Ouf ! Après trois mois de stress et de craintes existentielles, la zone euro semble enfin sauvée. C’est du moins ce qui ressort du dernier sommet européen. En effet, alors que l’intransigeance de l’Allemagne et l’ancrage apparent de la France dans le laxisme budgétaire laissaient imaginer le pire, c’est finalement la raison qui l’a emporté. Cet apaisement est d’autant plus louable que la forte augmentation des taux d’intérêt en Espagne et en Italie à la veille de cet énième « sommet de la dernière chance » avait avivé les tensions des pays du Sud à l’encontre de la zone euro et de l’Allemagne.
Compte tenu de ces enjeux, un échec de ce sommet était donc devenu inimaginable. C’est en cela que sa réussite est presque passée inaperçue. En fait, à l’instar d’une soirée électorale française, tout le monde se déclare gagnant. Les Français se prévalent de la décision d’un plan de soutien à l’activité de 120 milliards d’euros ; l’Espagne et l’Italie se satisfont du plan de sauvetage des banques via la BCE ; quant à l’Allemagne, elle soutient que tous ces « cadeaux » n’ont été consentis qu’en échange d’un engagement renforcé sur le front de la rigueur budgétaire.
Bref, comme dirait le Candide de Voltaire, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. D’ailleurs, pour confirmer cette « béatitude », les bourses mondiales ont salué avec ferveur cet accord en progressant nettement, que ce soit en Europe, en Asie et aux Etats-Unis. De même, après avoir dangereusement flambé, les taux d’intérêt des obligations des Etats eurolandais se sont nettement détendus.
Et, ne faisons pas la fine bouche, les décisions prises vendredi dernier tombent à pic pour sauver la zone euro et pour lui permettre de passer un été relativement tranquille. Et après ? C’est justement là le problème. Car, au-delà des cadeaux annoncés, il n’y a pas grande chose de nouveau sous le soleil de l’UEM. Et pour cause : cela fait des années, pour ne pas dire plus d’une décennie, que les dirigeants eurolandais s’engagent à réduire leurs déficits publics, avec pour seul résultat, une augmentation structurelle de ces derniers. A l’exception notable de l’Allemagne, du Luxembourg et de la Finlande, il n’y a ainsi aucun pays eurolandais qui a réussi à tenir ses engagements en la matière. Certes, certains pays ont fait des sacrifices, notamment les Pays-Bas, le Portugal et l’Italie. Cependant, l’aggravation de la récession a réduit ces efforts à néant. Si bien que la dette publique a atteint des niveaux prohibitifs un peu partout.
Et sans vouloir ajouter à la morosité ambiante après le parcours lamentable des Bleus à l’Euro 2012, le pays qui a le moins respecté ses engagements de réduction des dépenses publiques c’est la France. Avec 56 % de son PIB, ces dernières sont ainsi numéro un de la zone euro. Il sera toujours possible de se consoler en soulignant qu’il y a au moins un domaine dans lequel l’Hexagone arrive premier. Cocorico ! Que dire alors de notre déficit public annuel à 4 % du PIB en moyenne depuis dix ans et de notre dette publique qui dépassera cette année les 90 % du PIB ?!
Mais peu importe, nous diront MM. Hollande et Ayrault, la réduction des déficits c’est maintenant ! Comment ? Grâce à une augmentation massive des impôts ! Nous aimerions bien les croire, mais comme nous l’avons déjà expliqué dans ces mêmes colonnes il y a une dizaine de jours, cette aggravation de la pression fiscale ne fera que casser le peu de croissance qui nous reste, ce qui finira par aggraver les déficits publics, donc la dette… et le jeu de massacre continuera.
C’est en cela que le sommet des 28 et 29 juin n’a absolument rien résolu. En effet, que ce soit pour la France, l’Espagne, la Grèce ou tous les autres pays de la zone euro, le retour de la récession étouffe dans l’œuf les promesses de ce sommet. Pis, la remontée de l’euro/dollar qui a suivi ce dernier aggravera l’atonie économique et augmentera les déficits. Il faut d’ailleurs noter que la baisse des taux d’intérêt à long terme a été limitée. Ce qui montre bien que la circonspection reste de mise.
Nous ne cessons de le répéter depuis des années : tant que la BCE ne sera pas dotée d’un rôle plus actif en matière de croissance et qu’elle n’achètera pas de la dette publique en direct, la zone euro restera menacée.
Dans ce cadre, le seul véritable avantage du dernier sommet européen est de gagner du temps. L’ennui est que plus les sommets de sauvetage se multiplient, plus le temps gagné est court. Ainsi, jusqu’à la crise grecque, ces derniers permettaient de gagner un à deux ans. Avec la tempête hellène, ce délai a été réduit à six mois. Désormais, il n’est plus que d’environ trois mois.
Ce qui est assez incroyable c’est qu’en dépit de ces déceptions successives, les déclarations des dirigeants eurolandais sont quasiment toujours les mêmes : « victoire ! », « la zone euro est définitivement sauvée ! », « la crise de la dette publique est résolue », ou encore mieux, « la crise est finie !». Il faut reconnaître que lorsque les temps sont durs, comme c’est le cas depuis quatre ans (déjà !), ces affirmations font du bien. Elles donnent envie de retrousser ses manches, de retrouver l’optimisme et de réviser à la hausse ses prévisions. Mais l’expérience nous a aussi appris à ne pas être dupes, surtout lorsque ces phrases sont prononcées par des « arracheurs de dents »…
Autrement dit, et nous sommes vraiment désolés de devoir le dire encore une fois, mais, dès septembre prochain, avec l’aggravation de la récession dans la zone euro, l’augmentation officielle des déficits publics et l’exacerbation des tensions franco-allemandes, la crise reviendra. En fait, elle n’a jamais vraiment disparu, ce sont simplement les dirigeants eurolandais qui ont donné l’illusion temporaire que tout était résolu.
Alors, face à tant de faux semblants, que faut-il faire ? D’abord, profiter de l’instant présent. L’été devrait être favorable, c’est déjà ça de gagner. Quant à la suite, il faut continuer à développer des stratégies anti-crise en se souvenant que celui qui baisse les bras est sûr de perdre. En d’autres termes, innovons, investissons sur des niches et/ou à l’international. De la sorte, nous aurons au moins une chance de gagner. Bon courage à tous !
Marc Touati