à relayer le mouvement des « patrons modernes », ces derniers et leurs réseaux sociaux ont réussi à faire capoter une décision gouvernementale hautement dangereuse.

En effet, fier de sa stratégie d’augmentation des impôts et d’égalisation par le bas, les dirigeants politiques français souhaitaient « faire payer » plus que de raison les chefs d’entreprise. Ainsi, lors de la cession de leur société, ces derniers auraient dû reverser 60 % de leurs plus-values pour entretenir le mammouth de la dépense publique. Après avoir payé chaque année un impôt sur les sociétés prohibitif, sans parler de toutes les autres taxes diverses et variées qui grèvent le dynamisme entrepreneuriale hexagonal, le créateur-chef d’entreprise aurait donc dû encore « cracher au bassinet ». Après avoir pris de nombreux risques, créé de la richesse et des emplois pendant de nombreuses années, celui-ci se serait donc vu privé d’une large partie de la rémunération qu’il aurait pu utiliser soit pour réinvestir, soit pour financer sa retraite.

Nous nous serions donc trouvés face à une anomalie lourde de conséquences pour l’économie et la société française. En effet, l’une des règles de base de l’économie, de l’entreprise, voire de la vie tout court, réside dans la formule de bon sens suivante : plus le risque augmente, plus le rendement s’accroît. Autrement dit, pour obtenir un rendement élevé, il faut prendre des risques. A l’inverse, celui qui ne souhaite pas prendre de risque devra se contenter d’un rendement faible. Quoi de plus logique ?!

Certes, pendant la bulle des subprimes, certains ont réussi à faire croire que l’on pouvait transformer cette règle en supprimant le risque. A les écouter, il était donc possible d’accroître le rendement sans augmenter le risque. Pour y parvenir, ces « apprentis sorciers », qui faisaient partie des meilleurs ingénieurs et/ou mathématiciens de la planète, s’étaient livrés à la titrisation des dettes subprimes et, grâce à une modélisation extrêmement puissante, avaient réussi à transformer ces dernières en des titres notés AAA par les agences de notations. Evidemment, en dépit d’un maquillage scientifique exceptionnel, la supercherie a fini par être découverte et le monde en paie encore les pots cassés aujourd’hui. Très logiquement, la planète économico-financière est alors revenue vers sa règle de base « pas de haut rendement sans risque élevé ».

Pourtant, avec son projet de taxation extrême des plus-values de cession, le gouvernement français souhaitait, à son tour, modifier cette règle de base, mais dans le sens inverse de celui des alchimistes de la bulle des subprimes. En d’autres termes, il ne s’agissait plus de transformer le plomb en or, mais l’or en plomb. En effet, la nouvelle règle de l’entrepreneuriat français aurait été : plus le risque augmente, plus le rendement baisse. Dès lors, à quoi bon investir et prendre des risques, pour voir 60 % de ses gains s’envoler en fumée (sans parler de ceux ponctionnés annuellement). Les créations d’entreprises auraient alors fortement chuté, avec baisse du PIB et hausse du chômage à la clé.

Devant l’ineptie de ce projet et face à la montée en puissance du mécontentement, le gouvernement français a donc reculé, tout en faisant savoir qu’il souhaitait toujours augmenter la pression fiscale sur tous, et en particulier sur les entreprises. Si ces dernières ont donc gagné une bataille, elles sont loin d’avoir gagné la guerre. Compte tenu d’une fiscalité et d’une pression réglementaire excessive, elles vont rester des pigeons, mais sans ailes. En d’autres termes, elles ne pourront plus aller bien loin et seront contraintes de réduire leurs investissements et leurs embauches.

Mais ce n’est pas tout. Car l’épisode des « pigeons » confirme aussi le manque de professionnalisme et de clairvoyance du gouvernement français. Ensuite, il rappelle que la lutte des classes est bien en train de devenir la « haine des classes ». Pis, si cette dernière était généralement l’apanage des syndicats, elle est en train de se généraliser aux chefs d’entreprise. Ces évolutions sont évidemment très dangereuses pour la stabilité de la société française. Or, sans cohésion sociétale, la croissance ne pourra redémarrer et la France finira par s’enfoncer dans un marasme économico-social historique.

C’est en cela que les nouvelles prévisions de l’INSEE d’une croissance zéro jusqu’à la fin 2012 ont vraiment de quoi faire sourire ou plutôt pleurer. En effet, pour éviter de faire peur, l’Institut public a annoncé que le PIB français allait miraculeusement stagner pendant cinq trimestres. Il y en a déjà eu trois, il y en aura encore deux, les deux derniers de 2012. De la sorte, l’économie française évitera par magie la récession.

Sans vouloir donner des leçons, il serait vraiment temps d’arrêter de masquer la réalité aux Français. Ces derniers doivent au contraire être responsabilisés. A commencer par ceux qui nous gouvernent et qui ne pensent qu’à maintenir le niveau des dépenses publiques à un niveau insupportable de 56,3 % du PIB (un des plus hauts du monde) et à augmenter les impôts. Soyons clairs : s’il est justifié d’avoir une dépense publique élevée et de payer des impôts, ceci doit se faire avec un minimum d’efficacité économique et sociale. Or, en dépit cette gabegie de dépenses, la croissance française n’a été que de 1 % par an au cours de la dernière décennie et de seulement 0,05 % de 2008 à 2012. Quant à 2013, avec les augmentations d’impôts annoncées et un euro à 1,30 dollar, il faut tabler au mieux sur une baisse du PIB d’environ 0,5 %. En plus d’être dépourvus d’ailes, les pigeons français vont donc rester bien tristes.

Marc Touati