Un peu comme des enfants à l’approche du mois de décembre, la quasi-totalité des investisseurs, entrepreneurs, hommes politiques et autres acteurs de la vie économique attendaient avec impatience la réunion de septembre de la Banque Centrale Européenne. C’est d’ailleurs grâce à la perspective d’une issue heureuse que les marchés ont pu passer un été relativement calme, le premier depuis cinq ans.
Face à autant d’espoirs, la BCE et son Président ne pouvaient se permettre de décevoir. Ainsi, sans surprise, « Super Mario » Draghi a bien revêtu le costume du père Noël. Pour tenter de contourner l’interdiction d’actionner la « planche à billets », la BCE a donc annoncé qu’elle allait acheter des obligations des Etats eurolandais en difficulté et ce, dans une proportion illimitée.
Ce nouveau cadeau « no limit » de l’Institut francfortois a évidemment suscité une vague d’euphorie sur les marchés. Sur la seule journée de jeudi, le Cac 40 a flambé de 3,06 %, l’Eurostoxx de 3,4 %, le MIB (Milan) de 4,3 % et l’IBEX (Madrid) de 4,9 %. Dans le même temps, l’euro s’est hissé à quasiment 1,27 dollar. Enfin, les taux d’intérêt des obligations d’Etat à dix ans italiens et espagnols ont reculé, les premiers se rapprochant des 5 % et les seconds passant sous les 6 %.
Bref, les marchés ont totalement adhéré au plan de sauvetage de Draghi, oubliant les carences de ce dernier et voulant absolument retrouver l’optimisme. Il faut dire que comparativement aux années Duisenberg et Trichet, il n’y a pas photo : la BCE passe effectivement du noir au blanc, de la rigidité à la flexibilité et du dogmatisme maladif au pragmatisme. Ne serait-ce que pour cette raison, l’emballement des marchés apparaît tout à fait justifié.
Pour autant, ne nous voilons pas la face : le plan de la BCE va certes dans le bon sens, mais est loin de pouvoir résoudre la crise de la zone euro.
Tout d’abord, d’un point de vue technique, il faut souligner que celui-ci ne sera enclenché que si et seulement si les Etats qui souhaitent en bénéficier font appel auparavant à l’aide des fonds de secours européens, le FESF, puis le MES, normalement son futur successeur. Autrement dit, si l’Espagne et l’Italie ne réclament pas officiellement cette aide, et ils ne cessent de déclarer qu’ils ne le feront pas, la BCE n’achètera pas leurs dettes publiques.
En outre, au contraire de ce qui est parfois avancé, le plan de la BCE ne constitue absolument pas une « planche à billets ». Cette dernière consiste à créer de la monnaie ex-nihilo qui sera utilisée pour financer directement les Etats. Ceux-ci n’ont alors pas besoin de faire appel aux marchés, ce qui permet de maintenir les taux d’intérêt obligataires sur des niveaux bas et de soutenir par là même l’investissement des entreprises.
La solution proposée par la BCE est évidemment bien loin du compte, dans la mesure où elle consiste à acheter des obligations déjà émises. Elle vient donc essayer d’éteindre l’incendie, une fois qu’il s’est déclaré. Une stratégie bien plus appropriée serait d’agir en amont, en soutenant davantage la croissance. Pour ce faire, la BCE doit encore abaisser son taux refi, au moins à 0,5 %, ce qui permettra notamment de déprécier l’euro et de relancer l’activité économique.
C’est d’ailleurs là que réside l’un des grands paradoxes de la situation actuelle. En effet, à la suite de la décision de la BCE, l’euro s’est de nouveau apprécié, ce qui ne manquera pas d’alimenter la récession, donc d’augmenter le chômage, puis les déficits et enfin la dette. Ainsi, tant que la croissance ne sera pas de retour, la BCE pourra acheter toutes les obligations qu’elle souhaite, cela ne mettra pas fin à la crise de la dette publique.
En d’autres termes, la BCE ne fait que gagner du temps, en espérant que la croissance reviendra comme par magie. Et comme la récession va s’installer au moins jusqu’au second trimestre 2013, il est clair que la crise va très vite revenir, rendant l’action de la BCE coûteuse et peu efficace.
Les Allemands pourront alors rappeler qu’ils nous avaient bien prévenus et qu’ils étaient contre les décisions de la BCE. Il s’agit là de la quatrième difficulté du plan de la BCE que les marchés veulent pourtant faire semblant d’ignorer. En l’occurrence, l’hostilité allemande. En visite à Madrid, Mme Merkel a ainsi souligné que la BCE avait agi « dans le cadre de son indépendance et de son statut » avant de confirmer son opposition au rachat de dette publique. On ne peut être plus clair.
Parallèlement, M. Draghi a indiqué que le nouveau programme avait été voté à l’unanimité du conseil des gouverneurs moins une voix, celle de Jens Weidmann, président de la Bundesbank. Dans un communiqué publié dès jeudi après-midi, cette dernière a été particulièrement sévère : « Si ce programme conduit les Etats à repousser les réformes nécessaires, cela va de nouveau saper la confiance dans la capacité des responsables politiques à résoudre la crise ». Cela promet des tensions de plus en fortes au sein de la BCE, mais aussi au sein de l’Eurogroupe. Autrement dit, les dissensions germano-eurolandaises s’intensifient et s’affichent de plus en plus au grand jour.
En conclusion, si le plan de la BCE a plu aux marchés, c’est surtout parce que ces derniers avaient besoin de réconfort et cherchaient absolument à se rassurer. En revanche, emportés par l’euphorie, ces derniers ont oublié que le programme de la BCE ne faisait que gagner du temps et ne résolvait en rien les problèmes principaux de la zone euro, en l’occurrence l’absence de croissance, l’augmentation du chômage et les tensions idéologiques entre ses différents membres. La crise n’est plus seulement économique, elle est désormais sociale et politique. Et il faut malheureusement reconnaître que, sur ces trois domaines, le plan de la BCE est hautement insuffisant.
Lorsque les marchés s’en rendront compte, ils ne tarderont pas à faire machine arrière. En attendant, laissons-les croire au Père Noël…
Marc Touati