Espagne, France, Inflation US : Quels sont les dangers ? (E&S n°216)

 

Humeur :

Pour 100 milliards t’as plus rien !

« Pour 100 briques t’as plus rien ! » Tel était le titre d’une comédie d’Edouard Molinaro de 1982. A l’époque, 100 briques signifiaient généralement 100 millions d’anciens francs, donc un million de nouveaux francs, soit environ 150 000 euros d’aujourd’hui. Et effectivement, avec une telle somme, on n’a pas grande chose, du moins on ne peut pas se permettre d’arrêter de travailler. Comme quoi, avec le temps et un peu d’inflation, les richesses fondent comme neige au soleil. De quoi rappeler qu’il ne sert pas à grand-chose de thésauriser, mais que la seule véritable création de richesses réside dans le travail, l’investissement et l’épanouissement personnel.

Toujours est-il que, trente ans plus tard, cette même phrase est toujours d’actualité, si ce n’est que les briques sont devenues des milliards d’euros. C’est du moins ce qui ressort de la dernière tentative des dirigeants européens pour sortir l’Espagne de la crise. En effet, en permettant aux banques espagnoles de se recapitaliser à hauteur de 100 milliards d’euros, ceux-ci estimaient, une fois encore, que la crise était résolue. Les marchés et les investisseurs devaient applaudir des deux mains et l’Espagne devait retrouver son aplomb d’antan en quelques jours. Sans véritable surprise, il n’en a évidemment rien été. Et pour cause : les marchés sont repartis à la baisse, les taux d’intérêt des obligations de l’Etat espagnol ont encore flambé pour flirter avec les 7 %. Autrement dit, la crise est non seulement loin d’être terminée, mais elle s’est même aggravée. La raison en est simple : après avoir tout misé sur l’immobilier et oublié l’essentiel, c’est-à-dire l’innovation et l’industrie de pointe, l’Espagne ne dispose pas de relais de croissance. Or, tant que cette dernière restera atone, il sera impossible de sortir de la crise de la dette publique.

Cela commence à devenir lassant : depuis le début de la crise grecque, c’est-à-dire depuis bientôt trois ans et demi, les dirigeants eurolandais ne cessent de répéter les mêmes erreurs. Du haut de leur tour d’ivoire, ils sont persuadés qu’en dilapidant les milliards d’euros, ils vont résoudre tous les problèmes.

Comme nous cessons de le répéter depuis trois ans, cette stratégie est par définition vaine, voire dangereuse. En effet, elle ne consiste qu’à colmater les brèches et à essayer de calmer le jeu temporairement sans résoudre les origines du mal, à savoir l’absence de croissance économique. Ainsi, tant que la zone euro ne sera pas dotée d’une véritable gouvernance économique efficace tant en matière de croissance que de réduction des déficits publics, la crise ne pourra prendre fin. Pis, elle s’intensifiera et se généralisera à tous les pays de l’UEM.

A cet égard, il est frappant, pour ne pas dire triste, de rappeler que, dans leur grande majorité, les économistes et les politiques n’ont cessé de défendre qu’il n’y aurait pas d’effet domino, que la crise grecque serait très locale et qu’elle ne pourrait pas faire tâche d’huile. Quelle naïveté, ou plutôt, que de manipulations !

Encore plus dramatique, les déclarations des dirigeants des pays menacés sont quasiment toujours les mêmes et suivent les mêmes étapes. Au début, tout va bien, ceux-ci promettent qu’ils ne creuseront pas les déficits publics. Dès lors, ils n’hésitent pas à accroître les dépenses de l’Etat en pensant qu’en augmentant les impôts, tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ils oublient donc que l’aggravation de la pression fiscale réduit l’activité économique, donc l’assiette fiscale, ce qui finit par abaisser les recettes de l’Etat et donc par creuser les déficits. Très logiquement, la dette publique augmente, les taux d’intérêt également et le cercle pernicieux de la bulle de la dette commence à s’installer.

Qu’à cela ne tienne, les dirigeants politiques continuent de vendre la même soupe : tout ira bien, nous n’avons pas besoin de l’aide de l’UEM, etc… Seulement voilà, devant l’aggravation de la récession et des déficits, ils sont finalement obligés d’appeler au secours, pensant ainsi avoir fait le plus difficile. Mais, il n’en est rien pour la bonne et simple raison que la croissance ne revient toujours pas et que la tentation de ne pas réduire les dépenses publiques est forte.

Ainsi, lorsque l’on écoute les dirigeants italiens déclarer qu’ils n’auront pas besoin de l’aide européenne, on croit entendre leurs homologues grecs, irlandais, portugais et espagnols qui faisaient de même quelques trimestres plus tôt.

Mais, attention, n’imaginons pas que ce manque de clairvoyance soit l’apanage des « pays du club Med », comme aiment le souligner nos amis allemands. Ainsi, lorsque les dirigeants français actuels nous disent qu’ils vont réduire les déficits publics, mais annoncent qu’ils vont créer des postes de fonctionnaires, accroître les emplois aidés…, le tout financé par une hausse des impôts, on croirait écouter M. Papandréou en 2009, après son élection, qui nous promettait qu’il allait sortir la Grèce de la crise grâce à la puissance publique…

A l’évidence, toutes ces similitudes ont de quoi faire peur. Et ce d’autant que le dogmatisme et le manque d’efficacité des décisions eurolandaises continuent de plus belle.

Il faut donc être clair : le seul moyen de sortir de cette crise réside dans la restauration de la croissance grâce à une meilleure gouvernance économique et monétaire. Tant que la BCE n’achètera pas en direct de la dette publique, tant que le taux refi ne sera pas abaissé à 0,5 %, tant que l’euro ne passera pas sous les 1,18 dollar et tant qu’un budget fédéral n’aura pas vu le jour, la crise continuera.

Pour parvenir à ces réalisations, il faut également réconcilier le couple franco-allemand, ce qui ne pourra passer que par une réduction des dépenses publiques dans l’Hexagone. Si, après les législatives, les dirigeants français font le choix inverse, il faut se préparer à une phase de très forte instabilité.

Et les milliards de l’UEM ne serviront pas à grand-chose. Si ce n’est à colmater certaines brèches pendant quelques mois. Il est donc urgent d’arrêter cette fuite en avant et de transformer la zone euro en une véritable Zone Monétaire Optimale, dotée d’une croissance durablement forte, d’une gouvernance économique et monétaire fiable et d’un budget fédéral digne de ce nom. Il n’y a pas d’autre issue, sinon ce sera le chaos.

Marc Touati



Quid de l’économie cette semaine :

L’inflation américaine sous les 2 %…


 


C’est évidemment une bonne nouvelle : l’inflation américaine se replie sous les 2 %, à 1,7 %. Une première depuis seize mois.

Cette baisse est évidemment logique, dans la mesure où elle s’explique par la baisse des prix des matières premières et notamment des biens pétroliers. Ces derniers ont ainsi reculé de 6,8 % sur le seul mois de mai, expliquant une grande partie de la baisse de 0,3 % de l’indice global des prix à la consommation (CPI).

Dans la mesure où les prix pétroliers ont continué de régresser en juin, le glissement annuel du CPI pourrait atteindre 1,5 % au cours de ce même mois.

De quoi confirmer que le pouvoir d’achat des ménages américains devrait rester préservé, soutenant ainsi la consommation.

L’inflation américaine recule pour le plus grand bien des consommateurs.

Sources : BLS

Certes, le core CPI (c’est-à-dire hors énergie et produits alimentaires) a augmenté de 0,2 % en mai. Néanmoins, son glissement annuel se maintient à 2,3 %. Avec l’appréciation du dollar, les effets indirects de la baisse des prix pétroliers et le début des soldes d’été, cette inflation devrait également reculer dans les prochains mois.

 

 

Au regard de cette faible inflation, une réflexion s’impose : heureusement que la Réserve fédérale a maintenu son taux objectif des federal funds proche de 0 % et qu’elle n’a pas hésité à utiliser à deux reprises la « planche à billets ».

Si tel n’avait pas été le cas et si la Fed avait par exemple suivi la BCE dans ses égarements monétaristes, il est clair que les Etats-Unis auraient sombré dans la déflation.

La Fed a bien travaillé.

Sources : BLS, Fed

Devant cette réussite (qui n’est cependant pas parfaite, dans la mesure où le chômage américain reste encore trop élevé), il pourrait être tentant d’engager une troisième phase de « planche à billets ».

Selon nous, une telle décision serait inefficace. Non seulement parce qu’elle ne produirait que peu d’effet sur la croissance, mais surtout parce qu’elle nuirait à la crédibilité de la Fed.

Le statu quo monétaire durable oui, un QE 3 non ! Espérons que Ben Bernanke et ses acolytes de la Fed ne céderont pas aux pressions de certains investisseurs et de l’Administration Obama…

 

Marc Touati

 



 


 

Les évènements à suivre du 18 au 22 juin :


Zone euro : le climat des affaires se détériore encore.

 


L’actualité économico-statistique sera marquée cette semaine par la réunion de politique monétaire de la Réserve fédérale américaine et par la nouvelle détérioration du climat des affaires dans la zone euro et notamment en Allemagne.

 

Mardi 19 juin, 8h45 (heure de Paris) : les chefs d’entreprise français ont le moral dans les chaussettes.

Encore une nouvelle détérioration en perspective pour le climat des affaires dans l’Hexagone. C’est du moins ce que devraient laisser percer les enquêtes de l’INSEE auprès des chefs d’entreprise français en juin. Les prévisions de croissance du gouvernement s’éloignent de plus en plus et l’augmentation prévisible des impôts après les législatives ne va rien arranger.

 

Mardi 19 juin, 14h30 : légère augmentation des mises en chantier aux Etats-Unis.

Le secteur de la construction demeure sinistré outre-Atlantique, mais la « descente aux enfers » a bien été stoppée. C’est ce que devrait confirmer la petite progression des mises en chantier et des permis de construire en mai. Rien de très flamboyant, mais, dans le contexte actuel de fortes inquiétudes, l’administration Obama s’en contentera.

 

Mercredi 20 juin, 18h30 à 20h15 : La Fed maintient le statu quo.

Face à une croissance américaine satisfaisante mais toujours très fragile, la Fed maintiendra évidemment le statu quo monétaire. La question est surtout de savoir si elle ouvrira ou non la porte à un QE3 (troisième phase de « quantitative easing », également appelé « planche à billets »). Même si l’inflation reste faible, ce QE3 nous paraît inutile et marquerait surtout l’entrée des Etats-Unis dans une phase de « trappe à liquidités », c’est-à-dire d’inefficacité de la politique monétaire.

 

Jeudi 21 juin, 10h : nouveau recul des indices des directeurs d’achat dans la zone euro.

Après avoir déjà fortement baissé depuis la fin de l’hiver, les indices des directeurs d’achat devraient rester sur une pente baissière en juin. Si elle n’apparaît pas encore officiellement dans les comptes nationaux de la zone euro dans son ensemble, la récession devrait vraiment s’installer au deuxième trimestre. Elle a déjà commencé dans les pays du Sud depuis la fin 2011 mais devrait désormais se généraliser à tous les pays de la zone. Et si l’Allemagne sera encore épargnée, elle ne le restera plus très longtemps.

 

 

 

Vendredi 22 juin, 10h : le climat des affaires de l’enquête IFO recule également.

La décélération allemande devrait d’ailleurs être confirmée par le recul du climat des affaires de l’enquête IFO en juin. Si la baisse devrait rester limitée, la tendance est bien là : l’Allemagne ne pourra échapper à la crise éternellement.

 

Marc Touati